Gustave, je raconte, je te raconte, je parle de toi, il y a si longtemps, mais le temps n'existe pas. Nous sommes toi et moi dans ce "Temps long" qui ma va, qui nous va si bien. Je reconstitue ta vie. J'essaie de mettre des mots et en mots tout ce que je mets au jour, pas à pas, petit à petit. Puis je parlerai de ta vie, de votre vie puis de toi et de vous aujourd'hui, de ce curieux parcours que j'ai mené, avec mon fils. De cette restitution et de cette cérémonie singulière lors de ton Retour de Guerre, 100 années plus tard. Le temps ne compte pas, le temps n'a pas de prise. Ainsi est la vie.. Je t'aime.
Tu es parti un premier août 1914 pour rejoindre ton régiment.
Tu étais vannier, dans un petit village des Ardennes
Tu vivais à Savigny sur Aisne avec ta femme, tes parents
Tu es parti à la guerre... Mobilisation générale
Tu as entendu le tocsin, la cloche de l'Eglise en haut du village, sur la colline qui surplombait ta maison, ta maison non loin de l'Aisne, je crois, j'imagine, que tu habitais là.. peut-être ? Je ferme les yeux et je te vois, je vous vois... tous les deux.
Tu venais de te marier, l'été, juin, Marguerite, bonheur, fête, amour, baiser, espoir, famille, couple, avenir, vie...
La vie, elle a décidé pour toi.
Je t'écris, je ne sais pourquoi, pour moi d'abord, car j'en ai l'envie, le besoin, le désir, j'écris pour te dire, te raconter.
Tu étais vannier, dans un petit village des Ardennes
Tu vivais à Savigny sur Aisne avec ta femme, tes parents
Tu es parti à la guerre... Mobilisation générale
Tu as entendu le tocsin, la cloche de l'Eglise en haut du village, sur la colline qui surplombait ta maison, ta maison non loin de l'Aisne, je crois, j'imagine, que tu habitais là.. peut-être ? Je ferme les yeux et je te vois, je vous vois... tous les deux.
Tu venais de te marier, l'été, juin, Marguerite, bonheur, fête, amour, baiser, espoir, famille, couple, avenir, vie...
La vie, elle a décidé pour toi.
Je t'écris, je ne sais pourquoi, pour moi d'abord, car j'en ai l'envie, le besoin, le désir, j'écris pour te dire, te raconter.
Trois jours, trois jours qui changent tout, une vie, un destin, une histoire, une famille. Trois jours qui bouleversent un avenir. Trois jours !
Il a suffit de ces trois jours. Il m'a fallu du temps pour partir à la recherche et explorer ce temps court, le raconter. Il manque encore tellement de pièce à cet immense puzzle, tant d'infimes détails, dois-je admettre que je ne saurai pas tout, car tout n'est pas écrit, tant de choses se sont diluées dans ce Chaos. Aujourd'hui, il est temps, je crois de réunir ce maigre corpus, et de le raconter. Nous en avons parlé à notre manière toi et moi. Il y a un temps pour tout, et ce temps est là.
C'est avec bien du mal que je retrace ton parcours, celui de ton régiment, le 9° Génie, il y a des manques, des trous dans les Archives. Je reconstitue quelques bribes d'après l'historique de ta compagnie, mais je n'ai pas pu mettre (encore) la main sur son journal de marche. Je ne désespère pas.
Comme tous les hommes d'alors, avec ceux du village vous êtes partis au dépôt pour être envoyé très vite sur le Front, il est vrai qu'il était alors si proche. Départ…. Jusqu'à Noël, nous les mettrons dehors et nous rentrerons très vite.
Depuis le la fin août 14, toi et tes compagnons d'infortune avez été embarqué en automobile pour "faire la guerre de mines à Fontenay les Cappy" pendant huit jours, pas très loin de chez toi, ce chez toi alors occupé par l'ennemi. Ce n'est qu'au 1° octobre que ta compagnie devient indépendante, s'administre et dresse les travaux de fortifications de Souain, d'abris à Sainte Marie à Pye (combien de fois suis-je passée par là). Elle combat, reprend aux Allemands une portion de ligne "le Bonnet d'Evêque". Mai 1916 c'est le départ précipité pour Verdun, tu prends part à l'attaque de la carrière d'Haudromont, puis tu rebâtis ce qui a été détruit. Te voilà reparti pour la Marne, Dormans, ta division participe aux travaux du fort de la Pompelle, et à ceux près du canal au sud de Reims. En septembre 16 vous construisez les fameuses baraques Adrian au camp d'instruction de Ville en Tardenois. Et tu continues à te battre, dans la boue des tranchées que tu as creusées, tu pars à l'assaut, rattaché au 6° corps tu construis les abris dans les ravins au nord de Cléry.. Le 16 avril 17, c'est l'attaque, le cauchemar du Chemin des Dames. Le 21 avril au 4 mai, ce sont les combats aux environs de Braine, la reprise de secteur au nord de Soupir, dans les boyaux menant aux premières lignes, ceux qui t'ont donnés tant de mal. Gustave. Je t'imagine. Je te vois, sur cette crête, au milieu de la fumée, des barbelés, des cadavres de tes camarades. Au feu.
