Ne serait-ce que par politesse, il s'est déplacé, m'a envoyé des photos, il a cherché, à scanné des documents,
C'est moi qui ai commencé cette histoire, je lui dois une réponse.
J'en suis convaincue, sans nul doute
Mais je n'y arrive pas
Pourtant dans ma tête j'ai préparé une belle lettre, une lettre de remerciements, je l'ai écrite le soir avant de m'endormir, dans ma tête, je l'ai répétée le matin en me réveillant, dans ma tête toujours;
Une belle lettre, dans un allemand correct, sans une faute de grammaire, de concordance des temps, de déclinaison, j'ai fait bien attention de lui dire Sie avec une majuscule
Je dis facilement "du" ... Mais ne le dit-on pas seulement à ceux qu'on aime ?
L 'est pas question d'amour, ni de sentiment, ni d'affects, ni... ni entre Helmut et moi, d'ailleurs on ne se connait pas, je lui ai écris, il m'a répondu
'C'est tout.
Alors encore une fois je me dis il faut que je réponde à Helmut, que j'envoie cette lettre, que je l'écrive une bonne fois pour toute, que je lui dise merci...
Je n'y arrive pas, je ne peux pas...
Merci....
C'est peut-être ce merci qui coince, qui bloque, qui me bloque.
Reprenons dis-je, c'est pourtant simple, j'écris à Helmut pour lui demander des documents, ceux là même pour avancer dans mes recherches. Sa réponse est quasi immédiate, il me demande si ça va, si c'est bien ce dont j'avais besoin. Oui, c'est ça, mais je dois aller plus loin, le paysage géo-politique n'est plus le même depuis la fin de la seconde guerre, la Guerre Patriotique, les territoires ont été redécoupés. L'URSS n'existe plus, les noms ont changés. Je me sens perdue. Je ne retrouve la trace du lieu de naissance de mon parent nulle part, j'ai beau chercher. Pourtant tout est consigné, justement, précisément, comme toujours en Allemagne, même et surtout à cette époque là..
Je devrai demander de l'aide à Helmut, je sais qu'il ne refusera pas, je n'ai jamais eu de mal à demander de l'aide pendant toutes mes années de recherches, bien au contraire, cet échange là est essentiel, il ouvre des portes et permet de partager, pas seulement des informations mais surtout des idées.
C'est vrai, il y a ce merci, naturel, poli qui ne s'adresse qu'à lui. Sauf que derrière ce tout petit mot : il y a :
Cette tombe où repose un jeune homme enrolé dans l'Armée Rouge (quel autre choix avait-il alors ? peut-être s'est-il porté volontaire, je voudrai savoir, j'aimerai le savoir, savoir qui il est) envoyé combattre sur le Front de l'Est (avait-il aussi le choix) capturé par la Wehrmacht, fait prisonnier, déporté en Allemagne, à Dachau pour être plus précis, affecté à la construction des autoroutes sur lesquelles nous roulons encore sans vitesse limitée, maltraité, sous alimenté, battu... Loin de chez lui.
Nous savons tous à quel point les prisonniers soviétiques furent particulièrement martyrisés
Malade, épuisé il est transféré au Stalag, où sont entassés tous ces prisonniers pas soignés, pas nourris, un mouroir dont il ne sortira pas.
Et cet homme, ce jeune homme porte mon nom... Et je porte son nom...
Pourtant si ces tombes sont là aujourd'hui c'est grâce au Burgmeister de ce petit village allemand qui a exigé que toute personne sur le territoire soit enterrée dignement, cet homme qu'il soit remercié, a tenu tête aux nazis, il a exigé et tenu bon. Alors oui viele Danke.
Merci à l'URSS et aux représentants de la DDR merci à ces jeunes venus des pays frères pour entretenir ces tombes mais aussi la mémoire de ces hommes, merci aux Burgmeisters successifs qui ont oeuvrés pour garder cet espace décent, qui ont commémoré, qui ont invité des délégations, retrouvés les familles...
Viele Danke
Merci, merci Helmut, merci pour tout ça, je voudrai te dire aussi que j'aurai pu être là moi aussi dans une autre vie pas si lointaine, dans ton village, avec ma chemise bleue et mes outils, pour mettre des fleurs, désherber, tondre l'herbe, couper les branches... Micha mon frère, tu aurais été là aussi, tu m'aurais montré comment faire comme souvent, comme toujours ! nous aurions ri sûrement, nous aurions pleuré aussi devant tout ce gâchis, oui Helmut, j'aurai pu être là, c'est peut être ça ?...
Un autre temps, un autre monde, disparu...
Helmut, je te dis tu, "Du" .. ! Je ne m'en étais pas rendu compte.
Je vais alors peut-être vous écrire pour vous dire peut-être tout ça..
ll me reste à chercher, à remonter le temps...
Peut-être que Timotej n'a plus que moi, nous, pour penser à lui ? C'est aussi ce que vous me demandiez, peu importe nous sommes là, nous serons là, pour lui aujourd'hui.
Nous avions déposé mon fils, mon mari et moi quelques fleurs des champs sur la plaque où son nom est gravé, je lui ai dit doucement "Te voila bien loin de chez toi petit père, petit frère, tu es dans le pays de ta douleur, mais ces grands arbres te regardent tout comme le ciel et les étoiles... Les grues sont passées, elles ont ramené ton âme auprès des tiens sur la terre de tes ancêtres. Zurhavli"....
Brigitte Dusch, historienne, psychanalyste