Je viens de terminer "Ainsi fut fait" un livre que je ne connaissais pas il y a quelques mois encore
Un livre que m'a fait découvrir son auteur Nathalie Gendreau, lors de notre rencontre en septembre, à Pons...
Une belle rencontre, innattendue et tellement agréable ! Je lui fis part alors de toute mon admiration, des émotions ressenties lors de la lecture de son roman "la peau d'Anna".
Je lui dit combien j'ai aimé sa manière d'écrire, de dire, de raconter cette histoire là, je lui ai dit tout ça.
Je crus qu'Ainsi fut fait, était son dernier livre, non, c'était le premier..
Je parcourus... Et le reposais.
Non, je n'étais pas prête, je ne me sentais pas capable, pas en mesure de lire ça, d'affronter ça.. Même si j'ai fait du chemin dans cette voie là..
Mais là non c'était trop difficile, trop compliqué
Je repartis cependant avec un marque page... Avec le résumé de ce premier roman sur le recto, et celui de la Peau d'Anna, au verso, ou le contraire.
Il est là, prés de moi, encore au moment où je rédige ces lignes.
Une histoire ? Non, pas seulement, un témoignage, une reconstruction, un passé meurtri...
Non, pas pour moi, pas encore..
Puis, je me procure le livre... le laisse, le range dans la bibliothèque, je n'y touche pas, je ne le lis pas..
Comme si nous cherchions à nous apprivoiser, mutuellement, lui et moi, avant de se rendre au rendez-vous..
Avant cette rencontre...
Puis je le sors, le laisse sur mon bureau, mon fils, le regarde....Le repose, grâve, me regarde..
je me décide enfin.. En fin...
Comme pour la Peau d'Anna, il m'est difficile de le quitter, de le poser, mais c'est différent... C'est difficile.
Je le lis en quelques jours, pas tout d'une traite, je ne peux pas.
La nuit dernière j'ai fais des cauchemars, j'ai révé de la guerre, des allemands, des camps... De tout ça, pas du livre, pas seulement.
Puis j'ai terminé le livre...
J'ai lu, avide, dévoré les mots, les larmes aux yeux, puis qui coulaient lentement le long de mes joues...Les larmes d'une mère sans doute, les larmes du désespoir aussi, de l'inhumanitude... Parce qu'on ne peut parler ni d'humanité, ni d'inhumanité. Alors faut-il user d'un néologisme pour rendre compte de l'inacceptable ?
Les mots restent indicibles, superflus, de trop.
Ecrit sans pathos, écrit simplement, écrit terriblement
Des lettres, celles de l'auteur, Samuel Szajner, Robert... Des réponses... Seulement des réponses, une seule partie de cette correspondance échangée avec l'auteur.
Des lettres écrites aujourd'hui (2005 et 2006) où le viel homme revisite son passé, se confie, se raconte, livre l'histoire de l'adolescent qu'il était alors, d'une jeunesse qui n'en n'est pas une, ou les jours passent dans l'horreur de se demander s'il y aura un demain.
Il explore l'âme humaine dans ses moindres recoins, découvre l'homme, le meilleur et le pire de lui même.
M. Cyrulnik parle de résilience, je parlerai ici de résistance, d'une farouche volonté de vivre, de ne pas plier, même si l'échine est courbée pour mieux supporter les coups et l'humiliation des SS.
Samuel fait semblant. Semblant d'être un autre, un Robert, qui cache le Samuel qui n'a plus le droit d'ête, le Samuel interdit qui n'a pas le droit d'être, le Samuel dénié. Un Robert qui garde Samuel en vie.
Il prend la peau d'un autre, une sorte de peau d'âne là aussi, une bête de somme, pour se tenir debout et être vivant, revoir les siens, revoir sa mère...
L'histoire d'une vie, mais aussi et surtout d'une quête, celle d'un passé, d'une rencontre avec ce jeune homme là, ce passé non pas oublié ni refermé, mais laissé de côté. Il lui en a fallu sûrement du courage à ce vieil homme pour partir à la rencontre de ce jeune garçon...Il ne le voulait pas, mais c'est laissé gagné par cette jeune femme aussi têtue que lui, à la recherche de son passé elle aussi. A la recherche d'une grand mère, une femme, qui les lie, les relie, qui fait qu'ils ont quelque chose en commun, quelque chose à se dire, à s'apprendre aussi l'un de l'autre.
Qu'ils sont fait pour se rencontrer un jour...
Ils se livrent mutuellemement, se parlent et se confient au fil des échanges épistolaires, ils se construisent aussi, se reconstruisent peut-être... Sûrement
Comme si l'histoire de l'un allait à la rencontre de celle de l'autre !
