Psychanalye Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

mercredi 28 mai 2008

Non espoir

J'ai mis beaucoup de temps, des années, beaucoup d'années avant de comprendre que le contraire d'espoir n'était pas nécessairement le désespoir.

Pas forcément.
Que ce préfixe privatif, n'enlevait rien, mais changeait le sens de ce mot, lui donnait une signification différente
Etre désespéré ne signifie pas ne pas avoir d'espoir. On peut être désespéré et avoir de l'espoir, perdre espoir, sans être désespéré...

Ce n'est pas facile à comprendre, à admettre, à mettre en sens.
Ce n'est pas si simple, pas aussi simple, d'en comprendre, d'en saisir les subtiles nuances... Subtilités infinies et infimes du langage qui font du signifiant nul signifié ou qui affuble le contenant de nul contenu !

Le non espoir, c'est une sorte de no man's land, une sorte de terra incognita, un territoire désert, inculte peut-être, où on ne se risque pas, ou pas trop, où l'on se retrouve parfois plongé sans trop savoir pourquoi. Ni comment
No comment !
Le non espoir est une vue de l'esprit, une représentation temporo spatiale virtuelle, profonde et intime dans laquelle notre moi, peut se perdre. Se perdre sans s'y retrouver, sans se retrouver, s'il a perdu le lien. Cette sorte de fil d'Ariane, qui lui indique l'issue du labyrinte. L'issue, une des issues, un des possibles, mais sûrement pas le seul !
Peut-on se perdre dans le labyrinte ? Peut-on s'y retrouver ? Et trouver l'issue est-il l'unique solution ?
Qui sait ? Et qui peut savoir ? Et qui veut savoir ?

Le non espoir ? Comment pourrait-on tenter un essai de définition, un essai de savoir, un essai de représentation ?
Comment mettre du sens ? Comment mettre en sens, ce concept sans dessus dessous, sans aucun sens peut-être, mais pas à sens unique...

Le non espoir... Ma première rencontre, du moins celle qui m'a interpellée, car des rencontres il y en a à chaque instant, seulement on ne les vit pas, on ne les voit pas comme telles, on n'en tire pas toujours la substantifique moëlle... ma première rencontre avec lui le fut lors d'un entretien avec un patient ! Encore et encore ! Oui, mais ils m'ont tant enseigné, ils m'ont tant apporté, ils m'ont tant donné !

Rencontre triangulaire ! Le tiers n'est pas toujours celui que l'on croit, et dans cette histoire, nous le fîmes et le firent chacun notre tour, à des moments différents, parfois en même temps. Mais ce tiers était là, toujours au milieu d'une relation qui se veut duelle, d'une thérapie qui ne met en scène que deux sujets..
En plus du transfert, il était là, comme une ombre, pas un fantôme, ni bienveillant, ni malveillant.. Mais là, présent, collant...Ce genre de présence qu'on sent, qu'on ressent... Le non espoir !

Ce patient malade attendait la mort, comme si on peut attendre la mort ?
Il me plait de croire que c'est elle qui nous attend, que nous la faisons attendre... Parfois..

Nous l'attendons tous, sans trop savoir quand elle viendra nous surprendre. Drôle de rendez vous que celui là, où l'autre n'est jamais à l'heure, du moins à l'heure qu'on voudrait.. Souvent trop tôt, des fois trop tard !

Mourant, il n'était pas, mais mortellement atteint. S'il le savait ? Ce jour là, je n'en sais rien, moi je ne le savais pas. Je le vis donc ainsi, sans savoir, sauf qu'il n 'allait pas ! qu'il n'allait pas bien dans son corps, mais dans sa tête aussi, c'est pour cela qu'on me demandait de le voir
Et je le vis donc ! Et nous fimes plus que de nous voir !
Il me demanda immédiatement "si j'avais du temps" comme si lui n'en n'avait pas, ou que le sien était compté. Le nôtre, nous ne le savons pas, est aussi compté...
Il me parla de lui, de sa vie, puis de sa maladie. Me questionna... Voulais savoir, ou ne voulait pas. Faisait les demandes et les réponses, s'inquiétait et se rassurait.. Pour finalement conclure. "Je ne peux pas mourir je n'ai pas fini, j'ai plein de choses encore à faire... Vous comprenez "
Si je comprenais ? Bien sûr que je comprenais, nous avons tous plein de choses à faire, et pas forcément envie de mourir, du moins en ce moment M, peut être avions nous envie hier, tout à l'heure, ou demain, mais pas forcément à l'instant.

