Psychanalye Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

lundi 11 novembre 2019

Hommes de 14.



En ce jour, un peu plus de cent ans après on commémore votre mémoire, on dépose quelques gerbes et on fait un beau discours, les politiques souvent instrumentalisent votre sacrifice aux limites de la décence, soulignant par là leur incompréhension du symbole représenté par cette journée en votre mémoire.
Ils parlent de sacrifice, font défiler des troupes en cette journée marquant la fin d'un massacre.
Quelle leçon a été retenu ? Aucune je le crains.


11 novembre 1918, l'Armistice… Cinq ans après le tocsin, les cloches des églises de France sonnent à tout va ! C'est fini, c'est fini. Ils vont revenir se disent les femmes qui depuis tout ce temps attendent. 
Ils ne reviendront pas tout de suite, les Hommes de 14, certains ne reviendront jamais, et la mort ne les ramènera jamais sur la terre de leurs ancêtres. D'autres "'plus ou moins chanceux" rentreront en miettes, traumatisés pour le restant de leurs jours par cet effroyable cataclysme aux confins de l'humanité. Car c'est de l'Enfer qu'ils reviennent.

C'est la paix. Une paix que tous attendent, espèrent sans plus vraiment y croire, on leur a tant dit, tant menti aussi ! Cinq ans, cela fait cinq ans que tout le monde souffre, soldats et civils ; ils souffrent de tout, de la froid, de la faim, de la peur, de la maladie, de la perte, du manque et de la mort. La mort. C'est elle, et elle seule qui est victorieuse de cette horrible tragédie.

11 novembre 2019, en ce temps gris, en ce temps de novembre, un peu plus de cent années plus tard, je vous rends hommage, à ma manière. Pour ne pas oublier, jamais, jamais. Pour que vous ne tombiez pas dans l'oubli. Pour que vous viviez toujours dans nos mémoires. Pour que la flamme ne s'éteignent jamais.

Hommes de 14 :  Paysans soldats, vous n'aviez rien demandé et surtout pas ça. Surtout pas ça ! 

Hommes de 14 : Paysans, ouvriers, hommes des champs et des villes, la folie des hommes, vous a enlevé de vos foyers avec comme tout bagage quelques effets et un peu de pain, puis  vous a jeté sur le quais des gares, traversant le pays pour souffrir, tuer et mourir dans les tranchées : loin, mais aussi parfois à quelques kilomètres de chez vous !

Hommes de 14, Genevoix, Barbusse, Dorgelès, mais aussi Remarque de l'autre côté du Rhin on raconté votre désarroi, votre dégoût de la guerre, de la mort mais aussi de la vie. Il reste de cette guerre des paysages dévastés, des cimetières à perte de vue dans mes Ardennes et sur ce qui fut alors Front, ces territoires que vous avez tenu, pieds à pieds et à coup de baïonnettes, au mépris de votre vie.

Hommes de 14, je vous connais un peu car je vous rencontre souvent au détour des pages de ces archives que je consulte quasi quotidiennement pour savoir qui vous êtes, en dehors du matricule et de la "campagne menée contre l'Allemagne". Menuisiers, cultivateurs, instituteurs, fermiers, affectés à tel régiment et compagnie, vos faits d'armes, décorations et blessures sont mentionnés, mais aussi votre taille, la couleur de vos yeux… Votre adresse, le nom de vos parents et parfois de votre femme. 

Hommes de 14, de l'autre côté du Rhin, soldats occupants,  prisonniers de guerre dans les campagnes et les usines de France, vous étiez aussi des pères, des frères et des maris, des paysans, des ouvriers, des maitres d'écoles, vous écriviez des lettres à vos familles, inquiets de les savoir souffrant de faim.

Hommes de 14, venus des pays lointains mourir pour une patrie qui n'a pas été toujours reconnaissante, perdus, malades, souffrant de solitude et du mal du pays, parfois seul votre numéro de matricule figure sur la fiche : qui étiez-vous ? D'où veniez vous ? Soldats des régiments coloniaux ? Artilleurs algériens ou sénégalais ? infirmiers cochinchinois ?

Hommes de 14, je ne vous oublie pas. Vous avez quitté vos familles, vos champs et votre vie pour endosser un uniforme trop grand ou trop petit, qui ne vous allait pas, car vous n'étiez pas des soldats. vous êtes devenus sapeur, mineurs, fantassins, zouave, spahi, marins, vous avez obéi aux ordres, vous avez été sacrifiés pour conserver un carré de terre, une butte, une ligne stratégique derrière des barbelés. Cela vaut-il une vie ? Paysans soldats.

Hommes de 14, vous êtes venus des quatre coins du monde mourir ici, mais aussi ailleurs, sur le Front d'Orient, dans les airs et sur les mers.


Nul patriotisme, nul nationalisme, ce serait indécent. De la peine et du chagrin encore, c'est ce que je ressens, parfois de la colère, car vous avez eu à peine le temps de vivre, d'aimer et de rire. C'est un vol arrêté, une vie volée, c'est une violence que rien ne pourra jamais réparer.

