Psychanalye Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

samedi 28 juin 2008

Etre mère

Naissons nous ainsi ? Ou le devons nous ?
Etre mère ? Devenir mère ?
Et si on le devient ? Comment le devient-on ? Ou comment ne le devient-on pas ?
La maternité, faire, attendre, donner naissance à un enfant, ne fait pas d'une femme une mère.
Mettre au monde ne rend pas mère....La femme qui accouche le deviendra peut-être, ou ne le deviendra pas. Qui le sait ? Elle ne le sait peut-être pas encore.
Elle peut le devenir, puis ne pas le rester. Sentiment fugace, douloureux, difficile et complexe.. Que la mèritude...

Durant des siècles, des millénaires et aujourd'hui encore on entretient ce mythe de l'amour maternel, de l'instinct maternel, de l'amour de la mère pour son enfant, du sacrifice de celle ci.
La mère qui n'est pas suffisamment mère, qui ne le montre pas à voir, qui n'est pas perçue comme telle est dénaturée .

Alors on s'émeut, on crie au scandale devant celle qui abandonne ses "petits"qui les rangent au fond du congélateur, qui les étrangle, les mettent à la poubelle, ou dans le fond de la cuvette des WC où elles viennent se délester de leur fardeau !
On s'interroge sur le degré de détresse, de solitude, de folie de ces femmes qui selon l'opinion publique ne méritent pas le titre de mère !
Ne décerne t-on pas ce titre ? Ce mérite ? Aux mères de familles nombreuses, qui ont fait assez d'enfants, de fils pour aller à la guerre et défendre les intérets des puissants, qui n'ont que faire de ces vies qui ne sont rien... Il n'y a pas si longtemps. On les récompense, et on les fête aussi !

Il ne s'agit ni de critiquer, encore moins de juger, qui serions nous pour ainsi faire ? De tenter de comprendre peut-être, mais aussi et surtout de s'interroger, de regarder en face un comportement qui choque, qui heurte la morale, la conscience, le sens commun...De ne pas se voiler la face en quelque sorte, mais de ne pas simplement voir...
De se demander pourquoi nous sommes choqués, dérangés, bousculés, par de tels faits ? Qu'est ce que cet insupportable et pourquoi il raisonne (ou pas ) chez nous ?
Toujours se demander ce qui nous dérange et pourquoi ?

Une mère doit aimer ses enfants. Il en est ainsi.
Mais comment faire ? Comment s'y prendre pour respecter au pied de la lettre cette injonction terrible : "tes enfants tu aimeras !"
Et les enfants des autres ?

Etre mère, ne s'apprend pas, même les anciennes" écoles ménagères" qui apprenaient à laver, langer et torcher le nourrisson, ne disaient rien de cet amour là, de cet amour qualifié de maternel puiqu'il allait de soi ! de soit !
Amen....Ainsi soit-il ! Qu'il en soit ainsi.... Allez en paix.
Mais en paix de quoi ? Et ainsi de quoi ?

Etre mère si on le devient...ou si on ne le devient pas : Pourquoi ? Comment ?
"Est-ce normal que je n'aime pas mon enfant ?" demande inquiète la jeune femme débordée entre travail, couches, biberons..."je ne lui en veut d'être aussi fatiguée..."
Mais quid de la normalité ?
Suis je un monstre parce que je suis une mère pas suffisamment bonne, pour ne pas dire mauvaise ?
J'ai parlé dans un précédent article de l'abandon, de ces femmes qui ne voulaient pas être mère et qui ont offert leur enfant, à une autre femme qui elle, se sentait mère, alors qu'elle ne pouvait donner la vie....
Paradoxe que tout cela ? Inquiétant et curieux...
Que de belles images que ces mères regardant béatement un nouveau né dans leur bras...Oubliées les souffrances de la grossesse, de l'accouchement, le corps déchiré, déformé par des mois d'attente et des heures de douleurs au milieu d'une salle de travail glaciale et impersonnelle. C'est un travail ! Arbeit Zimmer ! que d'accoucher ! Que de mettre au monde ! Que de donner le jour ! Que de donner la vie ! C'est laborieux... Quel travail que cela !
Mais quel en est le salaire, puisque le bon sens commun, toujours appelé à la rescousse nous asséne que "tout travail mérite salaire"
Est-ce le revers de la médaille ?

