Psychanalye Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

vendredi 23 août 2024

Les couturières et moi.


"
Entre la fenêtre et le foyer, Emma cousait ; elle n’avait point de fichu, on voyait sur ses épaules nues de petites gouttes de sueur."*

Je suis l'héritière d'une longue lignée de "couturières" de métier, occasionnelles, familiales. Il y a aussi des "tailleurs d'habits". 

J'ai grandi au milieu des tissus, des fils de toutes les couleurs, des épingles, l'odeur de la craie, le bruit des ciseaux, de la machine à pédales de ma grand mère dont j'entends encore le ronronnement en fermant les yeux.
Je la revois, tout comme ma mère, assise derrière sa table en piquant les coutures des morceaux de tissus qui deviendraient une robe, une jupe, un vêtement pour moi souvent. Je rêvais et m'impatientais.


Elles cousaient, toutes les femmes de mon enfance cousaient et moi je les regardais. Je voyais peu à peu les morceaux s'assembler devenir des robes, des jupes, des chemises. C'était magique c
oudre, assembler, tisser, relier, donner vie et du sens à des morceaux de tissus afin d'en faire un vêtement : quelque chose qui habille et qu'on habite, qui nous recouvre, nous enveloppe.

Coudre un vêtement est toute une histoire, une histoire singulière, une aventure, ça demande du temps, de la patience, cent fois on remet sur le métier son ouvrage. Il faut assembler, surfiler, essayer, démonter, réajuster, recommencer. Jusqu'à ce que "ça tombe bien".  

Pourtant je ne sais pas coudre et elles ne m'ont jamais appris à le faire.
Je ne suis pas couturière. 
Je suis historienne et psychanalyste
Je ne sais pas coudre... Mais


Je sais rassembler, assembler, coller, relier et donner vie. 
Alors suis-je peut être une couturière à ma façon ? Singulière couture qui est d'assembler non des bouts de tissus mais des morceaux d'histoires ? Des histoires singulières dont ils manquent des morceaux parfois. Assembler du mieux que je peux afin de construire, reconstruire pour mettre en forme et donner du sens...

Etre historien c'est comprendre et partir à la quête de tout ce qui peut nous y aider, afin de tisser, relier, assembler pour mettre du sens et raconter une histoire, celle des hommes, des femmes, des enfants qui ont vécu avant nous. Tenter le plus fidèlement possible de dire, de ne pas les trahir. Tâche oh combien difficile ! Leur donner la parole. Donner la parole aux Morts, aux oubliés souvent, à tous ceux qui n'ont pas laissé de traces dans les livres d'histoire mais qui sont l'histoire. C'est la tâche que je me suis donnée, pour les femmes du XVII° d'abord, puis pour les Hommes de 14. Les sortir de l'oubli et montrer à voir qu'ils n'étaient pas que des soldats, mais des enfants, des maris, des parents, des frères, qu'ils ont aimé, pleuré, ri, souffert, puis pour ces femmes, hommes et enfants victimes de la barbarie nazie.. Reconstruire, rétablir et surtout pour ces derniers la filiation qu'ils ont tenté de détruire en les exterminant.

Historienne, je collecte, je rassemble et j'assemble autant que je peux avec ce que j'ai, le peu parfois, jamais le trop, puis j'essaie de coudre... Coudre, assembler, faire tenir les pièces entre elles les coudre de fils blancs, noirs, de toutes les couleurs. Singulier travail ! Parfois les pièces manquent pour assembler, ravauder, repriser...  laisser des blancs : L'historien n'invente pas. Il s'en tient à ce qu'il a.

Drôle de couturier. 

Analyste, je suis aussi couturière à ma manière, artisan de cet assemblage insolite et singulier que me livrent les analysants, en les aidant à mettre 
 du sens, là où il n'apparait pas instantanément, à réunir des pièces, des bribes, ne pas perdre le fil pour faire tenir ce qu'ils habitent ! pour que ça tombe bien, sans faux plis. Que ce soit précis, clair et net.

"Vous raccommodez les âmes" "vous remettez en ordre le bordel qu'il y a dans ma tête" "Vous faites tenir tout ça, tout ce qui était en vrac" me disent-ils