L'historique pour nous deux s'arrête à cet instant. Soupir, secteur de Soupir, tu ne le quitteras pas, tu ne le quitteras plus et c'est là que nous nous retrouverons. Cent ans plus tard. Qu'il fut long ce chemin, le tien, le mien. L'attente, la tienne… L'histoire je te l'ai raconté, à Soupir, ce jour là.
Le 8 mai 1917, offensive sur le Chemin des Dames, la compagnie en attente reprend le secteur au nord de Soupir, le sapeur mineur Gustave L du 9° RG compagnie 6/61 a été blessé par éclats d'obus à "l'entrée des carrières souterraines situées à 1 km N/E de Soupir sur la route de Soupir à Cour Soupir." Il a été évacué le jour même sur l'ambulance n°19/6, secteur postal 176. Le commandant CC du SAMHA m'a adressé ton dossier médical, comportant la nature de tes blessures, des blessures de guerre, horribles comme elles le sont toutes. Lire ce dossier a été une rude épreuve, ces dossiers, j'en ai lu tant, mais celui là, c'est le tien, et c'est insupportable. Les rapports sont laconiques, nous sommes en temps de guerre, en plein combats, dans une ambulance, gare de triage des blessés, ceux qui peuvent être sauvés ou pas, ceux qui pourront être évacués à l'arrière dans un centre de soins, dans un hôpital, ceux qui en auront le temps.
"Hospitalisé pour évacuation de l'ambulance 12/6"à Vauxtin, avec pour diagnostic d'entrée "plaie région carotidienne par éclat d'obus". C'est tout.
Tu y reçois les premiers soins. Il m'est impossible de reconstituer des trois journées, celle de ta blessure, celle que tu passes entre la vie et la mort, et celle ou tout s'arrête… Je ne peux que supposer, penser, imaginer. Mon travail d'historien (mais peut-on rester seulement ça dans ce cas précis ?) s'arrête là. As tu souffert ? Sûrement, sans nul doute, de ta blessure et de la solitude, de tout, j'imagine ton désespoir, ta peur… Au milieu du sang, de la mort, des cris, des râles et de l'odeur de poudre mélangée à celle de la charpie de ces chairs meurtries. Au milieu de cet enfer ! Les mots sont impossibles et inutiles, ils seraient presque indécents. Silence.
Le 10 mai 1917. C'est fini. Les gendarmes et le maire iront je ne sais quand, des semaines, des mois plus tard annoncer le drame à ta femme. Ta Marguerite, ma Grand tante, ma chère Marguerite. Ils lui ont sûrement remis ce que tu portais alors, à l'instant de ta mort : une croix de guerre, un briquet, un couteau, un porte monnaie, un porte feuille de correspondance, 2,50 F
Comme tous les hommes d'alors, avec ceux du village vous êtes partis au dépôt pour être envoyé très vite sur le Front, il est vrai qu'il était alors si proche. Départ…. Jusqu'à Noël, nous les mettrons dehors et nous rentrerons très vite.
Depuis le la fin août 14, toi et tes compagnons d'infortune avez été embarqué en automobile pour "faire la guerre de mines à Fontenay les Cappy" pendant huit jours, pas très loin de chez toi, ce chez toi alors occupé par l'ennemi. Ce n'est qu'au 1° octobre que ta compagnie devient indépendante, s'administre et dresse les travaux de fortifications de Souain, d'abris à Sainte Marie à Pye (combien de fois suis-je passée par là). Elle combat, reprend aux Allemands une portion de ligne "le Bonnet d'Evêque". Mai 1916 c'est le départ précipité pour Verdun, tu prends part à l'attaque de la carrière d'Haudromont, puis tu rebâtis ce qui a été détruit. Te voilà reparti pour la Marne, Dormans, ta division participe aux travaux du fort de la Pompelle, et à ceux près du canal au sud de Reims. En septembre 16 vous construisez les fameuses baraques Adrian au camp d'instruction de Ville en Tardenois. Et tu continues à te battre, dans la boue des tranchées que tu as creusées, tu pars à l'assaut, rattaché au 6° corps tu construis les abris dans les ravins au nord de Cléry.. Le 16 avril 17, c'est l'attaque, le cauchemar du Chemin des Dames. Le 21 avril au 4 mai, ce sont les combats aux environs de Braine, la reprise de secteur au nord de Soupir, dans les boyaux menant aux premières lignes, ceux qui t'ont donnés tant de mal. Gustave. Je t'imagine. Je te vois, sur cette crête, au milieu de la fumée, des barbelés, des cadavres de tes camarades. Au feu.
