Psychanalye Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

dimanche 27 octobre 2024

Manipulateur/ manipulé un couple singulier



Il ne s'agit pas ici de faire une recension et une réinterprétation de la littérature à ce sujet, mais d'essayer d'apporter un éclairage à travers la clinique, de son observation afin de comprendre les mécanismes et les enjeux de ce type de relation et de ses protagonistes.
Ainsi le premier volet.

Si le "manipulateur" a fait et fait toujours l'objet de nombreux articles on s'interroge peu sur le "manipulé" et surtout sur l'étrange couple que ces deux là forment non sans hasard.

Pervers narcissique, sentiment de toute puissance, égoïste, égocentriste, cruel.. de nombreux épithètes tentent de rendre compte du profil de celui qui utilise l'autre à son profit, pour satisfaire ses besoins (quand ceux ci se font pressants) pour simplement le défier ou l'humilier et renforcer en lui son sentiment d'existence, de force et de reconnaissance. Lui qui sans cet autre, n'existerait pas, sans qui l'humiliation de l'autre, la dépendance de l'autre ne serait pas et lui sont indispensable pour vivre.
Cet autre dont pourtant il ne reconnait pas l'altérité n'existe que pour ça : satisfaire sa pulsion, son envie, mais pas son désir, car c'est bien là que le bât blesse, car il n'a pas de Désir. Sa seule jouissance de l'autre se loge dans ce qu'il inflige à celui qu'il tient en cage, dans ses griffes, sous son emprise. Ce fameux Bemächtigungstrieb mis au jour par Freud, cette pulsion d'emprise dont l'unique objectif est de dominer l'objet extérieur par sa seule force. Et c'est là où l'équilibre est rompu au sein de la relation qui ne s'établit plus entre deux sujets mais où l'un des deux est objetisé, instrumentatilisé, ustensilisé. Ces notions sont particulièrement explicitées par Racamier.
Nous y reviendrons dans un prochain article. 
Quid de cet objet ? Pudiquement désigné par "victime" s'inscrivant ainsi dans une relation "victime / agresseur." 
Mais c'est bien plus complexe que ça. Et il est bien difficile de dénouer l'écheveau particulièrement bien ficelé de cette étrange situation que forme ce non moins étrange couple. Car il faut être deux, pour qu'elle se mette en place, qu'elle persiste parfois dans un temps étrangement long lui aussi. 
Pourquoi ? 
Ce n'est pas seulement l'histoire de personnes, de structures, de constructions de l'ego, de l'estime de soi, de la confiance en soi, de l'histoire personnelle et familiale mais aussi et surtout celle d'une rencontre entre deux individus différents à première vue mais paradoxalement très proches. Ils ont connus chacun la souffrance, des traumas de la petite enfance, de la violence introjectée et étouffée et une haine contenue pour soi et l'autre. Ce sont deux être mal traités qui vont se croiser et forger la relation qu'ils vont ensemble mettre en place, se mettre en place et évoluer au cours du temps.
Oui ils se ressemblent beaucoup plus qu'on ne pourrait le penser. Ils ont ainsi en commun le vide, le gouffre de la souffrance et du manque. Uh terrible manque, celui de l'amour, l'amour de soi et l'amour de l'autre, cet amour là, inconditionnel, cet amour qui passe par la reconnaissance, par le regard, le regard qu'on pose sur l'autre pour implicitement lui dire "tu es, je suis, je te vois, tu me vois, tu fais partie de mon paysage, de mon espace, et je fais partie du tien, tu es différent mais tu ne m'es pas indifférent car tu existes et je te reconnais comme mon ego, mon égaux, mon alter ego et je te respecte, je t'aime comme je m'aime". Tout cela est parfaitement résumé dans le fameux 
« Aime ton prochain comme toi-même » du Lévitique 
la règle d’or de Hillel : « Si tu n’aimerais pas qu’on te le fasse, ne le fais pas aux autres". Ainsi une relation inscrite dans l'altérité. Nous ne reviendrons pas sur la séduction ou victimisation mise en avant par l'agresseur pour s'emparer de sa proie, la toile qu'il tisse patiemment pour mieux l'emprisonner et nous concentrerons  davantage sur la "victime". Mais de qui ?
