Psychanalye Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

samedi 19 septembre 2015

Couple ou pas ?

Le couple apparait souvent comme une finalité ; celle de  la rencontre.
Le vivre avec. Avec cet autre, ou ces autres. Ne plus être seul, pour vivre, "vivre sa vie" ;  échanger sa solitude contre l'illusion de ne plus être seul mais avec l'autre, aimé, puis supporté, puis détesté, parfois, souvent.
Vivre avec, aux côtés de ? Mais est-ce aussi simple que ça ?
Qu'est ce que ce vivre ensemble là ? Ce vivre à deux ?

Ce couple ?

Qu'est ce que le couple ? Le couple est-il l'ultime nécessité, l'ultime finalité pour le sujet humain ?
L'Homme est-il fait pour vivre en couple ? Vivre à deux ?

Vivre ? On ne vit ni à deux ni à trois ni à plusieurs.

On ne vit alors pas seul, mais on est seul, pourtant, avec l'autre, près de l'autre, parmi les autres.

Le sujet humain quoi qu'il fasse est seul, irrémédiablement seul, seul face à lui même, à son être seul, face à la vie, face à la mort, face à sa vie, face à sa mort.
Croire le contraire peut-être rassurant, peut être réconfortant.
Ne pas vivre seul, ne pas mourir seul.

Croire le contraire est illusion, évitement, mensonge, angoisse et peur. Celle de ne pouvoir, de ne vouloir affronter ce qui est, la réalité, ce réel souvent insupportable auquel il faut se cogner chaque matin, chaque jour et chaque nuit.
L'illusion de s'y cogner à deux peut dans un premier temps paraitre apaisant, mais n'est-ce pas un mensonge, un doux espoir qui rend la pilule moins amère ? Cet autre qui fait avaler le réel aide t-il vraiment à supporter ?
Déjà. Supporter ?

Y a t-il du bonheur à cela. Le bonheur, le vrai, ou plus exactement un de ces instants merveilleux, miraculeux qui fait qu'on appelle ça "bonheur", car il faut bien lui mettre un nom. Se loge t-il dans ce creux là, dans cette abîme là, dans ce vide, ce néant qu'on nomme plus exactement la solitude ?

Car pour comprendre ce que peut-être le couple, n'est-ce pas là, dans cette fuite là, la fuite de cette peur là qu'il faut chercher ?
Pour vivre le couple,  ne faut-il pas avoir affronté cette peur là ? Cette confrontation là ? Ce face à face là, cette insupportable épreuve.
Lourde, pesante, terrible, terrifiante solitude ?

Etre seul, assumer, aimer, apprécier cette solitude, son être seul, ces moments où on se voit tel quel, c'est à dire seul face à tout ce qui nous entoure, le meilleur comme le pire. Faire avec sa solitude.
Etre au monde, face au monde nu. Sans artifice et sans fard, sans bouclier et sans arme
Sans illusion.
Sans rien que soi même.
Et ce n'est pas rien.

Sans un autre ; qui aide soit disant, qui masque le paysage et nous empêche de voir plus loin, qui nous protège mais de quoi ? De ce qu'il faudra bien affronter un jour ou l'autre, car cette ombre qu'est cet autre choisi -plus ou moins- devient de moins en moins tolérable, supportable.

L'autre sans lequel le couple n'est pas, l'autre choisi pour construire ce couple où la solitude s'écrit et se supporte à deux, où le couple use l'amour, l'affection ou la tendresse qui pourrait avoir été l'origine puis le ciment de cette illusion ?

Le couple n'apporte t-il pas cet ultime espoir que l'autre sera là "au cas où". Souvent il n'y est pas, car s'il y a le meilleur, on ne veut pas du pire. Qui en voudrait ? Ce "sacrifice" à l'autre ou pour l'autre montré à voir au regard de tous les autres... N'est-il pas suspect ? Que veut-il bien dire ?

On peut s'interroger sur ce drôle de couple, ce couple drôle et tragique qui se met en place, se déplace, se fait et se défait au gré des sentiments, des vents, des amants et amantes, du temps qu'il fait qui fait et défait encore. Couple qui masque la solitude de l'être qui jamais et heureusement ne se livre totalement, à cet autre qu'il voudrait être son double....
Et qui le double parfois
Car ne se fait-on pas doubler dans ces drôles de couples, équilibristes de la vie, sur la tangente et sur le fil, sans filet, toujours sans filet...

Couple et découple pour décupler la solitude qu'on ne peut voir, sa propre solitude qui est insupportable, mais que l'autre nous renvoie en miroir.

Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne.

jeudi 3 septembre 2015

Camille classe 14

Camille, portrait du Front 1

La vie de Camille tient toute entière ou presque dans ce petit paquet, une grande enveloppe pliée en deux contenant deux actes, deux télégrammes et un livret militaire.
Une carte ; celle de ceux qui le l'ont fait parvenir, me confiant ce destin, et sa mémoire.

La vie de Camille, ce qu'il en reste.
Il reste aussi une tombe enfouie sous les herbes dans le cimetière d' un village de Vendée... Deux dates, Intervalle bien courte qui contient une vie, une petite vie, un bref passage sur cette terre, bref, trop bref, quelques années, seulement.