L'historique pour nous deux s'arrête à cet instant. Soupir, secteur de Soupir, tu ne le quitteras pas, tu ne le quitteras plus et c'est là que nous nous retrouverons. Cent ans plus tard. Qu'il fut long ce chemin, le tien, le mien. L'attente, la tienne… L'histoire je te l'ai raconté, à Soupir, ce jour là.
Le 8 mai 1917, offensive sur le Chemin des Dames, la compagnie en attente reprend le secteur au nord de Soupir, le sapeur mineur Gustave L du 9° RG compagnie 6/61 a été blessé par éclats d'obus à "l'entrée des carrières souterraines situées à 1 km N/E de Soupir sur la route de Soupir à Cour Soupir." Il a été évacué le jour même sur l'ambulance n°19/6, secteur postal 176. Le commandant CC du SAMHA m'a adressé ton dossier médical, comportant la nature de tes blessures, des blessures de guerre, horribles comme elles le sont toutes. Lire ce dossier a été une rude épreuve, ces dossiers, j'en ai lu tant, mais celui là, c'est le tien, et c'est insupportable. Les rapports sont laconiques, nous sommes en temps de guerre, en plein combats, dans une ambulance, gare de triage des blessés, ceux qui peuvent être sauvés ou pas, ceux qui pourront être évacués à l'arrière dans un centre de soins, dans un hôpital, ceux qui en auront le temps.
"Hospitalisé pour évacuation de l'ambulance 12/6"à Vauxtin, avec pour diagnostic d'entrée "plaie région carotidienne par éclat d'obus". C'est tout.
Tu y reçois les premiers soins. Il m'est impossible de reconstituer des trois journées, celle de ta blessure, celle que tu passes entre la vie et la mort, et celle ou tout s'arrête… Je ne peux que supposer, penser, imaginer. Mon travail d'historien (mais peut-on rester seulement ça dans ce cas précis ?) s'arrête là. As tu souffert ? Sûrement, sans nul doute, de ta blessure et de la solitude, de tout, j'imagine ton désespoir, ta peur… Au milieu du sang, de la mort, des cris, des râles et de l'odeur de poudre mélangée à celle de la charpie de ces chairs meurtries. Au milieu de cet enfer ! Les mots sont impossibles et inutiles, ils seraient presque indécents. Silence.
Le 10 mai 1917. C'est fini. Les gendarmes et le maire iront je ne sais quand, des semaines, des mois plus tard annoncer le drame à ta femme. Ta Marguerite, ma Grand tante, ma chère Marguerite. Ils lui ont sûrement remis ce que tu portais alors, à l'instant de ta mort : une croix de guerre, un briquet, un couteau, un porte monnaie, un porte feuille de correspondance, 2,50 F
Elle n'a jamais rien dit, jamais parlé, jamais pleuré, mais toute sa vie, elle t'a parlé, et je me souviens de ses mots qu'elle t'adressait dans son jardin… j'étais enfant, je comprenais, pas tout sûrement, puisqu'il m'a fallu attendre tout ce temps pour arriver à reconstituer un bout de cette histoire.
100 ans plus tard, j'ai fait la route, la tienne, celle de tes combats, j'ai réuni les sources, plans, croquis des combats, des lignes, des carrières, des champs cabossés où tout rappelle à chaque instant ce qu'il s'y est passé. Il n'y a qu'a regarder, écouter, et se laisser guider. Tout est là, tout se passe, on assiste alors spectateur, hors temps à l'intensité de cette redoutable tragédie.
J'ai arpenté seule ces chemins, Craonne, le plateau de Californie, nous avons marché côte à côte. Guidée par tes pas, je n'avais pas peur, puisque tu étais là. Cette expérience singulière restera à jamais gravée dans ma mémoire, comme un cadeau que nous nous sommes offert.
j'ai essayé de reconstituer pas à pas, ce parcours jusque dans le carrières de Soupir, les grottes, les vestiges de boyaux que tu as construit et où tu as perdu la vie. Puis un soir je m'en suis allée vers ce qu'ils appellent la "nécropole 2" Un immense champ de croix blanches, partout… A perte de vue, vous êtes là, malheureux soldats, arrachés à la vie, trop tôt et pour rien. Il règne un curieux silence, troublé seulement par le bruissement des arbres, gigantesques gardiens qui veillent sur vous. Je me dirige vers toi, vers ce minuscule endroit où tu reposes.
Ces retrouvailles c'est le Réel, celui de ta mort. Est-ce la fin de notre histoire ? Devons nous alors nous dire adieu ? Je ne suis pas prête, pas encore, j'ai besoin de temps, je n'ai pas fini, il me faut faire mon deuil, celui de Marguerite aussi, je suis là pour ça. Maintenant je commence à savoir.