Pour que toute relation soit durable il faut que chacun y trouve son compte, ou à peu près, que chaque partie y ait des bénéfices secondaires qu'il ignore peut-être mais s'emploie volontairement à ignorer pour son confort.  C'est une négociation, une sorte de marchandage sordide entre le prédateur et se proie,  et celle ci toute déséquilibrée soit-elle est suffisamment bonne pour chacun, même si cela surprend. Ainsi pendant que l'agresseur jouit et jouit de sa proie, cette dernière comble son vide tout en souffrant et avec cette souffrance singulière. Car elle ne tarde pas à réaliser qu'elle est otage d'une emprise dont elle ne peut/veut sortir pour de multiples raisons qui ne lui sont toujours pas conscientes, mais elle sait au fond d'elle même qu'il y a quelque chose qui cloche. Alors bien sûr elle s'interroge, car cela ne peut venir que d'elle, et culpabilise d'être le "mauvais objet" concrétisant ainsi ce qu'elle est aux yeux de son agresseur qu'elle aime et dont elle ne se sent pas digne. Alors elle redouble d'effort pour lui plaire et qu'il l'aime. La peur s'installe, celle de perdre son amour. Car c'est une histoire d'amour, d'amour qui porte mal son nom, un amour tordu, distordu, toxique, car tous deux sont incapables d'aimer, mais surtout incapables de l'être et de s'y laisser aller car ils ne savent pas vraiment ce qu'est l'amour, je dirai même qu'ils n'en n'ont pas la moindre idée. Ce n'est pour eu qu'un vague espoir, une représentation floue, venant tant bien que mal combler ou colmater leur manque..
Le manque et le vide sont au coeur de cette souffrance.
C'est ainsi que cela nait, vit, dure et perdure, encore et longtemps en s'étouffant dans une plainte sourde qu'on ne sait à qui adresser, à quel autre ? Faire l'aveu de sa faiblesse, d'aimer un monstre, de se sacrifier, de se laisser instrumentaliser, de n'être qu'un objet manipulé par cet autre odieux qui siffle quand il a besoin et où on  accourt,  persuadé qu'il l'aime quand même Car c'est à cette illusion que toute cette tragédie tient, un fil mince, certes mais un fil de plomb qu'il n'est pas facile de trancher. Ce qui serait our la victime tout perdre et ce tout est tout ce qui lui reste pour être vue, du moins le pense t-elle, ce fil qui la fait exister, dans la souffrance et la douleur. Les humiliations, le mépris, les insultes et parfois les coups sont mérités car elle croit réellement qu'elle n'en fait pas assez pour mériter cet amour, qu'elle est incapable. Illusion, tout n'est qu'illusion hélas bien réelle, et la souffrance l'est tout autant ?
Alors est ce le seul bénéfice secondaire ?
Exister : ce n'est pas rien. Ëtre aux yeux d'un autre, le plus vil soit il c''est quand même exister et ne pas être transparent dans un monde où la solitude est la pire des épreuves. 
Les violences et les pires humiliations sont des preuves d'amour comme lorsque cet enfant disait de sa mère "elle m'aime car elle me bat pour que je devienne meilleur'
Et il faut plaire à ce vampire toujours plus avide.
D'où le silence, l'acceptation auxquels elle consent; Qui ne dit mot. Elle ferme les yeux, serre les dents et avance sur ce chemin pavé de cailloux et d'épines. Après tout elle mérite peut-être ce chemin de croix ? D'ailleurs elle a essayé à maintes reprises d'y mettre un terme, sans grand succès, quoi qu'elle fasse elle n'y parvient pas, elle se laisse attendrir, accepte les excuses, les promesses qui ne seront que mensonges, mais où elle gagne ou croit gagner une courte lune de miel. Alors elle se remet à rêver à l'amour, sauf qu'un monstre ne sait/peut pas aimer. Une victime ne sait pas ou ne sait plus ce qu'est l'amour, le vrai, l'inconditionnel et le sincère, alors elle se laisse emporter par l'illusion. Et vit dans cette temporalité trompeuse.
Un jour, pourtant elle va y mettre un terme car la plupart du temps il y va de sa vie. Ce moment est d'une violence inouïe car c'est d'un seul coup d'un seul ouvrir la porte et voir le ciel bleu, se confronter à tout ce qu'elle a inconsciemment mais paradoxalement de façon bien consciente tout ce qu'elle a caché, tout ce qu'elle s'est caché, pour survivre. Non à son agresseur, mais a elle même.
Ainsi arrivent à grand pas la honte et sa jumelle, la culpabilité. Ca fait mal c'est tragique, c'st un vide, une plaie béante, c'est son coeur, son äme, son corps qui d'un seul coup sont éventrés. Il va falloir survivre à tout ça, tenter de mettre de l'ordre, donner du sens afin d'accepter et continuer le chemin de notre vie autrement.

Musique écoutée durant l'écriture : Eyal Golan Mikan v'Ad Hanetsach - מכאן ועד הנצח
Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne, exploratrice urbaine
crédit photo @brigittedusch. 


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Ainsi toute ressemblance, similitude serait donc purement fortuite.

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