Léthé :
L’oubli
Pour engloutir mes
sanglots apaisés
Rien ne me vaut
l'abîme de ta couche ;
L'oubli puissant
habite sur ta bouche,
Et le Léthé coule
dans tes baisers.
( Charles
Baudelaire, Les Fleurs du mal, Le Léthé)
ll y a ce creux, au milieu d’une vague, un vide profond, une absence, un manque.
lnconnu, loin, parti. Oubli.
ll n’est pas question d’interroger la mémoire, elle n’est nullement défaillante. Elle n’est pas. Elle ne peut pas être convoquée ; pas dans cette histoire là, car justement il y a une rupture : Une rupture de l’histoire, dans l’histoire qui se poursuit dans et avec le manque.
L’oubli dont il est question ici frôle la mort, c’est s’en approcher au plus près sans basculer complètement. Pourtant ce n’est pas volontaire, on ne se rend compte de rien. L’oubli tombe comme un couperet sans prévenir et anesthésie sans crier gare. Il y a une part de mystère et de crainte envers ce que nous ne pouvons maitriser, devant l’impuissance à être. Etre soi, être un sujet pensant. Pensant tout ; à tout. Pensant le manque éventuellement possible. Un lâcher prise qui relève du laisser aller, en flottant dans des nébuleuses inconnues. Un laisser aller ? Mais pour aller où ? Où aller dans l’incomplétude de soi ?
De quoi fait-on la terrible expérimentation ? De ce membre abandonné et oublié sur le champ de bataille de sa mémoire.
Quid de cette mise de côté ? De cette demie mise à mort d’une partie de soi, reléguée au fond d’un tiroir dont nous n’avons peut-être jamais eu la clé ?
ll y a l’oubli, Léthé, l’étais ailleurs, mais où ? Pour oublier les temps mauvais en attendant l’été.
Léthé. Tu m’as pris le temps, tu m’as emporté dans un tourbillon, assommé, anesthésié, un coup de dé ?
Destin, destinée, fatum, fatalité. Oublier pour ne pas sombrer complètement.
Mise à côté, en marge, mise sur la touche, mis au ban de la mémoire.
Pour ?
La vérité, le réel se logent-ils dans l’essence de l’oubli ?
Que c’est –il passé dans ce temps coupé, dans ce temps qui n’est pas complet ? Amputé d’une partie de lui-même laissé là gisant sur un rivage noir et inconnu. Aux portes des Enfers ?
Oubli ? Morceau de vie volé ? Kidnappé ? Un rapt, celui de la mémoire, celui des gestes, des émotions, des perceptions ? Un moment de vide oublié. Tout s’écoule lentement dans la tourmente du manque.
Une curieuse sensation car ce vide, ce creux n’existe pas, n’est plus. Il ne reprend vie qu’au réveil.
Brutal et violent ! choc ! retour au réel, à l’exis-tence, à la vie. Tout se remet en marche.
Le vide abyssal s’installe car le temps de l’oubli l’avait rendu imperceptible, le voilà qui cogne et qui interpelle, qui se rappelle.
Le des-oubli.
L’oubli est-il alors le catharsis ?
Le salvateur ?
Celui qui permet à Eros de vaincre Thanatos ?
Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne
Crédit photo @Brigitte Dusch
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