Psychanalye Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

dimanche 16 juin 2013

Lise Marie, histoire d'une petite fille

Lise Marie... Une petite fille

Lorsque mon amie Anne a évoqué en quelques mots de l'histoire de Lise Marie, j'ai été bouleversée,  je lui ai alors demandé de nous la raconter, de nous l'écrire ce qu'elle a accepté bien volontiers. Qu'elle en soit remerciée. Voici donc le récit de cette rencontre singulière et émouvante, Anne a su mettre les mots pour dire, pour transmettre  la détresse, le questionnement et la recherche de cette enfant.
Un très beau texte !



Lise-Marie
Il y a quelques années j’ai travaillé beaucoup en centre de loisirs maternel avec des enfants de 2 à 6 ans, et c’est là que j’ai rencontré Lise-Marie.
A l’époque elle avait 4 ans. C’était une petite fille, toute gentille, mignonne, polie, respectueuse, sage… Bref « bien élevée » comme on dit. Elle n’a jamais posé aucun souci à toutes les équipes d’animateurs qui l’ont connue. Mais-Lise Marie était particulière…
Lise Marie ressemblait à un garçon. Son papa était un vieux monsieur, adorable, gentil, poli qui tentait d’élever sa fille et son fils seul du mieux qu’il pouvait. Le frère le Lise-Marie était aussi adorable, gentil et attentionné avec sa soeur,il avait 12 ans et il était vraiment touchant. Le papa était un peu « rococo » et s’habillait comme un vieux monsieur, il portait une petite casquette, des pulls en jersey, avait les cheveux blancs et une petite moustache toute blanche également… Tout le monde pensait que ce monsieur était le grand père de Lise-Marie. Et il habillait ses enfants de la même façon… Son frère entrant dans la préadolescence, choisissait ses vêtements mais tous ses anciens vêtements servaient à habiller Lise-Marie. Il n’y avait aucune figure féminine forte dans l’entourage de Lise Marie.
Elle était donc constamment habillée avec un pantalon (genre de velours) et souvent un pull en jersey… Pour les cheveux c’était la même chose, elle avait une coupe au bol à la garçonne. Ne côtoyant au quotidien que son père et son frère elle avait pris une voix grave, parlait comme un garçon et jouait aux jeux de garçons (voitures, guerre… pas de poupée, ni de cuisine même si un enfant a le droit de jouer à ce qu’il veut et que sur le lieu du centre on ne forçait aucun enfant à jouer de telle ou telle manière). Pour les autres enfants, aucun doute, Lise Marie était un garçon. On passait notre temps à leur expliquer que non mais rien à faire. Elle était un garçon.
Tous les animateurs qui arrivaient dans l’équipe aussi le pensaient ; moi-même la première fois que je l’avais vue, je lui avais demandé « comment ça va bonhomme ? » et le malaise qui a suivi je m’en souviendrai toujours lorsqu’une collègue est venue me dire qu’elle était une fille. Lise Marie, elle, était habituée et ne réagissait pas. A l’arrivée ensuite de tout nouvel animateur je m’empressais de lui spécifier doucement que cet enfant était bien une petite fille qui s’appelait Lise-Marie.
Mais voilà à part en la voyant aux toilettes, nous n’avions aucun moyen de savoir qu’elle était bien une petite fille et les autres enfants n’arrivaient pas à nous croire. Ce qu’ils voyaient ne correspondait pas avec ce qu’on leur disait. Ils savaient bien qu’un garçon s’habille comme ça, a les cheveux courts, une voix de garçon et joue à des jeux de garçon. Lise-Marie était donc un garçon.
Mais si Lise-Marie était si particulière c’est que son histoire l’était aussi… Elle n’était pas une petite fille comme les autres. Elle était donc élevée par son papa et n’avait que très peu connu sa maman qu’elle n’avait pas vue depuis plusieurs années. Cette dernière était internée en hôpital psychiatrique depuis longtemps car elle avait notamment essayé de noyer le grand frère de Lise Marie et bien d’autres choses que nous ne savions pas évidemment. Et le pauvre papa se retrouvait avec ses deux enfants à élever seul. Il était assez âgé, et vivait comme nos grands parents. La psychologie enfantine il ne connaissait pas ou peu. Remettre les vêtements de l’ainé à la petite, ça se pratiquait avant, il n’y avait pas de mal… Sauf qu’à 6 ans Lise Marie était toujours un garçon… Lise Marie participait très bien aux ateliers que nous pouvions proposer durant la journée, qu’ils soient sportifs ou d’arts plastiques ou autres. Mais Lise Marie faisait tout, tout le temps en noir. Uniquement et systématiquement en noir. S’il n’y avait pas de noir disponible ou s’il fallait choisir plusieurs couleurs, elles prenaient toujours les plus foncées : gris, bleu marine… Toujours. Nous savions bien que les couleurs choisies n’étaient qu’une façon d’exprimer un vide et un manque en elle. Jamais on ne l’a brimée à ce niveau là en la forçant à prendre des couleurs qu’elle ne voulait pas, au fond le problème n’était pas la couleur…
