Psychanalye Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

lundi 22 octobre 2012

Mémoire vive

Ce blog n'accueille que très rarement des billets d'humeur, des réactions un peu à chaud à l'actualité mais l'article que je viens de lire suscite tant et tant d'interrogations que ces quelques lignes s'imposent

Le voici en lien :

http://www.atlantico.fr/decryptage/shoah-ces-jeunes-israeliens-qui-se-font-tatouer-numeros-deportes-pour-ne-pas-oublier-510259.html

Le titre a première vue semble clair :

Shoah : ces jeunes Israéliens qui se font tatouer des numéros de déportés pour ne pas oublierMais il faut se méfier des apparences, tenter de comprendre et déchiffrer ce qu'elles masquent..Cette clarté m'interpelle, une clarté pourtant bien obscure...Et c'est peut-être cette obscurité là, cette part d'ombre qui vient questionner, déranger.

En Israel des jeunes gens se font tatouer le matricule de leurs grands parents sur l'avant bras, pour ne pas oublier et leur rendre hommage.
Une mise en acte singulière qui, souligne l'auteur de l'article suscite de vives réactions au sein de la population. En conséquence. Un acte en entraine un autre, obligeant cet autre,  l'inter pellant.

C'est cette singularité là qui nous oblige à nous demander : Pourquoi ? Qu'avons-nous manqué ? Que s'est-il passé au creux de cette histoire là ?
Pourquoi cette génération là et non leur parents ? Ce sont les petits enfants, ce sont eux qui vont au devant de l'histoire avant qu'elle ne s'oublie, qu'elle ne sombre dans le Néant. Encore une fois. L'histoire et le destin tragique de leurs grands parents, des leurs, et la leur. Faire en sorte qu'elle ne deviennent pas un simple détail au détour d'un livre d'histoire.

Si la plupart d'entre nous savons que ce n'est pas possible et que la société, l'humanité toute entière ne peut plus être pensée comme avant la Shoah.. il se peut hélas qu'il en devienne ainsi dans peu de temps !
Ainsi veulent-ils transmettre, porter au delà cette histoire pour l'empêcher de s'éteindre. Que restera t-il après la mort des derniers survivants ? Qui sera encore là pour témoigner de l'impensable jamais pensé mais pourtant mis en acte ? Qui sera là ? Quel être sujet humain pourra encore raconter, dire l'indicible ?
Nous serons alors confrontés au Néant, au Vide et au gouffre immense de l'oubli. Nous n'aurons pour nous souvenir que les seuls mémoriaux, bâtiments érigés en conscience pour rappeler au vivant que s'il est là il le doit aux survivants !

Cela suffit-il ? Non, il semble que non. C'est peut-être ça que ces jeunes disent et nous disent, car il n'y a pas de message sans adresse. Ils nous disent, nous, car il ne s'agit pas seulement de leurs aïeux, du peuple de l'état d'Israël, il s'agit de la communauté des Hommes ceux qui se sont inscrits par leurs actes dans l'Humanité... Ce que nous avons manqué ces dernières années, peut être trop occupés à construire ce qui avait été défait, nié, gommé, trop occupé à oublier... Pour vivre , du moins tenter.
C'est peut-être ça ?
Nous savons tous les liens singuliers qui unissent les grands parents à leurs petits enfants. Ceux là même qui attendent qu'ils leurs racontent des histoires. Et c'est peut-être aussi cette histoire si particulière et si douloureuse dont ils sont porteurs dans leur chair qu'ils ont consciemment et inconsciemment transmis. Car il reste, il reste ce quelque chose d'enfoui au fond de l'âme mais que le regard ne peut cacher à celui qui sait vraiment regarder !
Cet article m'a profondément troublée à plus d'un titre, je l'ai mis en lien sur un réseau social afin d'en débattre, afin de comprendre pourquoi ce désir d'inscrire en sa chair une histoire et une identité qui n'est pas la sienne, mais celle d'un autre, de son grand père ou de sa grand mère une histoire où ils s'inscrit, où il a sa place mais qui n'est pas la sienne.
Ainsi ce numéro, ce matricule lui donne le droit, celui d'accéder à la mémoire, des siens mais aussi de tout un peuple, mais aussi un devoir, lourde charge pour de si frêles épaules, s'infliger le poids de ce lourd passé pour dire aux générations futures, l'injonction terrible : "'N'oubliez jamais"

Transmettre ainsi, incorporer, tatouer, garder pour toujours la trace de ceux qui vont partir...qui ont été témoins et sont revenus pour dire l'enfer, la haine, la cruauté et l'inhumanité. Je disais à mon ami Emile que cet été, lorsque je me suis rendue à Buchenwald, j'aurai voulu accrocher  une étoile jaune sur mon tee shirt  tant j'étais révoltée ! J'ai refusé de parler allemand, de le comprendre, tant cette langue me semblait déplacée, insultante en ce lieu. Emile me fit simplement remarquer que l' étoile à un moment donné on peut l'enlever le tatouage non...Il avait en ce seul mot résumer toute la gravité et la portée du geste.

Non justement non ! Cette inscription ne s'efface pas, elle reste gravée à tout jamais, pour toujours, c'est porter la trace indélébile de l'histoire d'un soi qui n'est pas je, c'est accepter cette lourde charge, s'impliquer, se l'infliger.. Ultime manière peut-être de dire et d'avertir ! Porter en soi, faire sien de la trace, de la cicatrice,  de la marque dans le corps...Sur le corps, montré à voir à l'autre, au regard de l'autre qui malgré tout ne peut y échapper.
C'est essayer de faire avec cette histoire là, qui plane sans cesse, qui surgit des ténèbres toujours, qui rode comme un fantôme et avec laquelle il faut faire, il faut être. . Sans le vouloir soit nous la faisons notre, en l'incorporant (ici au sens propre, puisque ces jeunes en portent la marque et la montrent à voir)ou en la rejetant, la déniant. Il est difficile de trouver le juste milieu parce qu'il n'y en a pas, nous sommes face à l'intenable, l'impensé et l'impensable.
Ce n'est pas un devoir de mémoire, car la mémoire je l'ai dit déjà ne suppose pas de devoir, d'injonction, une phrase du Rabbi Loubavitch nous invite à y songer "le but du souvenir est de lier l'homme à sa mémoire ce qui doit exercer une influence sur lui"...
La trace en est le lien, maintenir la mémoire, la mémoire vive, pour que la mémoire puisse vivre sans oublier pourquoi.

Brigitte Dusch, historienne, psychanalyste.





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