"C'est ta langue maternelle ? celle de tes origines ? Tu sembles la parler couramment." Une question souvent posée, une interrogation que je me pose parfois. Mais au fond qu'est ce que cela signifie vraiment ? La langue ? Combien de fois ais je écris ici ailleurs aussi ?Alors quid de cette langue qu'on qualifie de maternelle. Celle qui devrait forcément venir de la mère : Encore ?
Tout est question de langue, et la langue est un bain dans lequel nous sommes plongés bien avant la naissance, c'est peut être une chance, une fusion ou une confusion
La langue ? Ma langue. C'est toute ma question.
Qu'est ce que la langue maternelle, celle de la mère ? Celle du père ? Celle du pays où tu es né ? où tu vis, a vécu ? Celle de ceux qui t on élevés ? Celle que tu as entendue, apprise, celle que tu aimes ? Celle dans laquelle on te parle ou t'a parlé.
La langue dans laquelle tu rêves et tu penses, celle que tu traduis avant de t'exprimer ?
Je n'en sais rien : tout cela peut-être ; certainement pour moi. Depuis mon plus jeune âge je suis au milieu de tout ça, des langues entendues, apprises, des bribes et des souvenirs. Ceux de l'enfance, ceux de ma vie. Elles se mélangeaient allégrement sans nul souci on se comprenait, parfois à demi, mais ça parlait
Alors oui, l'Allemand est ma langue maternelle, celle dans laquelle je pense
spontanément, celle de mes rêves, celle qui me vient, celle de la colère, de la peine et du chagrin.
Elle et moi sommes un vieux couple qui avec le temps, les orages et les tourments entretient une relation bien complexe, qui divorce mille fois mais ne se sépare pas. Comme si la vie sans l'autre était impossible.
C'est une histoire d'amour et de haine, souvent, parfois, mais plus en plus souvent avec les ans. C'est un besoin et un rejet, c'est le souvenir et l'oubli, c'est le passé et le présent, mais il n'y a pour moi plus de futur.
J'ai souvent voulu l'oublier, mais ce n'est pas possible, les mots me viennent et reviennent sans effort, les tournures et les phrases. Je pense et je suis. Je rêve et je pleure et parfois j'écris.
Je n'y peux rien. Il me faut vivre avec ça, amour et haine, affection, tendresse, détestation et colère.
Je l'écoute et j'entends, je peste devant les traductions approximatives, étudiante je privilégiais les ouvrages en allemand plus faciles pour moi qu'en anglais. Pourtant aujourd'hui cette recherche que je fais c'est en anglais que je l'écris, pour des anglais et pour dire la guerre, celle avec l'Allemagne. Va savoir pourquoi ?
Dans mon métier, si je pense seule en Allemand retraduis parfois ce qui m'est dit pour mieux le comprendre et le reformuler, cherche parfois le mot juste, le bon mot en français pour traduire l'idée, je me tourne vers les recherches anglaises, américaines et canadiennes. C'est ainsi
Je lis l'allemand, je regarde le cinéma Est Allemand, je vais à la source. Parfois même nostalgique j'écoute de vieilles chansons de là bas, pleine de souvenirs et relie quelques contes, histoires "Es war ein Mal" j'entends la voix de Marguerite, qui me lie et me raconte, je ferme les yeux.. Apaisement. C'est mon histoire, mon passé et ma vie. Je ne nie rien, n'oublie rien et ne renie rien. Une pièce du puzzle complexe que je suis. Il y en a tant de manquantes, disparues et oubliées qu'il n'est pas question d'en perdre ou d'en jeter encore une. Il ne me reste rien ou si peu de choses.
Je me souviens pourtant de ce jour où cette langue fut pour moi intolérable, une écorchure, une profonde blessure, je ne pouvais l'entendre, je ne pouvais plus la parler, je voulais l'effacer de ma tête, de ma mémoire, de mon être tout entier, me dépouiller de ces hardes là pour toujours.
C'était à Buchenwald. L'entendre fut un supplice. Je ne pus dire un seul mot, rien ne pouvait sortir de ma bouche, et j'avais envie, besoin du silence. J'entendais ces mots, cette langue, celle des bourreaux dans la bouche de ceux qui racontaient le calvaire des victimes. Impossible. Je me dis alors que pour dire tout ça il fallait une langue neutre, je ne sais pas laquelle, peu importe mais pas celle là. Se boucher les oreilles hurler "Ruhe"... je n'ai pas pu.
Cette langue de violence et de haine devait être effacée, rayée, disparaitre au fond des précipices et des gouffres de l'Enfer. A jamais. Ici, dans ces espaces de douleurs et de souffrances; Ce pays bourreau et assassin devait se voir dépouiller de ces territoires qui appartiennent aux victimes, aux survivants et à leurs survivants.
Colère, peine, je ne sais, je n'ai pu verser une larme, pas dire un seul mot. Pétrifiée, tétanisée, j'ai avancé hagarde sur les marches de la mort. Longtemps, en pensant, en voyant en ressentant. Horreur, terreur et frissons.
Terrible épreuve et singulière expérience !
Cette langue est pourtant belle, c'est celle de Goethe avant d'être celle de la haine, c'est celle de Kleist et de la mélancolie. Curieuse histoire que la mienne avec la langue et les langues que je mélange parfois à dessein ou par hasard. Se mêlent alors l'allemand et le russe quelques bribes de roumain et de hongrois ; les langues de Pays Frères, je n'oublie pas. Ce n'est pas simple de divorcer de soi, d'une partie de son être C'est une déchirure, une absence, abandonner un morceau de son être. Je ne sais pas. C'est. Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne Crédit photo @brigittedusch
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