Le temps s'arrête, c'est un temps long, différent, une ouverture vers un monde où il n'y a pas de cadre, de limite. Un temps pour ça, seulement pour ça, pour mettre ça.
Je dépose les quelques fleurs des champs et je m'assois, à même le sol puis je t'ai parlé, nous avons parlé, longuement, jusqu'à la nuit, je t'ai raconté, le temps passé, la vie, Marguerite, mes enfants, Anna, mon fils, Sacha, qui m'a aidé à reconstituer ce parcours, j'étais bien, heureuse, apaisée. Je t'ai fait des promesses, j'y travaille encore et j'en suis heureuse. Je t'ai promis de sortir tout ça du silence et c'est fait. Tu n'es plus un simple nom sur le monument que Savigny a élevé en l'honneur de ses enfants morts pour la France. Tu n'es plus seulement quelques lignes décrivant tes exploits qui ont fait de toi un Héros mort pour la France. Tes médailles et ton tableau d'honneur sont revenus dans notre maison, par un curieux hasard, mais le hasard n'existe pas vraiment (c'est une autre histoire que je raconterai). Ils ont retrouvé la place qui leur est due, au sein de ta famille.
100 ans plus tard, j'ai fait la route, la tienne, celle de tes combats, j'ai réuni les sources, plans, croquis des combats, des lignes, des carrières, des champs cabossés où tout rappelle à chaque instant ce qu'il s'y est passé. Il n'y a qu'a regarder, écouter, et se laisser guider. Tout est là, tout se passe, on assiste alors spectateur, hors temps à l'intensité de cette redoutable tragédie.
J'ai arpenté seule ces chemins, Craonne, le plateau de Californie, nous avons marché côte à côte. Guidée par tes pas, je n'avais pas peur, puisque tu étais là. Cette expérience singulière restera à jamais gravée dans ma mémoire, comme un cadeau que nous nous sommes offert.
j'ai essayé de reconstituer pas à pas, ce parcours jusque dans le carrières de Soupir, les grottes, les vestiges de boyaux que tu as construit et où tu as perdu la vie. Puis un soir je m'en suis allée vers ce qu'ils appellent la "nécropole 2" Un immense champ de croix blanches, partout… A perte de vue, vous êtes là, malheureux soldats, arrachés à la vie, trop tôt et pour rien. Il règne un curieux silence, troublé seulement par le bruissement des arbres, gigantesques gardiens qui veillent sur vous. Je me dirige vers toi, vers ce minuscule endroit où tu reposes.
Ces retrouvailles c'est le Réel, celui de ta mort. Est-ce la fin de notre histoire ? Devons nous alors nous dire adieu ? Je ne suis pas prête, pas encore, j'ai besoin de temps, je n'ai pas fini, il me faut faire mon deuil, celui de Marguerite aussi, je suis là pour ça. Maintenant je commence à savoir.
Le temps s'arrête, c'est un temps long, différent, une ouverture vers un monde où il n'y a pas de cadre, de limite. Un temps pour ça, seulement pour ça, pour mettre ça.
Je dépose les quelques fleurs des champs et je m'assois, à même le sol puis je t'ai parlé, nous avons parlé, longuement, jusqu'à la nuit, je t'ai raconté, le temps passé, la vie, Marguerite, mes enfants, Anna, mon fils, Sacha, qui m'a aidé à reconstituer ce parcours, j'étais bien, heureuse, apaisée. Je t'ai fait des promesses, j'y travaille encore et j'en suis heureuse. Je t'ai promis de sortir tout ça du silence et c'est fait. Tu n'es plus un simple nom sur le monument que Savigny a élevé en l'honneur de ses enfants morts pour la France. Tu n'es plus seulement quelques lignes décrivant tes exploits qui ont fait de toi un Héros mort pour la France. Tes médailles et ton tableau d'honneur sont revenus dans notre maison, par un curieux hasard, mais le hasard n'existe pas vraiment (c'est une autre histoire que je raconterai). Ils ont retrouvé la place qui leur est due, au sein de ta famille.
J'aurai tant aimé que tu reviennes ! Mais je sais à présent que tu reposes en paix, Marguerite aussi, et que vous êtes enfin réunis. C'est notre secret, c'est notre histoire à tous les deux.
Je t'aime Gustave.
Ta petite nièce, Brigitte.
Brigitte Dusch, historienne, psychanalyste
Crédit photo @brigittedusch
Ta petite nièce, Brigitte.
Brigitte Dusch, historienne, psychanalyste
Crédit photo @brigittedusch
1 commentaire:
Un récit poignant qui aidera la guérison des blessures de la lignée.
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