Et puis un jour, en fin de session de vacances, juste avant qu’elle entre au CP et donc passe dans le centre de loisirs pour les enfants en primaire ; un lundi matin, Lise-Marie est arrivée comme d’habitude… Elle était mignonne et gentille comme d’habitude. Elle a décidé de faire un dessin et s’est donc assise à la table où
nous faisions les dessins et c’est moi qui était là cette fois-ci (en effet tous les matins en attendant que tous les enfants arrivent, et de proposer des ateliers plus dirigés, nous laissions les enfants libres de faire ce qu’ils voulaient, dessins, mais aussi jeux de société, jeu d’imitation, de construction avec dans chaque coin un animateur pour jouer, avec eux, les aider, les soutenir, les surveiller). Lise Marie choisit donc les dessins ce matin là.
Et là…. Elle prend des feutres de couleurs… plein de couleurs, du jaune, du rouge, du vert, du bleu, du violet, du rose… Et elle dessine sa famille, son papa, son frère, elle-même et…. Sa maman. Elle n’avait jamais ni dessiné ni même évoqué sa maman à aucune reprise depuis 3 ans que je la connaissais. Elle dessine un poste de radio qui semblait faire de la musique et des serpentins et des confettis. C’était clairement la fête. Le dessin fait le tour du centre, avec évidemment des bravos à Lise-Marie. Et on commence gentiment à lui demander d’expliquer son dessin. Après quelques minutes, on comprend que le samedi précédent, elle a vu sa maman. Première fois en au moins 3 ans depuis que je la suivais, qu’elle voyait sa maman. Et subitement dans la foulée le noir s’est transformé en couleur. Ce bouleversement tellement énorme et soudain nous a tous cloué sur place. Personne ne pouvait croire que juste le simple fait d’avoir passé un moment avec sa famille au complet et donc sa maman avait pu provoquer tout ça. On avait jamais vu ça.
Evidemment nous avons gardé le précieux dessin comme un trésor jusqu’au soir et nous l’avons remis au papa, fiers pour la première fois en 3 ans de lui remettre un dessin en couleurs de sa fille.
Lise-Marie est passée ensuite dans le centre de loisirs pour les grands et je ne l’ai qu’aperçue par la suite. J’ai appris que le papa s’était retrouvé une compagne et me suis dit qu’enfin une femme dans la vie de Lise-Marie allait lui faire beaucoup de bien. Et peut-être l’aider à se rendre compte qu’elle était une fille. Je ne sais pas ce qu’elle est devenue, elle doit être adolescente aujourd’hui, je ne sais pas si cette différence, lui a couté ou pas dans sa vie, je ne sais pas si elle a revu sa maman, je ne sais pas si elle a développé une relation de complicité avec la nouvelle compagne de son papa. Je ne sais pas comment elle a évolué. Mais son histoire restera toujours gravée au fond de ma mémoire. Cette petite fille qui ressemblait à un garçon, tellement triste de ne pas voir sa maman, qui l’avait finalement connue et le choc que ça a provoqué, ce revirement total dans l’esprit de la petite fille. Et ce papa probablement perdu avec tout ça qui a fait son maximum pour inculquer les valeurs qui lui semblait importantes à sa fille, la politesse et le respect, face à une situation que manifestement devait le dépasser. Il essayait de rester droit, et d’être là du mieux qu’il pouvait pour ses enfants.

Anne Petitrésors.

2 commentaires:

Petitrésors a dit…

Merci de m'avoir permis de raconter l'histoire qui m'a beaucoup touchée à l'époque,de cette petite fille pour laquelle j'avais beaucoup d'affection....

Brigitte Dusch a dit…

C'est moi qui vous remercie Anne, d'avoir eu la gentillesse de la partager et de nous l'offrir ! Merci.

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...

Nota bene

Ce blog relate des bribes, des vies en respectant l'anonymat, ce l'éthique et la déontologie de ma fonction
Les événements, initiales, lieux, histoires... sont modifiés.

Il s'agit d'illustrer des situations, un concept, une problématique, un questionnement donnant lieu à une réflexion.
Ainsi toute ressemblance, similitude serait donc purement fortuite.

Vous étes venus

compteur visite blog

map