Tout cela est une histoire des histoires de l'Histoire, c'est pour cette raison que depuis des années j'ai entrepris toutes ces recherches. Pour comprendre et aussi pour me comprendre. Oui j'ai grandi au milieu des tissus,  de la couture, des habits, de la couture et des couturières, je me suis souvent demandé moi qui ne sait pas coudre où je me situais au sein de cette filiation. En avais je par ce manque de savoir rompu le fil ? Ce manque ? Le fil ? le fil de l'histoire ? Celles que j'entendais, enfant.. Je regrette de ne pas avoir posé assez de questions, pourquoi ? Pourquoi je n'ai pas demandé ? Qu'on me dise encore ? Qu'on m'apprenne à coudre ? Pourtant j'ai des souvenirs, ils reviennent s'enfilent dans le chas de l'aiguille et j'assemblent les bribes, je puise dans les archives, croise et reprise, je trouve, je retrouve je me trouve enfin ! C'est parfois terrible et tragique. Alors toutes les émotions surgissent on se demande quoi faire, quoi en faire  ? Comment les assembler ? avec quels fils  pour que ça tienne. Et l'enfance ramène comme la vague sur le sable les mots, ceux là même que tu ne comprenais pas lorsque tu étais enfant, mais qui te semblaient étranges, ces mots chuchotés à peine qu'un enfant ne comprend pas.. Pourtant l'enfant qui ne ressemblait à rien ni à personne  entendait et comprenait ces "secrets" que tout le monde savait sauf lui. Alors tu cherches, tu fais attention au moindre mot, au moindre regard, tu assembles les pièces et tu écoutes de que disent les gens, tu reconstruis le puzzle.. et tu deviens historienne et psychanalyste, tu te dis alors des décennies plus tard, qu'entre un tailleur d'habit, une couturière, un marchand de tissus, une historienne, une psychanalyste, il y a un bien un  lien, un lien solide, le fil que tu as tiré et avec lequel tu as cousu, recousu ta propre histoire, reconstruit la filiation. Tu es heureux car enfin tu sais d'où tu viens et qui tu es.

Brigitte Dusch, historienne, psychanalyste, exploratrice urbaine
Crédit photo @brigittedusch.

* Gustave Flaubert "Madame Bovary"

lundi 5 août 2024

Nous ne vieillissons pas ensemble

 



Sie schreibt


"Il y a bien longtemps que nos chemins se sont séparés, sans s'en rendre vraiment compte, doucement, brutalement parfois. Nous ne nous sommes jamais vraiment rencontrés, une illusion peut-être, un désir d'y croire. Trop différents, trop étrangers, trop ou peu pour faire "ensemble".

Aujourd'hui le temps nous a usé, nous a épuisé et vampirisé. Il ne reste plus grand chose de l'envie, ni d'être en vie. Tout ne tient qu'à un fil et faire semblant devient de plus en plus difficile
La séparation est là, actée depuis longtemps mais est devenue effective, même si nous essayons de faire semblant et dans les moments aisés d'y croire un peu pour avancer.
Nos mots, nos paroles, nos discours raisonnent et résonnent faux, il n'y a plus d'harmonie, de connivence, de regard, mais seulement de la dissonance et de la discorde.
L'amour s'il a un peu existé s'en est allé, pour laisser place à la colère, la violence, le mépris, la haine, et parfois la pitié.
C'est une grande tristesse, celle d'un immense gâchis, de vies gâchés, d'espoirs déçus, brisés et avortés. 

Mais la vie c'est peut-être ça après tout ?


Ce serait facile d'avoir des regrets toutes ces années plus tard. Parfois il faut en effet éviter de penser. C'est évident que si on savait, on ne s'engagerait jamais dans un chemin boueux par peur de s'enliser, s'étouffer et mourir un petit peu. On ferait demi tout si on le pouvait.
Ce n'est pas de ne pas y avoir pensé mais il y a toujours une bonne raison. Un jour on grandit, on se dit que oui c'est fini et que pour le peu de temps qu'il nous reste, on va en rester là.


Nous ne vieillissons pas ensemble, depuis longtemps, depuis toujours peut-être ? Personne n'y a vraiment cru, persister pour se convaincre de ne pas se tromper. C'est la vie choisie, mais non rêvée. Rêve t-on sa vie ? La subit-on ? On tente de faire pour le mieux, et ce n'est pas simple
Il y a la colère surtout le désamour, le désintérêt, le désespoir, d'éprouver et de vivre tout ça. 
Le faire semblant devient une épreuve, une peine à perpétuité. On n'aspire plus qu'à se séparer, se déchirer, partir, laisser l'autre là, loin de soi. 
On se demande comment on a pu en arriver là ? Sans rien voir ? Entrevoir. Déni ? Confort ? 
Nous ne vieillissons pas ensemble peut-être parce que nous ne sommes justement plus en ensemble depuis longtemps, trop longtemps ? 
Alors ? on se demande dans les quelques instants de lucidité si l'amour éprouvé il y a si longtemps mérite de mourir dans la haine ? 
Alors ? On pourrait se quitter, bons ennemis ? 

"Il n'y a rien de pire que de ne plus s'aimer"

Sie sagt.

Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne, exploratrice urbaine
Crédit photo @brigittedusch

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Ce blog relate des bribes, des vies en respectant l'anonymat, ce l'éthique et la déontologie de ma fonction
Les événements, initiales, lieux, histoires... sont modifiés.

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Ainsi toute ressemblance, similitude serait donc purement fortuite.

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