Ils sont partout, et surtout prés de nous. On ne les voit pas, ils distillent leur venin la plupart du temps sous couvert de bienveillance, pour rendre service, aider ou conseiller.
Qui sont-ils ?
Le plus souvent ce sont nos proches, ils ne nous veulent pas vraiment du mal, mais l'enfer est pavé de bonnes intentions. Les sujets anxieux, stressés, angoissés sont une proie aisée tant ils sont vulnérables, perdus, pas sûrs d'eux, submergés et parfois effondrés.
Il n'y a pas en première instance d'intention de nuire, mais plutôt celle d'aider ce qui dans ce cas s'avère pire. L'anxiété et le stress empêchent le sujet de se concentrer, de voir les choses de manière neutres, justes, de prendre une décision. Le stress génère des troubles cognitifs qui ne lui permettent pas de raisonner de manière raisonnable. Mais comme nous l'avons par ailleurs souligné il est parfaitement conscient de ce qu'il vit, il sait aussi que son trouble anxieux potentialise non seulement la situation mais aussi la réponse qu'il pourra y apporter. Ainsi un problème banal de la vie quotidienne va lui paraître insurmontable. Il se sent dépassé, à besoin d'aide et s'adresse d'abord aux proches, familles, amis, bonnes copines ou bons copains, dans l'attente d'entrevoir une éclaircie dans cette nébuleuse.
Lucinda* vient de vivre un deuil douloureux et depuis six mois depuis les difficultés ne cessent de pleuvoir. Elle a tenté par tous les moyens de tenir la barre, de nager un peu au dessus de la vague. "A chaque fois que je sortais un peu la tête de l'eau, boum un autre truc me tombait dessus, financier, démarches, tout, j'avais l'impression d'être maudite et que le sort s'acharnait"
La jeune femme a fait ce qu'elle a pu, continué de travailler "sinon je n'aurai pu ni payer le loyer ni faire face à toutes les dépenses". Elle n'a pas "eu le temps de faire son deuil ni de pleurer les morts " dit-elle, submergée par les démarches, car l'administration, la vie courante n'a rien à faire avec le chagrin. Il y a des délais à respecter, dura lex sed lex ; "je n'en dormais pas, j'avais peur d'oublier, de mal faire".
Elle raconte des mois d'insomnies, de calvaire, de stress, au point qu'elle ne pouvait plus ni manger, ni dormir, ni même penser. 'je n'arrivais plus à rien, je ne savais même plus si j'avais dormi, j'étais en pilote automatique".
Elle s'en ouvre à son entourage qui la plaint, "ma pauvre tu n'y arriveras pas, tu ne peux pas rester là" "tu ne t'en sortiras pas" "c'est trop difficile pour toi, tu vas faire des bêtises" ponctué d'injonctions "il faut, tu dois".
Lucinda se sent perdue, encore plus perdue, "ça ne me remontait pas le moral tout ça, je doutais de moi, de mes capacités, on me prenait pour une idiote, une pauvre fille"
Elle expose sa souffrance, sa colère aussi. Je lui fais remarquer que compte tenu de ce qui arrive dans sa vie, aussi brutalement et douloureusement, son état, sa fatigue sont compréhensibles. Nous parlons du deuil, du temps, de son "droit à être mal, fatiguée, en colère et se sentir dépassée, et de demander de l'aide aux personnes qualifiées pour lui répondre, elle aura ainsi une réponse "d'expert".
Persévérante elle poursuit la route, trouve les bons interlocuteurs, explique, obtient l'aide et ressens de la satisfaction. enfin elle "en voit le bout". Heureuse d'avoir pu avancer, Lucinda éprouve une certaine fierté "ouf, j'y suis arrivée, j'ai eu raison de ne rien lâcher... je vais pouvoir enfin penser à moi, me reposer".
Elle informe son entourage que les soucis et les problèmes rencontrés sont en passe d'être résolus et s'attend à ce que ces "amis" et parents soit heureux pour elle. Hélas tout ne se passe pas comme prévu !
