Le survivant, c'est celui qui reste, qui survit, qui est toujours là. Là !
Et qui ne comprend pas pourquoi
Pourquoi il est là, encore là, toujours là
Alors que les autres, l'autre ne l'est pas....
Et qui ne comprend pas pourquoi
Pourquoi il est là, encore là, toujours là
Alors que les autres, l'autre ne l'est pas....
Le survivant c'est celui qui se demande tout ça
Qui souffre de tout ça
Qui ne comprend pas....
Souffrance, douleur, question, encore et toujours,
Mais culpabilité surtout.
Quand la souffrance est trop forte,
Quand le désir de vivre ne l'est plus
Quand il ne peut plus , quand il n'en peut plus, quand il n'en veut plus
Le survivant parfois ne veut plus survivre, ne veut plus vivre, ne veut plus de la vie.... De cette vie. De cette vie qui fait qu'il est encore là.
C'est difficile d'être là, toujours là, quand l'autre ne l'est pas, on se demande pourquoi lui et pas moi. Pourquoi moi et pas lui. La réponse ne tient qu'à un fil parfois, un fil tenu, qui ne tient qu'à un fil, que par un fil, que par un lien, qui le relie, qui le lie. Un fil qui tient tant bien que mal, le fil des Parques...Qui tient ? Il se répond, mais la réponse ne tient pas. Plus rien ne tient, ne tient plus.
C'est difficile de rester, de continuer.
Survivre,
Coupable de survivre, coupable d'être là, encore et toujours..
Comment faire face à cette douleur, à cette souffrance et surtout à cette culpabilité ?
Faire face, accepter, vivre avec, vivre encore. Comprendre.
Que faire de cette douleur, de cette souffrance, de cette culpabilité ?
Survivre ? Mais à quoi ? A la guerre, aux conflits, à la faim, à la violence, aux blessures, aux bombes, à la maladie........
Survivre toujours après un traumatisme, une rencontre dans le réel avec un événement qui fait violence, qui fait intrusion, qui ne peut être symbolisé, car pas représentable...Justement....
Continuer le chemin sans eux, ceux qui sont restés, qui y sont restés, qu'on n'a pas pu sauver...
Ces pensées là, envahissent peu à peu, l'horizon, l'obscursissent, l'assombrissent.
Pourtant le survivant est là !
Survivre est loin d'être facile. Nous sommes tous les survivants de quelque choses, à quelque chose, nous avons survécu à notre naissance, et ce n'est pas rien....
la vie n'est pas aisée, toujours, nous faisons face sans arrêt, on s'adapte, on vit le quotidien sans trop toujours se demander, on vit en voyant autour de nous les choses, les situations,les personnes changer, venir, partir, disparaitre, pour toujours parfois, mourir...Aussi.
Et nous sommes là, encore là sans eux. Pourtant !
Le survivant ne comprend pas, pourquoi, comme ils disent, il a eu de la chance. Il ne voit pas non plus de quelle chance il s'agit, et ce qu'est la chance dans ce moment là, pourquoi lui ? Les autres pas. Epargné, mis de côté, par la chance, par la mort qui n'a pas voulu de lui, ce jour là...
Chance et hasard.... Ces explications là, ne tiennent pas.
Pas plus que le reste, car plus rien ne tient.
Parfois il y a la notion de combat, ce malade à survécu, il s'est battu contre la mal, pense t-il alors que ceux qui n'ont pas survécu ne se sont pas battus ?
"J'ai eu de la chance, ça été décelé à temps..." disent certains patients
"Ce n'était pas mon heure..."
La chance encore ! Le hasard, le bon moment, ou pas bon moment... Comme s'il y avait un moment pour chacun, comme si le destin était lui aussi singulier, ce qu'il est, mais plus encore, destin, destinée, avec un soupçon de fatalité, de prédestination... C'est écrit !
La fatalité du survivant... ?
A la culpabilité, s'ajoute, se succéde, se supperpose parfois un sentiment de toute puissance. Une sorte de bras de fer avec la mort, où cette fois, le sujet, toujours là, a eu le dessus.
Pas question de chance ici, il a gagné, il a survécu au pire..Vacciné, immunisé, contre le danger, contre la mort même ! Celle là même à laquelle il a échappé !
Invulnérabilité...Qui se manifeste parfois par une prise de risque inconsidérée... Trompe la mort encore et encore ! On recommence le bras de fer, on s'en amuse, on use et abuse, on remet son titre en jeu, on remonte sur un ring inconnu, on amorce un combat qu'on sait truqué, mais en sa faveur cette fois, on a gagné une fois, la fois où on était donné perdant, personne n'aurait parié ce jour là, et puis on a gagné, on est sorti vainqueur....
