Tatouer pour résister ?
- "Dis Mamy pourquoi il y aussi des
chiffres bleus sur le bras de l'amie de Ditte"
- "Kindele
encore des pourquoi ? tu en pauses des questions"
Puis elle
déposait un baiser sur mes petites mains d'enfants
J'ai grandi
dans le bruit du silence des murmures.
Jamais je n'ai
voulu qu'on inscrive, dessine, grave sur mon corps
Enfant je
refusais les "décalcomanies" éphémères sur mes bras
Je
n'ai jamais rien inscrit sur ma main pour ne pas oublier
Adulte je
frémis toujours à la vue du marquage sur l'oreille d'un animal
Je
ne veux pas de traces, de marques sur mon corps pour témoigner
Seules
les cicatrices indélébiles des blessures passées
Me rappellent
les combats que j'ai choisis de livrer
Jamais je ne serai tatouée.
Tatouer
Tatouer
est un acte fort un geste volontaire et symbolique exprimant un
engagement personnel ou collectif. C'est faire de son corps le
témoin physique de son histoire ou de son groupe et faire passer un
message, montrer à voir son appartenance, affirmer sa singularité,
sa différence et être reconnu comme tel.
Tatouer son
corps c'est inscrire dans sa chair un souvenir, un nom, un symbole, y
graver une marque indélébile pour dire, s'adresser à l'autre et le
rendre témoin lui aussi de cette adresse. C'est parfois une
transgression des interdits ou des conventions sociales, un acte
libérateur, de défi ou de provocation
Ainsi
tatouer c'est dire, dire à l'autre en faisant de sa peau un lieu
d'expression de liberté individuelle.
Tatouer c'est aussi une
symbolique de réparation ou une réparation symbolique afin de
réparer un traumatisme ou un blessure, la sienne, mais aussi celle
d'un groupe, d'une communauté ou des Siens, comme c'est le cas des
petits enfants des Survivants de la Shoah.
N'oubliez
pas !
Des chiffres bleus
Des chiffres bleus, les mêmes
que ceux tatoués sur les avant bras de leur grands parents. C'est
ainsi que certains jeunes Israéliens ont volontairement montré
à voir que cet acte d'humiliation de désujétisation a été
vain.
Ainsi la mémoire devient ici un moteur de résistance, une
manière provocante pour ne pas oublier ce qui a eu lieu et qui est à
l'origine de l'Etat d'Israel
Beréchit.
Ainsi ils ont délibérément choisi de relier et lier la mémoire familiale, celle de leurs
grands parents Survivants venus bâtir avec leurs mains, leur sang et
leur force le pays où ils sont nés.
Les Nazis n'ont pas
gagné.
Oui, c'est un acte de résistance par la filiation adressé au
Monde entier, un acte de vie. Ils sont là, ils ont eu des enfants
qui ont eu des enfants.
Et nous sommes là.
Regardez bien
ces numéros.
Nous sommes des Sabras, nous avons un Etat, une
Terre, Tsahal,
Nous sommes notre Terre, Nous sommes
Tsahal
Regardez ces numéros
Nous sommes des Etres Humain,
l'Eternel a dit "tu choisiras la vie' nous avons choisi la
vie.
C'est un message :
"N'oubliez jamais qui nous
sommes d'où nous venons et que nous avons un a venir"
Nous
sommes la vie
Eros a gagné son combat contre Thanatos
Et c'est dans cette impermanence que se situe notre permanence
et l'éternité. Nul n'est éternel car nous sommes mortels
mais la filiation rend éternel ?
Ëst ce cela ?
C'est aussi
un acte profond de résilience, le refus de la mort et de la
finitude, du Fatum, mais surtout un refus de rompre avec ses racines et au contraire les porter en étendard en les gravant dans leur
chair, en être fier.
Nous seuls avons décidé de le faire
afin d'annihiler et d'annuler l'humiliation faite à un Peuple réduit des
siècles auparavant en esclavage et devenu 70 plus
tôt des numéros à éliminer.
Il s'agit donc bien d'un
acte de mémoire volontaire. Contrairement à la numérotation
imposée par l'état nazi ce tatouage est peut-être une forme de
réappropriation de résistance contre l'oubli et la négation.
En
faisant de ce numéro un symbole de mémoire et de dignité plutôt
que d'humiliation.
Ce
n'est plus une mal ediction
C'est une Béné diction.
Les
nazis n'ont pas gagné
Ils n'ont pas effacé l'existence
d'un Peuple, d'une culture, leur existence, leur nom ni leur
postérité.
"Je suis Ori ben Meir ben Avram revenu de
Buchenvald et son père s'appelait Yaakov et son père... "m'a
dit fièrement un jeune israélien
Oui Ori tu as gagné car tu
es vivant.
Des
jeunes Israéliens
Il
s'agit bien d'une manière (singulière peut-être) de garder vivante
l'histoire familiale et collective. C'est un acte de transmission et
de mémoire du Génocide traduisant la volonté de se connecter à
ses racines et ses Aieux, notamment à ceux qui ont survécu et
transmis leur vécu.
C'est une mémoire vive, vivante, une
mémoire orale. Une transmission en face à face et ce n'est pas
rien! Il n'y a pas que les mots, il y a la voix, qui tremble ou ne
tremble pas, les silences, les langues qui se mèlent où le Yiddish
prend le dessus, ces mots des camps, ces mots inventés, ces mots à
eux.
Des mots qu'on retrouvent chez d'autres survivants des Camps
(j'ai entendu et appris celle des Zeks) car on ne peut pas parler de
ça autrement que comme ça.
