La désillusion intime
désillusion
intime
: celle de découvrir que l’appartenance spirituelle ou identitaire
ne protège pas de la bassesse humaine — qu’on peut être blessé,
trahi, rejeté, par
les siens,
et que cette douleur là, paradoxalement, est parfois plus vive que
celle venue d’un adversaire déclaré.
Il
y a parfois plus de violence chez les nôtres que chez ceux qui nous
haïssent.
Peut-être parce qu’ils croient défendre une
pureté qui n’existe pas.
Ils jugent, tranchent, excluent, au
nom d’un D. qu’ils ont oublié d’écouter.
Je ne leur en
veux pas, mais je m’éloigne d’eux.
Car je sais, au plus
profond, que la foi n’est pas un mur, ni un drapeau, ni une
identité qui sépare mais un souffle qui relie.
On ne naît
pas juste parce qu’on se croit élu ; on le devient quand on
choisit de rester humain.
Et
pourtant, derrière cette mosaïque d’histoires, de visages et de
terres, il y a une faille.
Celle que l’on découvre lorsqu’on
croit avoir trouvé sa famille spirituelle, et qu’on y rencontre le
rejet.
Je l’ai
éprouvée plusieurs fois cette désillusion intime.
Au goût de trahison.
Elle ne venait
pas d’un ennemi, ni d’un étranger, mais d’un frère, d’une
sœur, d’un des miens.
Une parole, un geste, une exclusion
silencieuse ou brutale, d'une violence absolue peu importe la forme, la blessure reste la
même : celle d’être renvoyée hors du cercle alors qu’on y
cherchait refuge.
Etre juif, être croyant, être dépositaire d’une tradition millénaire n’exempte personne de la part d’ombre, ni de l’orgueil, ni du jugement. Ce n’est pas la judéité, ni aucune foi, qui fait l’homme bon, mais le travail intérieur, la conscience, le rapport à D. et à autrui.
Je
n’avais rien à prouver, sinon ma sincérité.
Mais certains
confondent la foi avec l’appartenance, la piété avec le pouvoir,
la pureté avec le contrôle.
Et alors, ce n’est plus D.
qu’ils servent, mais l’image qu’ils se font de Lui.
Il y a parfois plus de violence chez les nôtres que chez ceux qui nous haïssent.
Cette phrase m’a longtemps hantée, avant que je ne
l’accepte : elle ne condamne pas, elle constate.
Elle dit la
difficulté d’un peuple dispersé de se reconnaître dans ses
différences, la peur qu’il a de se perdre et qui le pousse parfois
à rejeter ce qui lui ressemble trop.
J’ai
compris alors que l’exil ne vient pas toujours de l’extérieur.
Il
commence parfois dans le regard des siens, quand ils ne te
reconnaissent plus.
Mais c’est dans cet exil-là que se
réaffirme le vrai lien — celui qui ne dépend ni du lieu, ni du
groupe, ni du rite, mais de la lumière intérieure qui ne s’éteint
pas.
Et c’est sans doute là, dans ce silence douloureux, que la foi devient prière véritable : celle de continuer à aimer malgré tout, même blessée, même seule
Alors, j’ai repris la route.
Pas celle des lieux, mais celle du
dedans.
Quand tout vacille, il reste le mouvement, la marche, la
fidélité à ce qui brûle encore — même faiblement — au fond
du cœur.
L’exil,
je l’ai compris ce jour-là, n’est pas seulement une distance
géographique.
C’est une séparation intime, un arrachement de
l’âme à ce qu’elle croyait solide.
Mais de cet arrachement
naît une autre forme d’attachement, plus vaste, plus nu : celle du
lien invisible, du pays intérieur.
Aujourd'hui, la dissonance est insupportable, la désillusion intime appelle la brûlure de lucidité, nécessitant de rétablir une cohérence intérieure.
Croire, dans ce monde de fer et de bruit, relève presque de l’utopie, que je peine encore à croire en l'humanité et aux intérêts que j'ai servi toute ma vie
Brigitte Judit
Crédit photo : @brigittedusch
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