J'ai du mal à te parler Gustave, j'ai du mal à parler de toi... Je ne connais rien de toi, ou presque, je ne connais que ta guerre, enfin, les années passées dans cet enfer, je ne sais que ça, ou presque.
Je connais des choses que tu ne connais pas, que tu n'as pas connues, que tu ne pourras savoir, je ne sais pas comment te dire, je ne sais pas ce que je dois te dire.
Je sais où tu es mort, ou presque, j'ai lu le rapport mentionnant tes blessures, éclat d'obus, près de la "région carotidienne"... Je ... Tu es mort à l'ambulance de Vauxtin au mois de mai 1917.
Je me dis que c'est absurde, c'est absurde la mort, c'est absurde de mourir aussi près, aussi près de la fin, aussi loin du début. Que c'est absurde de mourir après tout ça, après ces épreuves, ces souffrances. que c'est absurde de mourir tout court alors que tu avais tant à vivre.
Avec mon fils nous tentons de reconstituer ton journal de guerre, les mouvements, les positions de ton bataillon, sur la carte nous mettons des croix, nous suivons ton chemin, celui de tes compagnons de misère, d'infortune et de fortune
Je suis historienne et ne sais pas écrire de roman, d'histoires, je ne sais pas remplir le vide, les trous, essayer d'imaginer, cela ne m'est pas possible, et j'ai si peu de choses à raconter de toi, je n'ai pas même une photo. ll ne reste que ton nom gravé sur le marbre de ce monument aux morts.. pour la France, mort pendant cette grande guerre qui devait être la dernière.
Je lis fébrilement mais rigoureusement le dossier, décode chaque terme, je lis et j'éprouve de la peine, c'est au delà de la compassion... Ces papiers sont le récit d'une vie, et pour moi, elle n'a pas de prix. Cette vie c'est la tienne ! Je me moque de tes décorations, tes médailles et tes faits d'arme : j'aurai aimé que tu vives, pour toi et pour elle.
Tu es parti de ton village, où tu étais vannier, comme ton père, tes frères sûrement, je vois la grande place où tu as du danser, avec Marguerite, où je me suis amusée aussi. Je n'ai jamais vu ton nom sur une tombe, ni ta tombe, je n'ai jamais vu Marguerite t'apporter des fleurs.. Au cimetière. J'ai vu ta maison, celle de ta famille, peut-être y avez vous vécu tous les deux ? mais si peu...
Quel gachis !
Vous vous êtes mariés en juillet non loin de chez toi, encore que..c'était peut-être loin en ce temps là ?
Alors je m'en vais parler de Marguerite,te parler de ta Marguerite aussi, lui rendre hommage ... Elle était encore bien jolie quand je l'ai connue ! rousse encore ou plutôt blond vénitien et les yeux bleus violets... ll parait qu'elle avait été si belle. Elle ne sortait jamais sans ses gants son chapeau et sa voilette hiver comme été.
Frèle et discrète elle pouvait avoir son franc parler, des mots désuets... Elle te parlait chaque jour dans ce jardin qu'elle entretenait avec amour... Mais d'elle, de toi, de vous elle ne parlait pas. Elle a tenu tête aux allemands nazis pendant cette autre guerre, celle que tu n'as pas connue car tu es mort pour qu'elle n'ait pas lieu...elle a voyagé, travaillé, elle a vécu longtemps après ce jour de 1917 où toi tu es parti.... où un éclat d'obus t'a arraché à elle !
Marguerite c'était le silence, pas un mot de trop, jamais, elle parlait juste, toujours. Elle ne parlait pas d'elle, ne se plaignait pas, jamais. Elle se levait tôt et se couchait de même, elle avait des amies, les recevait et leur rendait visite, une vie tranquille ? Elle était coquette, prenait soin de sa toilette et de sa peau, crème et poudre de riz sur le visage, ses cheveux tressés étaient relevé en chignon, quelques gouttes de parfum ; une broche sur le revers de son habit, vêtue toujours sobrement mais avec élégance, du noir souvent. Et ses chapeaux ! elle en avait pour toutes les occasions et les saisons, elle aimait rendre visite à la "modiste". Oui elle était belle et douce.
Elle est partie doucement, comme sa vie, elle a quitté sa maison, ne pouvant plus rester. Elle a refusé les soins pour la prolonger, elle était heureuse de la vie qu'elle avait accomplie "tout est bien maintenant, je peux m'en aller"...Elle est partie à la fin d'un été. Ce fut long sûrement pour elle, mais son temps elle l'a passé a aimer les autres, les enfants des autres, ceux de ses soeurs, (car d'enfants elle n'en n'a pas eu... Vous n'en n'avez pas eu, vous n'en n'avez pas eu le temps). Puis elle a aimé leurs enfants. Elle a surtout aimé cette petite fille étrange, aux yeux et cheveux clairs, recueillie par une de ses soeurs. Ca je peux de l'assurer, car pour m'aimer ta Marguerite, elle m'a aimée ! Elle m'a aimée, vois tu, elle m'a élevée, m'a nourrie, m'a appris à lire, écrire le français et l'allemand, (ach so le gothique !)... Elle m'a raconté des histoires, montré les fleurs et les plantes, me donnait les remèdes qu'elle préparait pour l'enfant fragile que j'étais...Elle me demandait mes notes, était heureuse quand j'étais première de la classe. C'est elle qui m'a offert l'lliade et l'Odyssée. lls sont toujours avec moi dans l'attente d'être à mon fils) et m'a donné ce goût pour l'Antiquité, l'histoire la musique et la littérature. Je lui dois ce que je suis... Elle était fière de moi, j'espère en être digne, et c'est pour elle que je t'écris. Pour te dire tout ça, mais tu le sais peut-être déjà....
J'aurai voulu t'aimer aussi, t'aimer comme je l'ai aimée.
Tu n'auras jamais mon âge Gustave, je te parle et je te vois jeune, je vois le jeune homme; je te vois à l'âge où tu as quitté ton épouse, cette belle jeune femme devenue ma grand tante...qui m'a appris le bonheur et à aimer la vie, cette même vie qui lui a pris son amoureux.
Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne.
A mon fils.
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