D'ordinaire on pleure les morts, les disparus, ceux qui ne sont plus. On dit pudiquement "ceux qui nous ont quittés" on ajoute parfois "trop tôt"
Il est toujours trop tôt pour la perte, le deuil, la mort
Car c'est de la mort dont on parle alors, celle d'un être cher, d'un proche, d'un parent, d'un aimé.
La mort. Mourir c'est partir à jamais, pour toujours, sans aucun espoir de revoir un jour celui qui n'est plus de ce monde. Le deuil c'est ça. Admettre ce "plus jamais". Ce définitif, ce pour toujours.
Mais le deuil des vivants ? Comment peut-on renoncer à celui, ceux qui sont encore de ce monde, parmi les vivants, mais plus pour nous. Renoncer définitivement à l'être cher, le parent, l'enfant qui nous a quitté, abandonné, qui ne veut plus nous voir, qui ne veut plus de nous, qui nous a rejeté ?
Comment vivre malgré tout, malgré ça, malgré le chagrin, malgré le vide ? Malgré
Mais vivre ? On ne sait jamais vraiment le mal subi, les dommages causés, les traumatismes ? On n'évalue jamais vraiment le chagrin, les insomnies, les larmes, la colère, la peine, la douleur, la souffrance. Aucune échelle de stress ne peut en donner une indication. C'est indécent !
Pourtant il faut vivre. Vivre ce deuil, celui du vivant.
Admettre qu'il a choisi d'être mort pour nous. Qu'il a choisi ça.
Admettre qu'il faut vivre sans lui, et surtout se protéger, s'éloigner. Accueillir cette douleur pour ne plus souffrir. Vivre sans, vivre avec l'absence. Ne pas se laisser envahir par ces pensées intrusives qui dévaste le corps, l'âme et le cœur. Laisser tomber, lâcher, laisser aller…. Se laisser aller à soi, et rien qu'à soi, car on peut être soi sans l'autre, sans cet autre qui a choisi le chemin sans nous.
Vivre c'est ça, car la vie n'est pas forcément avec cet autre, pas mort, vivant mais absent et qui fait le mort car la plupart du temps il n'ose affronter la vérité, sa vérité, ses mensonges et ses fantômes. Ces ombres qui le hantent, mais qu'il déleste avec aisance pour se sentir plus léger, ces spectres qu'il rencontre au hasard de ses insomnies quand sa conscience sonne à sa porte quelque fois… C'est peut-être ce qui nous rassure ? Mais ne nous guérit pas, c'est pourtant l'indicateur que nous sommes sur la bonne voie
Je ne crois pas à la vengeance, elle ne nous appartient pas, mais la vie se charge bien souvent de rappeler l'ingratitude.
Laisser, lâcher, n'est pas oublier. Et laisser aller le visage, la voix de celui qui a choisi d'être mort, de divorcer de notre vie. Laisser s'en aller la colère, et la peine, car ça n'en vaut pas la peine.
Vivre est un cadeau et il faut choisir la vie. Vivre dans l'espace des vivants, ceux qui le sont pour nous et ceux qui ont envie de l'être pour nous. L'espace des morts loin de la Cité, la nôtre, celle de notre espace intérieur.
Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne
crédit photo @brigittedusch
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