C'est une histoire qui est
racontée, racontée avec ces mots, en Yiddish et en Ivrit en "mots
à eux, mais cette histoire est avant tout une histoire forte
mélée de larmes et d'émotion. On tient la main, on caresse
cette main, comme faisait la petite fille avec les Demoiselle H. Il
n'y a pas de pitié mais seulement une écoute, une écoute et un don
celui de l'Amour infini et d'une infinie tendresse. Ecouter ces mots
et ses récits, confidences de la douleur racontée sans haine, de
souffrance dite avec une distance terrible et tragique parfois.
Parler d'un soi qui a du se cliver, se replier pour laisser place à
un autre plus fort afin de survivre en enfer, et à l'enfer. Devenir un
autre pour vivre. Laisser de temps en temps cet autre prendre la
parole, celle qui raconte et qui dit l'indicible.
Le trauma, ce
qui est resté là bas et que nul archéologue ne parviendra à
mettre au jour, que la meilleure couturière ne pourra recoudre et
réparer, car elle ne peut pas, ne veut pas et il ne faut pas.
Cette
béance est nécessaire. Car elle est la vie. Elle est la trace
terrible de la vie.
C'est avec tout ça, c'est comme ça que ces
enfants, ces jeunes ont entendu
Peut-être graver ce
tout ça dans leur chair, pour ne pas l'oublier ?
Est-ce une
question de langue ? Perdre et prendre langue
Perdre la
langue du Survivant pour prendre la langue de la Renaissance ?
Ces
tatouages sont-ils la résurgence d'une mémoire effacée dans un
contexte historique, linguistique et identitaire très particulier
?
Israel est le résultat du projet sioniste et à partir du XIX°
siècle, l'hébreux devient le symbole d'unité nationale, de
renaissance culturelle et politique dans le futur Etat. En
1948, Israel l'hébreu devient langue officielle
en propageant son usage dans l'éducation, la vie administrative, et
la société de ce pays construit par des Survivants.
Hommes et
Femmes Juifs Ashkénases originaires d'Europe orientale et centrale
brisés à jamais sont appelés à participer à cette Renaissance
collective, cet idéal sioniste fondé sur l’avenir, la terre, le
corps fort, le silence de la douleur. Tous parlaient Yiddish, tous
étaient liés et reliés par une langue quotidienne et culturelle. Peu à peu ces mots qui tissaient ces liens si fort devient la langue de
l’exil, de la diaspora, de la mémoire, au profit de l’Ivrit
langue reconstruite, ressuscitée pour devenir langue de l’État,
de la force, de l’unité.
Pour certains cette transition est une
rupture douloureuse avec le passé, leur culture, leur
histoire, abandonner la langue maternelle est une violence symbolique et
traumatique. C'est une cassure, une coupure brutale, un renoncement
et une perte symbolique immense ayant un impact sur l'identité.
C'est renier leur passé et leur mémoire : Une
violence vécue comme une dépossession culturelle renforçant les
sentiment de rupture avec l'histoire antérieure, la leur.
Leurs descendants nés dans de pays neuf ont-ils choisi de se
faire tatouer le numéro de matricule de leurs grands parents
survivants comme acte de mémoire face à cette perte ?
Ce
geste explique alors le lien avec le passé, la douleur de la perte
mais aussi la résistance face à la disparition de la langue et de la culture ancestrale. C'est un trauma, une dépossession culturelle
renforçant le sentiment de rupture avec l'histoire d'avant
l'origine
Berechit.
Ce passage
de langue n’est
pas anodin. Il est une
cassure, un renoncement forcé, une perte symbolique.
Ainsi la transition du yiddish vers l'Ivrit a été vécu par
certains survivants comme un abandon en renforçant le sentiment de
rupture ave leur passé et l'essence de leur Etre suscitant chez
leurs descendant un besoin de mémoire de résistance symbolisé par
ces tatouages portant le numéro de leurs grands parents
survivants.
Un sacrifice ?
Ainsi pour ces jeunes
tatouer le numéro lié à la déportation de leurs grands-parents ne
peut-il pas être considéré comme un sacrifice symbolique, un prix
à payer pour ne pas oublier, témoigner et résister à la
destruction de leur identité et de leur passé ?
La douleur ressentie
ne peut-elle pas être vue comme une forme de sacrifice physique, une
confrontation à la souffrance témoignant de la force intérieure
nécessaire pour faire face à un trauma ou affirmer sa mémoire face
à l'oubli ou la négation, telle une offrande impliquant une forme de
renoncement ou de sacrifice personnel ?
Le tatouage, ce
tatouage singulier peut représenter sur le plan psychique une
tentative de dépasser le trauma collectif en l'inscrivant dans sa
chair donc dans l'histoire personnelle. Faire de son corps le porteur d'un
témoignage indélébile pour soi et les autres. Il pose la question
de la responsabilité individuelle face à la mémoire collective,
c'est un acte éthique, un devoir de mémoire inscrit dans la peau
qui refuse l'effacement et pour ces jeunes Israélien un engagement
civique.
Cet acte fort est aussi posé comme un défi,
transgressant ainsi l'interdit " Ne
vous imprimez point de tatouage », ( Lévitique
(19 :28, car le corps de tout Juif doit rester pur. le tatouage
est considéré par Les iIsraéliens
religieux comme une transgression grave de la part des jeunes laïcs
à l'encontre de la religion.
Un appel ? un cri ?
Je ne serai pas tatouée.
Mais j’ai décidé d’apprendre la langue maternelle qu’on ne m’a pas transmise, pour ne pas être condamnée à rester étrangère à ma propre vie et à mon histoire.
Etre ce que je suis.
C’est ainsi que je grave en moi leur mémoire.
Brigitte
Judit Dusch, psychanalyste, chercheur, historienne, exploratrice urbaine
Crédit photo @brigittedusch collection privée Buchenwald.