Les femmes parlent peu de ces moments là, de ses instants de détresse, dans la solitude terrible au milieu des lumières, des cris, des larmes, des ordres "poussez, ça y est presque, encore un effort..."
Un effort qui ne soulage pas, mais qui l'engage pour la vie ! Une vie sous contrat....Un amour maternel à donner, à dire, à montrer "qu'il est beau ce bébé" .

La femme doit alors devenir la mère de ce bébé, de cet étranger, de ce corps étrange et étranger sorti du sien, de ce parasite qu'elle a porté, aimé ou detesté peut-être pendant ces longs mois.
Peu de femmes en dehors du divan, du cabinet du thérapeute osent dire ! osent mettre des mots sur leur angoisse, leur souffrance, leur rejet, leur amour/haine à l'égard de ce petit intrus qui leur pompe tout, la nourriture, la vie aussi.... Sur l'ambivalence des sentiments maternels ou des sensations de la femme, mère en devenir.

Pourtant il va falloir être mère et le montrer... Comme sur les publicités ! Comme sur les images d'Epinal, qui aujourd'hui sont celles de la télé : Une femme épanouie venant d'accoucher un bébé superbe dans les bras...Plus belle la vie ?
La réalité, occultée, souvent, c'est tellement plus simple, est plus complexe...
On oublie de dire, la fatigue, les pleurs, les nuits blanches... Et il faut être mère, et le devenir !
Héroïsme ?
C'est alors un combat mené de front, sur le front, sur tous les fronts, qu'il faut affronter parfois seule, ou a deux, pire encore dans une solitude absolue, face à face avec sa peur, sa peur de ne pas bien faire, de mal faire, de ne pas faire, de faire trop... Une guerre, une bataille qui ne cesse pas, mais avec quoi ? Et contre qui ?

Une mère est-elle encore une femme ? Une femme est -elle une mère ?
Peut-on être les deux à la fois ? Passer de l'une à l'autre, de l'autre à l'une, comme ça ?
Mère versus femme ?
Femme versus mère ?
La mère tue t-elle la femme ? Est-ce la fin de la femme... On devient femme, puis on devient mère, et on se demande si on est encore femme... Si on le reviendra un jour ?
Etre mère et rester femme, devenir mère en étant femme ?
Les deux sont ils compatibles ? Incompatibles ?
Femme femelle qui attend des petits.... Femme femme qui désire et qui est désirée ?
Désirée désirante ?

"Aucune loi ne m'oblige à aimer ma fille" me dit un jour une femme hospitalisée qui refusait que le médecin contacte sa fille, sa seule famille, elle souhaitait finir ses jours seule. "Pourquoi lui demander de venir ? Nous ne nous aimons pas, et ne nous sommes jamais aimé,es et c'est bien ainsi."
Aucune loi, encore, peut-être un jour ? Vers une réglementation des sentiments ?
Qu'est ce que l'amour ? Est-on programmé pour ça ? L'avons nous dans les génes ? Pouvons nous le transmettre ? Le donner ? Le recevoir ?
Ces mères qui n'aiment pas étaient-elles aimées ? Et comment ? Comment peut-on donner de l'amour quand on n'en n'a pas reçu ? Que transmettre quand on n'a rien donné, quand il ne s'est rien passé ?
Pire encore, que le pas d'amour, la haine, la haine dans le sang, la haine en héritage.... Quid alors ?

Etre mère est une quête sans fin, on le devient, si on le désire, ce n'est pas me semble t-il une question d'instinct, de pulsion..Les animaux aussi abandonnent leurs petits, la chatte préfère certains de ses chatons....Nous sommes des mammifères, évolués, soit disant...Puisque nous parlons, nous pensons, nous élaborons, mentalisons, symbolisons... Mais la femelle humaine ne met-elle pas aussi ses petits à mort !