Affronter l'indicible ! Affronter ce qu'on a depuis toujours empêché d'arriver à la mémoire, de revenir hanter le présent, mais laissé en friches dans le vaste continent noir de notre inconscient; Par peur, angoisse, peut-être, pour se protéger sans nul doute.
Mais se protéger de quoi ? De la peine, des larmes et de la souffrance ? Sa propre souffrance, éviter de verser des larmes sur soi ? Honte ? Peur ? crainte ?
Insomnies.. Cauchemar..
Peur de rencontrer ce réel cette réalité qui fait mal tellement elle est vraie
Peur de rencontrer ses fantômes, peur de les affronter, peur de leur faire la peau...
J'ai lu ce livre, il ne m'a pas réconciliée avec les hommes, avec l'humanité, il est vrai que parfois je n'ai plus guère d'illusion, l'actualité ne m'y aide guère.
Mais là ? je n'ai pu m'empecher de penser à mon père..Mon père qui ne parlait pas, qui n'en parlait pas. Mon père sur son quai de gare? C'est peut-être pour lui, ou à cause de lui, pour ce petit garçon que j'ai peur, pour cette jeunesse perdue, cette insouciance confisquée ?
Confisquée, volée, ravie, à tout jamais..
Misérable pécule donné aux déportés... Cette misérable somme qu'on donne à Robert, pour compenser cette terrible parenthèse, cette folie des hommes...Le prix de cette mort là, de la mise en sommeil de la vie ? Le prix du sacrifice, du sang des hommes ? De la folie des bourreaux cautionnnée par le silence et l'aveuglement des autres ? De ceux qui n'ont rien vu, ni voulu voir ?
Misèrable pécule en échange de quoi ? De la peau de l'autre ?
Et puis l'écoeurement me saisit, une vague envie de vomir, la nausée de cette humanité là...
Samuel parle de Buchenwald...
Ces images résonnent ! Les images des forêts qu'il a traversé, sans doute, à pieds, usé, épuisé avec ses camarades d'infortune dansent devant mes yeux, il était là, avait foulé des années plus tôt, le même sol que moi.
Je revois le clocher de Wiemar... Thuringerwald..
Et je me mets à detester la langue allemande, langue dans laquelle souvent je penee, souvent je rêve, je pense alors à Margurite/Léa ma grand'tante, qui ne la parlait plus ces années là...
Je revois mes démons, les diables qui m'agitent,qui pendant des années, m'ont empechés d'ouvrir ces tiroirs là, m'ont empechés de voir clair dans ces ténébres la... Diables et démons seigneurs des enfers ?
Ce qui jusqu'ici m'avait empéché d'ouvrir ce livre là...
Pourtant je sais depuis longtemps que cette histoire n'est pas la mienne, pourtant... Je sais pour toujours que nous portons à jamais au plus profond de nous les stigmates de ces plaies, cicatrices jamais fermées, plaies béantes de l'histoire la plus sombre de l'humanité.
Merci à Nathalie Gendreau d'avoir avec tout le talent qui est le sien raconté cette histoire, celle d'un homme mais pas seulement, d'avoir mis des mots et mis en mots cette reconstruction. De nous avoir permis d'exhorciser ces maux terribles.
Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne
A Nathalie Gendreau...
A mon père et aux autres...
Nathalie Gendreau, Ainsi fut fait. D'aprés la vie de Samuel Szajner, éditions Jean-Claude Gawszwitch, 260 p. 19,90 E
L'Etre humain est unique, chaque rencontre est unique, c'est un éternel recommencement, une aventure nouvelle à chaque fois
Psychanalye Aujourd'hui
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne
Accompagner le désir d'être Soi
"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir
Mon livre : "j'aime ma vie"
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Nota bene
Ce blog relate des bribes, des vies en respectant l'anonymat, ce l'éthique et la déontologie de ma fonction
Les événements, initiales, lieux, histoires... sont modifiés.
Il s'agit d'illustrer des situations, un concept, une problématique, un questionnement donnant lieu à une réflexion.
Ainsi toute ressemblance, similitude serait donc purement fortuite.
Les événements, initiales, lieux, histoires... sont modifiés.
Il s'agit d'illustrer des situations, un concept, une problématique, un questionnement donnant lieu à une réflexion.
Ainsi toute ressemblance, similitude serait donc purement fortuite.
1 commentaire:
Merci pour cette critique, un beau livre sans aucun doute et vous avez su si bien en parler.
Enregistrer un commentaire