A vous tous, je vous rends hommage. A Gustave, Otto, Maximin, Camille, René et les autres, amputés, gueules cassés, rescapés, gazés…. A vous bonnes sœurs, curés, pasteurs et rabbins, aumoniers militaires, médecins, brancardiers, infirmières, qui ont donnés leur vie pour sauver des vies et des âmes qui n'ont pas ménagé leur peine, sur le Front, dans les ambulances et hôpitaux de fortunes pour soulager les souffrances, apporter un peu de réconfort aux mourants. Hommes, femmes et enfants, civils réfugiés fuyant les bombes et les ruines de leurs maisons pour trouver refuge dans un ailleurs si loin de chez eux, sans savoir quand ni comment ils rentreront. Peut-être ?
 
Nul ne sort indemne d'une telle tragédie, même si les années qui suivirent furent "folles". Nul n'est vraiment revenu de là bas. Il suffit de regarder les monuments, de lire les noms gravés, de compter parfois le nombre d'enfants du pays sacrifiés par et pour la folie de quelques uns. Il ne suffit pas de déposer une gerbe et de se recueillir, mais de lever les yeux et de nommer ces hommes  "Morts pour la France". Dans le silence. Il suffit simplement de ça pour essayer d' en être digne.

Brigitte Dusch, historienne, psychanalyste
Crédit photo @brigittedusch collection privée. Cimetière de Soupir (Aisne) là où repose Gustave et tous les autres malheureux tués au champ d'horreur.

dimanche 3 novembre 2019

Trou noir



Il y a l'oubli, la perte, le mot qui ne vient pas, le souvenir empêché, qui se loge pourtant  là ; quelque part entre avant et maintenant. C'est ce radeau au milieu de l'eau, poussé par les flots, les vagues, le vent, qui tente d'atteindre le rivage, mais qui n'y parvient pas.

L'oubli :

Non, ce n'est pas seulement la mémoire qui n'est plus au rendez-vous, qui nous fait défaut : c'est autre chose, c'est différent, c'est étrange et inquiétant.
Ce n'est pas vraiment un oubli, c'est un manque, immense et tragique.

C'est une sorte de trou noir, un vide, une béance : Un Rien.

L'absence, l'absence de soi, la perte du sens, la perte des sens, suivi d' un immense vertige, puis d'une descente vertigineuse.

Un enfer. Un puit sans fond. Un gouffre.

Il n'y a  rien à mettre dans ce gouffre, on sait que quelque chose à eu lieu, forcément, mais quoi ? On ne sait pas, on ne sait plus. On n'a peut-être jamais su vraiment ?
Il y a ce temps, ce temps confisqué, pris, volé, arraché, ce temps hors du temps, qui ne nous appartient plus. L'oubli ?

Mais est-ce vraiment l'oubli ?
Puisque ce temps suspendu, ce temps existant, pour nous n'a pas existé, n'a pas été présent à nous, a été d'une singularité terrifiante ?
Est-il ? Et où ?
Il est ailleurs, il s'est logé on ne sait ou ; dans un de ces plis, de ces replis de la mémoire. Une sorte de temps parallèle, une vie autre, la nôtre ? Celle d'un autre ? D'un autre nous ? Dans une autre dimension ? Dans un autre monde ? Une autre réalité ? Je ou Jeu de rôles ?
Et de quel rôle s'agit-il ? Dans quel théâtre ? Et qui a écrit le scénario ?
C'est un échappement, une fuite, mais laquelle ? Et pourquoi ?

Une simple erreur de circuit, une mauvaise connexion ? une déconnexion temporelle ?

Des questions sans fin, mais surtout sans réponse ?
On se réveille, on se lève et on ne sait plus : on ne sait plus rien
Il y a un morceau de soi enlevé, ôté, kidnappé, envolé
Un morceau de l'histoire qui a explosé, qui a volé en éclats, éparpillés et dilués dans une nébuleuse obscure et lointaine.
Oubli, souvenir volé, mémoire confisquée, trou, gouffre, vide, abîme.
Passager errant, passager clandestin d'un monde qui nous a fait une farce, qui pour un moment indéterminé nous a mis sur la touche, nous a bloqué sur pause sans nous avertir. Spectateur statufié, muet, sourd d'un monde qui évolue devant mais sans nous !
Il manque un épisode, il manque des éléments, on ne peut pas raccrocher, nous voilà resté, planté là mais arrimé à un avant ou une histoire autre, devant des autres, ayant vécu une autre histoire que la nôtre
Nous voilà, là, restés au seuil d'une aventure d'où nous avons été écarté, personnage en marge, sans dialogue, sans intrigue sur le ban de touche.
Abandonné.
Abandon à l'étrange, au singulier, au terrifiant, à l'inquiétant. Cherchant sans relâche un sens, des explications qui n'existent sûrement pas.
Replongé dans un réel qui n'est qu'un chaos, il faut affronter, faire sens d'une vie où il manque des éléments pour comprendre et se comprendre. Une partie de nous même sans est allée, ou est restée coincée dans un ailleurs indéfinissable.
Sans fin, sans relâche, sans sens, sans rien, l'absence où se loge la présence du manque.
Il faut aller, advenir, être à un monde qui nous échappe car pendant un temps parfois très court, nous nous en sommes échappé.

Brigitte Dusch, historienne, psychanalyste
Crédit photo : @brigittedusch
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Nota bene

Ce blog relate des bribes, des vies en respectant l'anonymat, ce l'éthique et la déontologie de ma fonction
Les événements, initiales, lieux, histoires... sont modifiés.

Il s'agit d'illustrer des situations, un concept, une problématique, un questionnement donnant lieu à une réflexion.
Ainsi toute ressemblance, similitude serait donc purement fortuite.

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