Et il y a l'amertume
Il n'est pas aisé de définir ce nom commun, il en existe des synonymes bien sûr, mais suffisent-ils ? traduisent-ils vraiment l'éprouvé ? car seuls l'émotion, la perception, le ressenti nous parlent, nous causent ce sentiment qui cause si fort qu'on ne peut le faire taire.
Qui nous taraude.
L'amertume
Elle arrive comme ça, à pas de loup, sans vraiment prévenir, puis nous enveloppe comme une toile de fond, nous envahit et nous absorbe sans qu'on puisse dire vraiment ce qui arrive, Elle est. Elle est en nous, avec nous. C'est un parfum avec pour note de tête une amère tristesse, auquels se mêlent la déception, le découragement, le chagrin, la peine, l'aigreur, l'humiliation, le dépit, la rancœur, la desespérance, l'anenvie.
Mélancolie amère ; c'est une saveur étrange et singulière qui s'empare de nous et nous colle à la peau. Il faut avoir souffert, connu le chagrin et la douleur, avoir eu mal, très mal en soi, dans sa chair et dans son cœur, avoir eu tout ça, en avoir été imprégnés, et être, être encore debout, malgré tout. Il faut aussi s'être tant bien que mal rafistolé, pour en avoir un avant goût.
Il y a toujours néanmoins une ombre présente mais impalpable, fuyante : l'incompréhension, cet étrange sentiment d'injustice,de s'être fait trahir, instrumentalisé, violenté. De ne pas avoir mérité...
Mais mérité quoi ?
Qui mérite de souffrir ? Qui mérite d'être humilié, abandonné, lâché, laissé, rejeté, ou pire oublié ?
C'est un sentiment terrible, un a namour, un dés amour, un non amour. Il y a l'échec de n'avoir pas su, pas pu susciter l'amour, l'admiration, de ne pas exister pour l'autre. Mais quel autre ?
Celui qui justement est la cause ? En est la cause, la cause de ce mal être qui traine et se traine en nous ? L'amertume ? Cette vague qui monte et descend sans toutefois nous emporter, qui laisse ses traces sur le sable, qui se brise sur le rocher coupant et sanglant et nous laisse seul face au désarroi et face à notre souffrance, celle qu'on se crée de toute pièce, qu'on assemble, qu'on bricole et cultive car elle est notre seule raison de vivre, la seule preuve de notre existence au monde.
Nous sommes le débris de la vague, ce "rapporté", laissé, abandonné sur le sable, ce qui reste.
Reliquat, reliquus, reliqua.
Parce que l'amertume c'est ce qui reste, ce qui teste après la souffrance, l'incompréhension de celle ci, l'amer qui est là malgré tout alors même qu'on pense s'en être sorti à moindre frais, sans être trop amoché, mais s'il n'y a plus ce quelque chose qui coince il y a ce quelque chose qui traine, cette langueur inexplicable, ce mal à être à l'autre et au monde, ce découragement acre et amer, cette confusion des sens qui brule les lèvres et le cœur, il y a quelque chose qui consume l'être dans son altérité et sa singularité, un parfum de chrysanthème ensorcelé, l'inespérance d'une quelconque illusion s'il y en avait encore un mince soupçon.
Brume écume, tristesse et saveur amère, goût de fiel sans détour au hasard du chemin de la colère et de la révolte, poison violent et singulier qui s'infiltre et coule dans les veines et devient pesant, mais il est si difficile de s'en défaire, de s'en purger.
Il faut avoir souffert, trop souffert peut-être, il en reste un sentiment indescriptible d'abandon de soi mais de rebellion contre ce même soi et l'autre, une colère contre ce "Je" qui n'a pas su dire non, se battre et s'affirmer, ce "Je" qui s'est laissé défaire, sans avoir combattu jusqu'au bout, mais qui cependant ne veut pas rendre les armes.
Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne.
crédit photo @brigittedusch
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