La douleur
Avoir mal, souffrir, dans son corps
Le rapport et la relation que chacun entretient avec la douleur sont singuliers ; elle renvoie le sujet à lui-même et à sa propre solitude, à un face à face terrible avec le mal, avec ce qui lui cause du mal, ce qui lui fait mal, sans qu’il puisse y faire grand-chose.
Se plaindre, s’en plaindre, mettre des mots, peut-être ? Au mieux ? Mais pourquoi et pour qui ?
Dire à l’autre qu’il a mal, que « ça fait mal » et après ?
Mettre l’autre dans ce coup là ? L’y impliquer.
La douleur, l’écoute de la douleur semble être prise en charge, au moins un petit peu. Des réponses sont apportées en milieu hospitalier, on prescrit des antalgiques, de la morphine parfois. On entend le patient, celui qui souffre. Mais est-ce suffisant ?
La douleur n’est pas suffisamment entendue. Combien de médecins s’en préoccupent ? Trop occupés par le symptôme… Mais la douleur en est-elle un ?
Bien singulière question ?
Qu’est ce que souffrir, comment s’installe t-elle ? Comment arrive t-elle ?
Nous avons tous souffert plus ou moins ressenti la douleur, avoir mal, aux dents, à la tête, au dos, à…. Quelque part, en un lieu, car la douleur se loge, habite le corps, en un endroit, parfois plusieurs, parfois elle envahit l’espace tout entier, le dévore !
« J’ai tellement mal » « je suis prêt à tout pour que ça cesse »..
"Quoi faire ? Je prendrai n'importe quoi, je n'en peux plus d'avoir mal"
Le mal est épuisant, fatigant, déprimant.
Le discours autour de ce mal, de cette douleur est tragique, rien ne peut l’atténuer
Et l’autre ? Le parent devant son enfant qui souffre et qui ne peut rien faire d’autre que d’assister impuissant à cette douleur insupportable. Combien de mères, de pères auraient alors voulu à ce moment précis prendre sur eux ce mal pour en délivrer leur enfant ? Prendre une part de ce mal ?
Impuissants… Et c’est aussi cette impuissance qui n’est pas supportable, qui est intenable, ce « je ne peux rien faire, si ce n’est voir, entendre l’autre avoir mal »
Cette douleur donnée à voir et à entendre renvoie alors à la culpabilité fondamentale de la mère, qui a mis au monde son enfant ou comme le souligne Heidegger l’y a « jeté ».
C’est peut-être cette impuissance là qui plonge le sujet dans une immense solitude, dans ce face à face terrible avec lui-même ? Celui qui souffre et celui qui reçoit cette souffrance en pleine face et qui n’y peut rien, qui ne peut ni la soulager, ni la prendre avec lui, ni…
Mais seulement en être témoin ! Et ce n’est pas rien
On ne ressort jamais indemne de la douleur, ni de celle qu’on ressent, ni de celle qu’on reçoit sans la ressentir vraiment, mais qu’on perçoit à travers la souffrance de l’autre, l’autre aimé.
Soulager, rassurer, être à côté, accompagner.
Et que dire de celui qui souffre « si vous saviez comme je m’en veux d’infliger ça à mes parents » me confie un jeune homme atteint de douleurs neuropathiques, ils sont tellement malheureux de ne pouvoir rien faire, ma mère dit tout le temps que ce n’est pas normal, qu’elle voudrait la prendre elle, ; pour elle cette douleur, pour m’en délivrer »
Culpabilité. Encore !
Cette douleur qui frappe et qui cogne « et qui me rappelle que je suis vivant »… souligne cette femme qui en veut à son corps de ‘l’avoir lâché, trahi ! »…
Longtemps le corps médical pensait que le corps du nouveau né ne percevait pas la douleur… Tout comme celui des malades mentaux. Quid de la douleur en psychiatrie ? Comme si la folie était un rempart contre cette souffrance ? Ou bien était-il (est-il) plus simple de ne pas l'entendre.
Entendre la douleur et ne pouvoir rien faire, rien en faire, prescrire quelque remède pour la faire taire, la mettre en sourdine au moins quelque temps. Le temps de ?
Mais le temps de quoi ?
Avoir mal ne suffit pas, être mal non plus, cette douleur qui renvoie le sujet à sa propre peur de son impuissance, l'obligeant ainsi à accepter ses limites, les limites du tout contrôle, admettre cette impossibilité là et cette possibilité de devoir subir ce qui est imposé par ?
Mais par quoi ?
Brigitte Dusch, historienne, psychanalyste.
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