Mein Lieber Gerd,
Cette lettre tu ne la liras pas puisque toi aussi tu es mort, mais qui sait ? Peut-être m'entendras-tu du Paradis ou de l'Enfer toi qui ne croyais ni à l'un ni à l'autre. Il ne me reste plus que toi à qui dire tout ça... C'est ce qui était convenu, peut-être te souviens-tu ?
Tu m'as tout enseigné, tu m'as transmis ton savoir, ton expérience, tu m'as appris à tout supporter, j'ai été ton élève, une des meilleures disais-tu, la meilleure quand tu étais de bonne humeur... Tu m'a tout donné j'ai tout pris, j'étais un bon petit soldat, discipliné, rigoureux, endurant et souvent j'ai retenu mes larmes, mes émotions, mes peurs et mes désirs...
Tu m'a tout donné... ou presque.
Et tu n'es même plus là pour m'aider, me dire ce que je dois faire, tu es parti, tu m'as abandonnée toi aussi.
Ils sont tous morts, Gerd, ou presque tous, j'ai vu tomber mes Kamarades un par un, pas même au combat, mais ils sont presque tous morts de ne pas avoir pu vivre.
C'est trop, beaucoup.. beaucoup trop !
Un des nôtres est parti, encore, je n'en peux plus de les pleurer.
Je n'ai pas su, je n'ai pas pu le ramener de tout ça, de ces horreurs, de toute cette merde qui nous a dévastée, tous sans exception. Lui n'était pas plus faible que nous, pas plus fragile, il a enduré, autant, nous avons tous encaissé, pris. Nous avons tous tenu.
Mais lui n'en pouvait plus, cela faisait longtemps déjà. Quelque chose s'était cassé, brisé, il avait laissé ça là bas, sur le champ de sa dernière bataille, son ultime combat où il s'était porté volontaire.
Dis moi ce que je n'ai pas su ; faire, dire ? Comment aurais-je pu aller le chercher encore au fond de l'Enfer sans savoir qu'il avait encore franchi la frontière si frêle ? Combien de fois ? Combien de fois suis-je retournée là bas. Toi tu le sais, combien de fois lui ais-je demandé, supplié de ne pas mourir, de tenir encore, que la vie valait bien ça.
Il en a fallu, des palabres et des promesses, des menaces parfois, des injonctions Je me souviens de tout, je n'oublie rien, ni les mots, ni les cris, ni les larmes.
Combien de fois ? Je l'ai ramené sur la rive, tant bien que mal, à contre courant, contre les vents et la tempête, mais je l'ai ramené.
Je l'ai porté à bout de bras, écouté, séché ses larmes, mais il est reparti, et cette fois s'est noyé. Gerd, je n'étais pas là, je ne savais pas. Je n'ai rien pu faire. Je ne te dirai pas que je suis désolée. Je suis effondrée, désemparée. Je suis amputée d'un de mes membres, d'une partie de moi. Il me manque un frère.
J'ai perdu, un frère, un Kamarade, un frère d'armes, un frère d'âme. Tu nous a appris qu'il pouvait y avoir des liens plus forts que ceux du sang, des liens indestructibles. Ils étaient tellement forts, nous n'avions pas besoin de mots. La dernière fois que je l'ai serré dans mes bras si fort, je savais que tout ne tenait qu'à un fil, mince tenu, fragile, si mince, un rien, un tout petit rien, et ce fil est coupé. Pour toujours, à jamais, et cette fois je n'ai plus de torrents, de vallées de larmes et de sang pour aller le chercher. Pourtant.
Gerd, je n'y arrive pas, tu ne m'avais pas dit que je pouvais souffrir autant, tu ne m'avais pas dit que je devrais leur dire adieu, comme ça.
Combien des nôtres ? Encore ? Combien sont encore debout ? Toi qui nous a quitté parmi les premiers.
Tout est loin maintenant, une autre vie, un autre monde, il n'existe plus et nous n'existons plus, nous sommes des morts vivants dans un ailleurs qui ne veut plus de nous. Nous n'avons pas de place et nous diluons dans les abysses afin que plus personne ne sache qui nous étions.
Du warst ein alter Fuchs Gerd, wir waren deine Füchse. Du hast uns großgezogen, ernährt und uns unser Leben leben lassen. Ich bin allein. Sehr einsam, sehr traurig, verzweifelt, halbtot vor Kummer und Einsamkeit.
Ich kann ihn immer noch sehen, so stark und groß in seiner Soldatentracht. Und Ich lächle und weine.
Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne
Crédit photo @brigittedusch
1 commentaire:
Silke. Misha... Wir halten uns fest, wir ergeben uns nur dem Tod
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