Les pauvres gens... Sans nom et sans grade...
Ce sont ces inconnus, anonymes de l'Histoire que je rencontre au hasard des recensements, des Archives, des actes, de naissances, de décés, de mariages. Bonheurs et tragédies, rires, chagrin et larmes à la mort d'un nouveau né... Nés de père inconnu, enfant légitime... ou non...
Héros d'une vie, d'un évènement sur le théâtre du quotidien de l'histoire, que l'Histoire n'a pas retenu, n'a pas convoqué pour écrire, pour s'écrire, mais pourtant.
Tout ceux qui ont fait le passé, le nôtre. Ces "gens de peu" comme les nomment ceux qui ont un peu plus, ou croit en avoir davantage. Ces gens nombreux qui ont animés et fait vivre les villages des campagnes de France, dansés, pleurés. Qui ont fait. Qui les ont fait.
Ces gens qui ont été.
Mes recherches me conduisent vers ces archives là, vers ces traces là, souvent les seules qu'ils aient laissées à une postérité qui ne se soucient plus d'eux. Mais le présent s'en est-il soucié ?
Qui sont-ils ? Laboureur, cantonnier, chef cantonnier, couturière, ménagére, menuisier, vannier, manoeuvrier... Des métiers qui n'existent plus et ne feraient plus vivre...
Hommes, femmes, enfants...Familles.
Les Archives sont vivantes à qui sait les lire, les décoder, les écouter pour leur rendre âme et vie. Les Archives sont la vie passées et renferment tant de secrets, de peines, de joies de bonheurs et de larmes qu'est la vie de chacun d'entre nous.
Travail de l'Historien encore. Partir à la rencontre de ces hommes, femmes, enfants et comprendre leur histoire, leur vie. Mettre en images, mettre des mots sur les images. Faire revivre ce passé pour le comprendre et peut-être mieux saisir ce qui a été pour expliquer ce qui est.
Depuis plusieurs mois je suis plongée dans ce début du XX° siècle, qui je le pense n'a vraiment commencé qu'en 1919, après cette guerre mondiale qui changea le monde, les hommes et les sociétés. Elle marque je crois un tournant fondamental moral et éthique, une articulation sur un monde nouveau où l'homme occupera une place différente. Elle réveille ce Thanotos endormi, ces pulsions de haine et de destruction. Le Mal a été libéré pour s'incarner quelques décennies plus tard, dans une violence inouïe, à peine pensable, imaginable... Où l'homme a montré le pire de lui même, la Bête immonde qu'il peut-être et devenir sans grand peine.
L'historien est le passeur, le témoin, mais pas le spectateur ! Il prend part à ce qu'il découvre, car ce qu'il voit, ce qu'il lit ne peut le laisser indemne. Il appartient alors au témoin de transmettre le message, de témoigner de ce passé qu'il vient de côtoyer.
Un rôle difficile et complexe car il se doit de rester neutre, sans être bienveillant vis à vis des événements, relater les faits et rien que des faits, ne pas juger mais analyser au prisme du contexte et tenter de penser avec l'esprit du moment, non le sien... D'une infinie difficulté, un exercice terriblement compliqué aux limites du possible. L'objectivité, comme l'ici et maintenant est la pire des ascèses. Ne pas se laisser envahir par ses émotions, son chagrin et sa peine aussi, sa colère, son parti pris.
Transfert, le transfert de l'historien existe bel et bien. Je lui avais consacré un chapitre dans ma recherche sur la duchesse de Longueville... Transfert et contre transfert, amour et haine.
L'histoire serait-elle aussi une question d'amour ?
Lire les Archives et l'histoire qu'elles nous racontent ne laissent pas indemnes, évidemment.
Alors que dire des pauvres gens ? Comment reconstruire leur histoire, leur passé, quelles traces, empreintes nous ont-ils laissés ? L'histoire de France et d'ailleurs s'intéresse aux monarques,princes du Sang ou autres Grands ne retenant les petits que pour comptabiliser la misère et les guerres, ce qui va la plupart du temps de pair. Pourtant ce sont bien ces armées de Pauvres gens, des villes et des campagnes qui ont bâtis le monde, à la sueur de leur front et de leur âme.
Que dire des pauvres gens ? Qui nous ont laissés peu de choses, avec bien de la chance, quelques lettres, un journal, les cartes postales.. Près de nous, un peu plus près quelques histoires qu'on transmets, légendes familiales qui parfois se perdent dans les méandres de la langue et des mémoires.
Que dire alors ? Comment écrire ? Comment construire ?
Partir de quoi ? Pour aller où. Si les Archives parlent, elles ne comblent pas le manque, celui de ce qui s'est passé, ce qui a été vécu. Il manque tellement de manques !
Que dire, que faire et que raconter à partir du manque, reconstituer un métier, un art, une vie est possible, mais la vie intime, l'intimité du quotidien.. Elle peut l'être également si nous disposons de suffisamment de matière ce qui est loin d'être le cas pour ces gens qui ne savaient pas écrire parfois.
Alors admettre qu'on ne saura pas, car Clio ne peut imaginer, écrire une fiction, elle peut au mieux supposer, poser des hypothèses.
Sans émotions... L'historien fait alors fi de sa propre perception, il ne peut rien dire de la mort de ce bébé de 2 mois... de cette femme morte le jour de la naissance de sa fille, ces prénoms identiques à celui du père de la mère ou du dernier né... Le psychanalyste comprend, relie... tente une approche mais l'historien ?
Il ne peut pas mettre de mots sur l'éprouvé, la tristesse ? Peut-être ? Il ne peut rien dire sur ces familles où des enfants naissent chaque année et meurent au rythme des hivers. Ils met en mot des chiffres. Des dates, des noms, c'est déjà ça..
Alors quid de l'histoire de ces "pauvres gens" de tous ceux qui ne nous ont rien laissé si ce n'est que l'humble trace dans les registres des Archives du lieu de leur vie.
Frustration extrême, déception souvent.
La tâche de l'historien est ingrate parfois ; nous devons faire avec ces manques, ces trous, ces vides, ces sources qui ne sont plus.
Faire avec le sans, écrire avec ce qui est là, présent, présent du passé, ce que cet avant nous a légué ou pas, ce qu'il en reste. Ecrire l'histoire avec les reliquats du passé.. et ne pas extrapoler, combler...
Ce ne serait alors plus de l'Histoire mais du roman.. L'histoire dans l'Histoire...
Et celle de ces pauvres gens est de ces histoires perdues dans le trou noir, le tourbillon des ans qui passent qui ne laissent que peu de traces si ce n'est celles inscrites dans les monuments dédiés aux morts. Mais ceux là, dès lors... Ne sont plus anonymes...
Brigitte Dusch, historienne, psychanalyste.
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Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne
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Nota bene
Ce blog relate des bribes, des vies en respectant l'anonymat, ce l'éthique et la déontologie de ma fonction
Les événements, initiales, lieux, histoires... sont modifiés.
Il s'agit d'illustrer des situations, un concept, une problématique, un questionnement donnant lieu à une réflexion.
Ainsi toute ressemblance, similitude serait donc purement fortuite.
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