Ce n'est qu'après, après être sortie de sa chambre, où je venais de passer presque une heure et demi, où j'avais entendu cet homme se raconter, se livrer, se dire ses espoirs, son espoir, son espoir de vie, de vivre, de continuer... Que je reçus le diagnostic et le pronostic en pleine figure.

"Trois mois"...

Je ne sais ce qui se brisa chez moi, à ce moment là ? L'espoir ?

Je ne sais ce que je ressentis au plus profond de moi ? Le désespoir ?

J'avais envie de pleurer, les larmes montaient et je les sentais au bord de mes yeux.... Même si depuis des années, je voyais, j'accompagnais les gens vers leur ultime destination.
J'étais bouleversée, je le suis à chaque fois, le serai toujours depuis toutes ces années, nous le sommes tous, intérieurement, intimement, même si le soignant, le médecin ne le montre pas, le cache au plus profond de lui, il l'est. Et c'est humain de l'être ! Et c'est bon de l'être !

Cet homme venait de me dire son espoir, son espérance, mais son espoir de vivre, de vie. Son espoir de guérir...De continuer, de faire, de vivre encore des choses, d'aimer, de travailler...
Et deux mots, deux simples mots, annulaient, brisaient, an-hilaient ce désir, cette pulsion de vie.. Cet espoir ...

Non espoir. . Il n'y a rien à attendre..
Pas de happy end, de fin hollywoodienne, de guimauve sucrée, où le miracle se produit. Pas de docteur House pour démontrer à ses assistants qu'ils se sont lamentablement plantés dans le diagnostic..Et que forcément il y a autre chose et que ça va aller mieux..

Nous sommes dans un des meilleurs services du meilleur hopital européen, voir mondial, pas dans une série télé, à l'eau de rose ! Pas de beau gosse en blouse blanche et l'air ténébreux pour trouver une solution, un remède ou une intervention miracle.

What else ?

Pas de deus ex machina !

Nothing at all...
Alles ist nicht geht !

Mon patient allait mourir.... il faudrait le lui dire.
Mais avant de mourir, il devra souffrir, de sa maladie, des traitements de cette maladie, qui ne le guériront pas, ne le prolongeront pas..
Il se verra mourir, lentement, pire verra la vie quitter son corps, sentira la mort s'en saisir, verra son corps mourir
Alors espèrer quoi ?
L'espoir ici ne serait pas décent... Indécent peut-être pas ? Mais pas décent.

Espoir ? Mais en quoi ? En quoi et en qui faudrait-il espérer
L'espoir alors c'est pour qui ?
On se trompe à ce point quand on dit qu'il faut espèrer, que c'est le moteur de la vie, de la pensée, que l'espoir est essentiel, fondamental...
Là il est en effet essentiel... Le non espoir !

Alors l'espoir c'est pour les riches, les riches de la santé, quelle richesse que celle ci, elle vaut des millions de dollars ! Plus même ! Elle n'a pas de prix !
Ou bien faut-il interpréter autrement, postuler qu'espèrer serait la richesse du pauvre, la richesse du nul ? Du simple d'esprit... De celui qui n'a pas, qui n'a jamais vraiment eu...mais qui espère avoir, un jour peut-être ?
Qui gratte une grille de bingo, et joue au loto.... pas au tiercé, trop rationnel. Pas au poker non plus, il faut de l'art et de la chance..