"J'étais enfin détendue, bien, je décide d'appeler M pour lui dire, je lui avais tellement parlé de ces papiers, de mes insomnies, de ma peur de ne pas savoir faire, alors toute contente je lui raconte...." Mais M par je ne sais quel tour de magie, réussit à mettre le doute dans l'esprit de son amie :
- " Tu es sûre, moi je n'ai pas fait comme ça, tu te trompes, tu n'as pas su lire, tu vas avoir des soucis"... Et autres phrases aux conséquences assassines
S'engage un dialogue où personne n'entend l'autre, peu à peu Lucinda qui est sûre d'elle 'puisque tout a été fait avec la personne compétente" perd pied malgré tout. Un monologue fait de ruminations l'envahit et elle s'effondre, dépitée, remettant en cause les rendez vous avec les agents, les documents remplis, ne trouve pas, ne comprend pas...
Finalement très en colère elle raccroche le téléphone et tombe en larmes.
Lucinda allait mieux, elle commençait à reprendre un peu confiance en elle, à s'affirmer, à éprouver le bien être d'avoir su faire, et bien. Alors comment le doute peut-il s'installer ? Comment les mots de l'autre ont-ils pu être des obus destructeurs ? Pourquoi cet autre a t'-il éprouvé ce besoin de contredire une vérité ? "vous vous rendez compte elle savait mieux que cette personne dont c'est le métier"
Après une nuit d'insomnie et "une journée pourrie" elle reprend toute la situation et applique la méthode enseignée lors des séances. Raisonne, dissèque, classe... voit les choses telles qu'elles sont, les faits, rien que les faits.
Puis peu à peu dit-elle tout effectivement est clair.
Mais il lui reste cette amertume, celle de ce dialogue qu'elle dit fou avec M qui lui a reproché de ne pas lui faire confiance "à elle qui a toujours été là pour l'entendre pleurnicher" induisant chez la jeune femme une grande tristesse mais surtout culpabilité.
Lucinda reconnait que cette scène est d'une violence inouïe, que son amie l'a maltraitée, et qu'elle ne mérite pas ça. Elle décide alors de le lui dire, et d'interrompre une relation qui était toxique, ce qu'elle n'avait pas réalisé jusque là. Car "c'était en fait tout le temps comme ça avec elle, ce n'était jamais bien, elle me disait "tu as pris ce pull vert : tu es bien sûre, car le jaune t'allait mieux " M. a t'elle vraiment écouté son amie, ses besoins, ses désirs ? L'a t-elle considérée comme une amie ?
C'est en effet une bonne question dont la réponse appartient à Lucinda. Mais cet exemple montre comment et combien les personnes proches peuvent faire mal, faire douter de soi et instiller le doute dans nos décisions, nos démarches et nos choix. Cette proximité, amitié, sentiment nous rend forcément encore plus mal à l'aise et nous font douter de nos capacité. "C'est pour notre bien" ? C'est ce que nous croyons tous. J'insiste tout particulièrement dans le cadre de l'anxiété, car le sujet stressé ou angoissé multiplie les démarches, les plaintes, pour chercher de l'aide et apaiser son mal être. Au lieu de le rassurer ces réponses augmentent son stress et lui font ressentir des émotions désagréables au point qu'il se sent davantage perdu.
L'entourage fort heureusement n'est pas forcément toxique, mais on ne se méfie pas, du moins on baisse la garde, ce qui est heureux. L'anxiété, une difficultés une épreuve nous tourne naturellement vers la famille et les proches. Pourtant ! Cet exemple n'est pas le seul et montre combien le sujet anxieux est fragile et vulnérable et qu'il peut facilement perdre le contrôle.
L'anxiété est une souffrance qu'il ne faut pas prendre à la légère, elle ne peut être que passagère lors d'un évènement de vie, mais peut s'installer au point d'envahir le sujet. C'est pourquoi il importe de arrêter pour tenter d'y remédier pour retrouver rapidement le plaisir de vivre.
* Le prénom a été modifié
Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne
Crédit photo @brigittedusch
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