Une roulette russe, un jeu morbide où on ne peut pas sortir gagnant à tous les coups mais c'est ça qui est finalement devient jouissif, cette sensation douloureuse mais qui fait monter l'adrénaline, une sorte de drogue, qui permet à la vie d'avoir des couleurs, de ne pas être ordinaire.... Une lutte contre la fadeur du quotidien ?
Pourtant....Trahison, un certain goût de trahison..
Toujours une trahison, l'un trahit l'autre. Il y a toujours un survivant. Et un mal aise, un mal être...Qui s'installe, Puis une sensation d'inutilité, de pas fini, d'in fini...
Une sorte de plus aussi, de temps hors du temps, un temps en plus, un trop de temps, un temps sur lequel on ne comptait pas, qui n'était plus conté, mais qu'il va quand même falloir compter, un bonus, ou un malus, ou les deux ?
Et ce qu'on en fait ? Ce qu'on peut en faire ? De cette survivance là, de ce bonus malus, de cet au delà, de ce versus ?
"Je devrai être mort ! Mais je ne le suis pas, en fait si, je suis mort, un peu, un peu mort, car une partie de moi est restée là bas, avec les morts, ceux qui n'ont pas eu ma chance....." racontait les yeux dans le vide le survivant d'un massacre
Et de poursuivre "Je ne sais pas comment je suis là, aujourd'hui à vous parler, je me suis caché sous les morts,ceux qui ne respiraient plus, ou qui agonisaient, pour avoir chaud, pour me cacher, pour vivre, vivre sous les morts...! je sentais la pourriture des corps, j'ai dormi dans la charogne, je les ai entendu mourir, j'ai fais le mort, j'ai senti les baïonnettes le long de mon corps, je faisais le mort.. Pour vivre, être en vie ! Pour quoi faire ? Je vais faire quoi de cette vie là ?"
Discours effrayant d'un homme hagard et effrayé, qui n'avait plus guère de repères, qui me parlait et qui vivait cet enfer à chaque mot...Devant moi, il semblait indifférent. Distanciation du discours, mécanisme de défense du survivant... Survie, pulsion de vie, instinct !Lhomme est ainsi fait.
Il parlait doucement, détaché, les yeux vides, avec une sorte de tranquillité, il parlait de lui comme s'il s'agissait de quelqu'un d'autre, dissocié car il parlait d'un survivant....Un discours sans pleurs, sans larmes, sans sanglots, comme ceux de tous les survivants, des camps, des massacres, des génocides....Une distanciation glaciale et nécessaire
Vivre, pas pour témoigner, il était trop tôt peut-être !
Ni victime de quoi que ce soit, de qui que ce soit, là, simplement là, "Je ne sais pas comment"..
Hasard encore ? Chance ?
"Oui, de la chance, sûrement, -dit-il- j'étais connu, c'est pour ça que j'ai pu franchir les barbelés..."
Certains survivent parce qu'ils sont "connus", plus robustes, plus jeunes, plus ...plus.. C'est ce plus, justement qui fait que.. Un plus encore, un bonus ?
Alors le moins ? Un moins quelque chose, un quelque chose à retrancher, qui se retranche ? Qui les retranche eux des morts, de ceux qui n'ont pas survécu, qui les mets hors de la tranchée, sinistre tranchée que celle là !
Ou quelque chose qui s'ajoute, qui vient se greffer là, à l'instant qui fait que...
Ou que c"est écrit ? Quelque part ? Mais par qui ?
Les Etoiles, le Destin, la Fortune, l'Ange gardien, les Dieux, Dieu ?
Il me plait à croire que seul l'homme peut écrire son destin, le changer, en faire ce qu'il souhaite en faire.
Il me plait à croire que l'homme n'est pas un pantin, une marionnette désarticulée dont une "puissance, une instance supérieure" coupe les fils une fois que le jeu est terminé...
Seulement l'homme n'est pas libre en soi, il se voit imposer des contingences, contre lesquelles il ne peut rien, s'imposent à lui des événements, des situations, des risques, des guerres.... Qu'il doit affronter, qu'il doit vivre, négocier, assimiler, digérer, ou pas...
Puis le nécessaire, qui existe sans cause, ni condition...Il doit y faire face aussi.
Mais peut-il y faire face librement ?
Quel est alors sa marge, son bonus de liberté ?
Y at-il cet espace ? Ce no man land qui changerait tout ? Qui ferait de l'homme l'acteur, le véritable et unique scénariste, acteur, producteur de son destin ?
Le peut-il ?
Le veut-il ?
Comment ? Ou pas ?
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