Mais le loto, le jeux de hasard rendrait alors justice, celle d'une autre répartition, d'une autre solidarité, celle du hasard ? Bien heureux hasard qui reconnait ses enfants ?
Espoir à l'eau de rose, ou à l'eau de Selz ?
Gout sucré ou salé... Boire la coupe jusqu'à la lie, la lie de l'espoir, au gout amer, au gout sucré et mensonger de ceux qui croient encore qu'en l'homme il y a du bon, qu'en chaque chose il y a du positif, de l'espoir, et qui s'accrochent, qui tiennent bon pour ne pas renoncer..
Qui se retrouvent suspendus.. à l'espoir ? Au bon vouloir de l'espoir ?

Sinon à quoi bon vivre ? Mais est-il bon de vivre ? Fait-il bon de vivre ? Fait-il bon vivre ?
Une vie sans espoir peut-elle être vécue ?
On ne peut pas espèrer ne pas mourir. L'idée de la mort si elle est toxique est néanmoins la seule vérité, le seul espoir de l'homme, le seul qui se réalisera. Le non espoir est de ne pas savoir quand. Et encore ?
La mort empoisonne notre quotidien, il faut vivre avec ça, pas d'autre posologie, la vie n'est qu'un soin palliatif. Soyons sérieux une fois, vivre ne guérit pas de mourir, au contraire vivre nous rapproche chaque jour un peu plus de l'issue fatale !
Nous y allons allègrement chaque jour, sans y penser vraiment. Inconscients que nous sommes !

Non espèrer n'est pas non plus renoncer. C'est peut être admettre qu'il n'y a pas de lendemain qui chantent mieux qu'hier ou aujourd'hui.
Non espèrer c'est peut-être tout simplement vivre. Vivre ici et maintenant, l'heure et le moment présenst. Comme a fait ce patient, comme nous avons fait ensemble. Comme nous avons pu faire de ces moments, des moments uniques conjugués seulement au présent, même s'ils parlaient du passé et de l'avenir.
Ce présent constitué par le non espoir a permis d'envisager le passé sans le réécrire forcément, et d'envisager l'avenir comme une possibilité d'après. Mais d'après quoi ?

D'envisager sereinement autant que ce fut possible ce présent là pour penser un avenir improbable, mais du moins d'y mettre de l'ordre. Mettre en ordre, ranger ses affaires, ses papiers, sa vie avant de partir. Pour où, on n'en sait rien. Et sans espoir de retour, du moins dans cet ici et maintenant là.
Apprendre à vivre au jour le jour, en préparant son départ, en mettant en scéne sa sortie et ses adieux. Chaque jour étant comme un rappel du public, un de ces bravos, où on vous demande de chanter encore une chanson, de danser une dernière danse, sans vraiment savoir, si elle sera la dernière...
Mais les fausses sorties finissent par lasser, le meilleur acteur, et le meilleur public.
Parfois on se dit qu'il faut enfin une fois pour toute en finir, et en finir pour de bon !
Pas de réssucitation... On ne succite pas ça ! On n'y croit d'ailleurs pas, même dans les contes de fées ça n'existe pas...
Dans de mauvaises séries, peut-être qui continuent à alimenter certaines croyances ?

Partir pour toujours, doucement, sur la pointe des pieds, dans la souffrance de tout laisser, mais surtout dans la douleur, et dans le non espoir de rencontrer ou de trouver quelque chose derrière, de l'autre côté de la vie, de l'autre côté du mur.
Espèrer qu'il y aurait autre chose ?
Quel fou peut espèrer cela ?

Partir et réaliser qu'on aurait pu mieux faire peut-être, avec les autres, avec soi même. Mais que nul espoir de mettre à jour, de mettre au propre ce qu'on considére comme un brouillon
C'était pour de vrai !
Je n'en n'espèrais pas tant... A vrai dire je n'espèrais rien....

Mais cette rencontre, du non espoir a été pour moi, une de mes plus belles rencontres..
Ne plus rien espèrer, ne rien espèrer est peut-être la seule véritable liberté. Celle qui fait que nous ne sommes plus attachés pieds et poings liés à une réalité....