Etre mère n'est pas simple, n'est pas un exercice facile, il s'apprend chaque jour, à chaque minute, aimer un enfant, n'est pas aimer ses enfants, il arrive qu'on aime davantage celui là, que l'autre....Ou qu'on déteste plus celui ci que l'autre !
Il arrive aussi de les aimer aujourd'hui, les désaimer demain, ou le contraire !
Etre mère c'est du désir, rien que du désir envers l'autre, mais un désir désinterressé ! Paradoxe que ce désir là..
On ne fait pas un enfant, on ne donne pas la vie pour soi, pour son désir.... C'est le don de la vie à l'autre, à cet enfant, ce petit de soi, qui n'est pas soi, même s'il en est le prolongement, un bout qui reste, qui dépasse et qui normalement survivra... Un petit être dont il faut se détacher, qu'il faut détacher, des années après avoir coupé le cordon...
Ce petit là que le ventre de la mère a abrité, protégé, nourri, s'en ira, ira, aimera, et deviendra...
Si l'amour de la mère est là, s'il ne l'est pas, il lui faudra devenir autrement, mais il deviendra sûrement !
Ce petit là, élevé dans l'amour d'une autre, qui ne l'a pas porté, mis au monde, mais qui l'aide à grandir, à se construire... A devenir.
On peut être mère sans avoir donné la vie au sens propre, car donner la vie, n'est pas seulement accoucher de l'enfant, ce n'est pas forcément ça...
Quid alors de cet amour qui est sensé submerger la femme à ce moment là, qui la remplit soit disant d'un bonheur extrème, d'une joie incomparable (si on passe sous silence le baby blues, la dépréssion post partum, la décompensation d'un trouble bipolaire...Cachez s'il vous plait cette réalité sordide, triviale qui viendrait ternir cette belle image de la Vierge à l'enfant.... Au sourire, Immaculée conception...Car la femme, mère n'en n'est pas moins vierge, nulle souillure, nulle déchirure, nulle intrusion... Un bébé apporté par le saint esprit ou la cigogne !)

Mais l'amour maternel ? L'amour qu'on dit tel ! Les sentiments de la mère pour son enfant ?L'amour d'une femme pour un enfant... Pas forcément le sien, mais l'enfant d'une autre, un enfant qu'elle aura choisi, reconnu comme sien ! Porté à bout de bras, désigné ; "enfant tu es mien, je te connais et te reconnais comme tel ! Enfant je dois alors prendre soin de toi, je suis responsable de toi, je dois te donner la vie... Celle que tu vivras !"

Un amour tellement fort qu'il doit permettre l'abandon, celui de l'enfant, qui laisse la mère, la mère qui laisse l'enfant partir, loin d'elle, qui se sent déchirée au plus profond d'elle même, ces douleurs là sont celles de l'enfantement.....Aimer pour laisser partir, l'autre, à la quête de soi !

Etre mère est une histoire, l'histoire d'histoires de mère et de fils, de mère et de filles, de mère et d'enfant, d'amour et de haine...
Ambivalence des sentiments, des émotions...

Une histoire d'amour et de rencontre impossibles, sûrement parfois, que celle de la mère et de l'enfant, ou de la mère et de la fille, un rendez vous, où un des partenaires n'est jamais à l'heure, toujours en avance ou en retard, et l'autre ne l'attend pas.
Puis un jour, un des deux ne viendra pas, ne viendra plus, ne sera même plus en retard car il ne sera plus là.
Parti pour toujours...Sans avoir réglé les comptes, laissé l'autre en conte ! En conte de fées, qui ne s'est pas fait ! Qui s'est défait à force de décevoir....de recevoir, ou de ne pas recevoir.
Etre mère c'est ça, tout ça, aimer, ne pas aimer, haïr et détester, tout ça à la fois parfois....Souvent, parfois toujours.

A toutes les mères qui n'ont pas aimé leur enfant, qui ne les aime pas, qui ne peuvent pas les aimer, qui n'ont pas su, qui n'ont pas pu, qui aimeraient bien, qui ne s'en soucient pas...et qui m'ont confié leurs souffrance, leur peine, leur chagrin, leur non regret, leur absence de remords aussi.
A tous ces enfants qui n'ont pas été aimé, qui ont pleuré ce manque, jamais comblé, ce vide immense, ce trou béant, qui ont mandié cet amour perdu à jamais, et qui viennent demander à l'analyse de leur permettre de comprendre pourquoi...

1 commentaire:

Molly a dit…

Cet article est magnifique.
Moi-même psy-quelque chose (psychologue), je le trouve nourrissant.

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