Psychanalye Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

dimanche 24 mai 2020

Réparer les morts ?


Etre thérapeute, psychanalyste, c'est entendre, écouter, aller à la rencontre, comprendre, accompagner, et tenter de réparer les vivants. Les amener à vivre malgré les blessures, les souffrances, les épreuves, aller au delà d'un passé douloureux, apaiser les angoisses, les peurs, panser les bleus de l'âme, calmer les vagues, les tsunamis parfois, mettre du baume sur les cicatrices qui inévitablement laissent des traces.
Réparer, rafistoler, être vivant, tenir debout tient souvent du savant bricolage….
Pourvu que ça tienne !


Mais réparer les morts ?
Depuis les Origines on raconte que les morts n'ayant pas trouvé la paix et n'ayant pas été ensevelis convenablement reviennent demander des comptes aux vivants. Exigent d'eux de reposer enfin. C'est aux vivants de faire ça, ils leur doivent, ils sont dans cette dette. Ainsi il en est des fantômes…

Croire ou non aux fantômes n'est pas la question, mais réparer les morts est un devoir, certains entendent leurs plainte, leurs cris, leurs demandes, sorciers, chamanes ou tout simplement ceux qui prennent le temps d'écouter le silence, d'entendre le fin crissement qui en déchire le voile. 

Entendre pour réparer les morts.

Les disparus, les oubliés, les laissés là, abandonnés, les âmes errant à la recherche d'un tombeau, de leur terre, des leurs, les morts qui n'ont pas compris pour quoi ? qui ont été saisis par la faux implacable qui, d'un coup d'un seul leur a ôté la vie, les a longuement, trop longuement toujours, laissés agoniser avant de voler leur dernier soupir. Jeunes ou vieux, la mort était trop tôt au rendez-vous. Ils n'ont pas eu le temps de dire au revoir, de finir, d'aimer, de vivre. Ils sont partis dans un cri, un hurlement, un sanglot, des larmes.

Ces morts ce sont ces Hommes, ces Femmes, ces enfants,  que je rencontre au fil de mes recherches, parfois au hasard d'une liasse, ou d'un registre. Des noms, prénoms, une vie contenue en très peu de mots, en chiffres, une vie sur une ligne ou une page. C'est cette petite chose indéfinissable qui m'arrête, accroche mes mains sur la feuille ou mon regard, hasard, pur hasard, un numéro, un nom et puis… Je sais que ça parle.

Chut, entendre, oh il ne s'agit souvent que d'un murmure, mais il est bien là, timide, parfois plus appuyé. Alors je m'arrête, là, à cet endroit, et je sais qu'il faut chercher, aller plus loin, partir à l'aventure d'une rencontre. Ce n'est pas toujours facile, les indices sont souvent rares, alors je leur parle : "bon il va falloir m'aider parce que je ne vois pas, je ne vous trouve pas,  il faut me guider' puis ça vient, lentement, parfois plus vite, je trouve par "intuition"...
Je parle souvent, avec eux, au cours de mes recherches,  toujours, ils sont prés de moi, je ressens cette présence discrète, un parfum de tabac, de violettes, une ombre. C'est un lâcher prise. Accepter d'être accompagnée, de faire un bout de chemin avec cet autre, d'abord inconnu, puis familier.
Je dirai que tout au long de ma vie de chercheur j'ai toujours eu cette chance, découvrir l'inattendu, mais qui se révélait essentiel et faisait avancer mes travaux.

Réparer les morts, n'est pas seulement faire de l'histoire, c'est aussi et surtout faire acte d'humanité, de rendre la place qui est la sienne aux vivants et à ceux qui ne le sont plus. Remettre de l'ordre dans la Cité. C'est parfois compliqué, c'est entrer souvent dans l'intimité d'une lettre, d'un journal, d'un "intérieur," d'une confession. Même trois ou quatre siècle plus tard, je demande toujours au défunt son autorisation de lire, d'ouvrir de partager. C'est un dialogue bien singulier que nous entamons là mais sans lui, serait-il vraiment possible d'aller plus loin ? Ne serait-ce pas une intrusion ? Une profanation ?
Réparer les morts, c'est aussi leur rendre leur identité, leur vie, dire qui ils ont été, ce qu'ils ont fait, les inscrire dans le lien qui fait notre histoire, le passé du présent. C'est dire qu'ils ont été pour que nous puissions être là.
Réparer les morts c'est les reconstruire, raconter leur vie, dire aussi quand elle se termine, comment. C'est la branche d'un arbre qui si elle ne vit plus a été et a donné de nouveaux fruits, de nouvelles feuilles.
Réparer les morts c'est inscrire la trace de celle, de celui, de ceux qui avant nous étaient là, qui ne sont plus là, c'est les sortir de l'oubli. Leur donner une sépulture, pour qu'enfin ils puissent reposer en paix.
Réparer les morts, c'est aussi leur dire aurevoir, se séparer, éprouver du chagrin, un manque puis reprendre la route. Faire le deuil ; eux de moi et moi d'eux. Et en être heureux.
Réparer les morts : c'est je pense,  le devoir des vivants.

Brigitte Dusch, historienne, psychanalyste
Crédit photo @brigittedusch
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Ce blog relate des bribes, des vies en respectant l'anonymat, ce l'éthique et la déontologie de ma fonction
Les événements, initiales, lieux, histoires... sont modifiés.

Il s'agit d'illustrer des situations, un concept, une problématique, un questionnement donnant lieu à une réflexion.
Ainsi toute ressemblance, similitude serait donc purement fortuite.

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