Le non espoir, comme une sorte de lacher prise, de prise de conscience, sur la non prise, la non violence qu'on se fait à soi même. L'abandon de soi. La seule confiance qu'on peut mettre en soi...
L'espoir ne fait pas vivre alors, il empêche de vivre, en limitant les possibilités, les rencontres, les potentialités.. L'espoir limite, encadre et enferme toute forme de vie...
Il nous rend sourd, aveugle et nous maintient dans nos peurs, nos craintes ?
Privé de sens, il nous prive de nos sens à ce point ?
Le non espoir libérateur, sauveur.... ? Qui nous enseigne alors que tout est possible ?


A Jean, que je n'oublie pas, que je n'oublierai pas, qui m'a tant appris, tant donné, avec qui j'ai fait un petit bout de chemin, qui m'a offert de partager le dernier bout de son chemin. A notre rencontre, à nos larmes, à nos rires, à ce que nous avons construit pendant ce temps, cette inter mède entre la vie et la mort. Un rendez vous qui n'a pas été manqué. Une belle ré -création. Merci

3 commentaires:

catimini a dit…

Cher castor
Un petit mot rapide (si j’attends de disposer d’assez de temps pour répondre longuement j’aurais laissé passer le « oui » spontané à un de vos textes)
Celui-ci me touche profondément : pendant 20 ans j’ai visité les malades d’un hôpital de province. Votre « non espoir » et l’étude que vous en faites me semble si …vraie, si bien sentie, si bien verbalisée, si bien communiquée que j’acquiesce à chacun de vos mots et partage votre expérience comme j’avais l’habitude de partager ces lourds et beaux échanges avec les malades avec un membre de l’équipe. Merci de m’avoir fait souvenir en vérité de ce pan de ma vie….
J’aime beaucoup votre façon de décaler la publication des photos de celles des textes : ainsi elles jouent avec le suivant et le précédent 
bien à vous
catherine

Brigitte Dusch a dit…

Merci Catherine de vous être arrétee et d'avoir pris la peine d'écrire. merci aussi de me dire que vous avez été touchée. Vos mots traduisent la justesse de cette expérience singulière que d'être là, ces moments si précieux et surtout ce qu'ils nous donnent, car c'est un véritable trésor. La vie est difficile, dure, sans concession souvent, pourtant on pactise, on négocie...
Mais jamais on ne s'habitue,toujours, depuis tant d'années, je sens les larmes monter, arriver tout au bord....Elles brulent mes yeux. Une brulure singulière, unique. Et pourtant !
Bien à vous. Et merci pour cette émotion que vous me faites partager vous aussi
Castor

Anonyme a dit…

Le coq.
Quelle débauche de références !
J'ai 22 ans, et j'ai ce sentiment de non-espoir. Aujourd'hui en méditant j'ai su que je n'étais pas désespéré.
Simplement j'ai n'ai pas d'espoir. En rien. J'ai du non-espoir. J'ai voulu approfondir ce concept avec Google. Bingo !
Tu jongles avec les objets abstraits ; étant joueur je souris devant tes pirouettes. Cet article est coloré tel un bouquet de fleur.
Je suis heureux, j'ai des passions, des relations (association,travail,voisins,amis,famille)et tout le tralala artificiel mais tant nécessaire des gens.
L'article que tu as rédigé est conforme au réel.
Cependant je suis pas d'accord quand tu écris : "Le non espoir est [...] une représentation temporo-spatiale virtuelle". Pour moi, c'est bizarre. J'entend par représentation temporo spatiale, un repère absolu existentiel. Une heure + un lieu = marqueur temporo spacial = un rdv tout simplement. Et puis la phrase n'est pas finie : Une représentation de quoi ? Perso j'ai compris en te lisant (et en extrapolant) que le N-E est une photo virtuelle de la vie. Bref...ça rejoint quand même un petit peu ton dernier §.
A propos de ton dernier paragraphe, je croyais être seul à le pensé. Mais non en fait.
L'âne.
Ces derniers jours je me suis posé une énigme (résolue):
Il existe deux éléments. L'un étant le complémentaire de l'autre.
Combien de choix existe-t-il ?
Et puisque que ton esprit te le permet, lis-donc ceci :
http://philovive.fr/?2006/10/15/10-il-ny-a-pas-dhumour-heureux
;)
Jojo

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