Il ne reste rien, plus rien de son histoire. Quelques traces cependant, qu'il va nous falloir lire.
Lire entre les lignes mais sans rien inventer. "C'est comme ça le travail de l'historien."
Quelques années plus tôt mon fils aurait ajouté à cette phrase : "hein maman"...
Maman, je pense à celle de Camille, son dernier enfant. Son seul fils.
Maman...
Camille, j'ai reçu tout çà il n'y a pas bien longtemps, c'est un peu par hasard que je t'ai trouvé, que j'ai trouvé ton nom sur une liste, celle des Morts pour la France. Ton nom a retenu mon attention, ton âge, ton village.
Tu es né le 24 mars 1894 dans cette commune où tes parents sont venus s'installer. Jean et Marie tous deux de Vendée. Ton père était chef cantonnier, tu avais deux soeurs, et une nièce, qui avait le même âge que toi...Juliette, vous avez semble t-il été élevés ensemble, d'après les recensements  de 1901 et 1907. Juliette la fille de ta soeur ainée, qui semble être partie loin de son village, travailler à la ville, elle a confié sa fillette à ses parents. Elle a eu plus de chance peut-être que son frère, ou demi-frère né 5 ans plus tard, en 1900 abandonné, dix jours après sa naissance aux bons soins de l'Assistante Publique. Ils n'ont pas eu la même vie. Comme la vie est cruelle parfois ! Mais pour qui ?
Tu es né là et tu as déménagé avec tes parents, souvent, puis ta famille s'est fixé dans un village de Vendée, la carte m'indique que ces villages ne sont pas très éloignés, que le berceau et la terre de ta famille est là.
C'est donc dans ce village, dans cette maison que tu as grandi, joué, allé à l'école, c'est là que tu as vécu les quelques années de ta trop courte vie. Qu'y as tu fait ? Qui étaient tes amis ? As tu dansé sur la place du village ? Je n'ai d'images que celles des cartes postales de l'époque, le château, l'église, la gare où tu as pris le train pour partir à la guerre, celle là même où ton père est parti te chercher. Un village tranquille, comme tant d'autres en ce temps là, avant cette folie, ce Grand Ravage.
Image pour se représenter, imaginer, se dire que tu étais là que tu as vu ce que je vois, il y a de cela plus d'un siècle...
Nous ne savons pas, et personne ne peux plus nous dire, nous raconter. Qui se souvient de toi ?
Même les Archives ne sont pas bavardes, ton livret militaire ne nous apprend pas grand chose.
A 20 ans tu t'es présenté comme ceux de ton age au chef lieu de ton canton "jeune soldat affecté au service armé" à la subdivision de Fontenay le Comte, registre de matricule du recrutement. Te voici flanqué d'un numéro et affecté au 2°RIC avec le grade de Marsouin...
Toi qui était menuisier ! Pauvre enfant. Que la guerre est cruelle !

Je n'ai pas de photos, pas de quoi mettre un visage sur ton nom mais seulement quelques indications. Pas très grand, tu avais les cheveux chatains clairs et les yeux bleus clairs....
Affecté à la campagne "Allemagne, du 15 décembre 1914 au 20 mars 1915" C'est court, comme ta vie, Car celle ci s'arrête là  : le 20 mars 1915 à l'hôpital du Val de Grâce..4 jours avant ton anniversaire. Douleur. Infinie douleur d'une mère.

Mort de maladie, laquelle ? Nous ne savons pas, contractée à la guerre, il y en a tant, il nous font donc attendre le dossier médical si toutefois il contient quelque chose.
Mais ce quelque choses pourra t-il changer quelque chose ? L'absurdité de ta mort par exemple ? Ton départ à 20 ans pour une guerre qui ne te concerne pas ? Une guerre qui concerne qui ? Comme toutes les guerres !
Puis ces télégrammes, ultimes messages, disant que tu es au plus mal, que ton état de santé est inquiétant. Vieux papiers froissés et jaunis. Une écriture élégante informe ta famille que tu "donnes de graves inquiétudes " le 14 mars 1915. 27 mots pour dire que ta vie ne tenait plus qu'à un fil.
Souffrais-tu ? Qui attendais-tu ? A qui pensais-tu ? Questions que l'historien se pose même s'il n'a pas de réponses.
Puis un autre, envoyé par ton père le 20 mars, la même écriture annonce "avons fait bon voyage Camille décédé avons intention de ramener le corps, si oui, envoie cinq cents francs par mandat télégraphique, un nom et une adresse". 31 mots.
Il faut croire que oui, tu reposes dans ton village.

Tu reposes parmi les tiens, au creux de la Terre de Vendée. Mais tu n'avais pas demandé à partir si vite. Partir comme ça
Camille ils t'ont volé ta vie, tu n'as pas eu le temps, celui de vivre, d'aimer, de danser, de chanter, de rire... De voir et regarder. Tu n'as eu le temps de rien.
Tu as à peine eu le temps de voir cette tuerie, ces massacres, et c'est presque tant mieux, car nul enfant de ton âge n'a pu échapper à cette folie
On est toujours trop jeune pour mourir...
Pas à 20 ans ! Pas de chance d'avoir 20 ans en 1914....C'est une condamnation à mort. Mais qui pouvait savoir ?

Je pense à ta mère, à ton père, je pense à ce chagrin. Je pense à leur chagrin.
Qui parle de toi aujourd'hui ? Qui pense encore à toi ?
J'ai promis de parler de toi. Pour qu'on ne t'oublie pas.
Mon fils et moi avons décidé d'aller à la rencontre de ces hommes tombés trop jeunes, dans un combat qu'ils ne comprenaient pas, dont ils n'avaient que faire. Nous nous sommes donnés ce rendez-vous là ; avec eux. Ce devoir de mémoire ; mettre un nom et une histoire sur des numéros de matricule. Rendre à ces hommes l'humanité qui leur a été confisquée. Ravie. Prises.

Raconter et faire savoir qu'avant de partir sur les chemins boueux et sanglants, vous aviez une vie, une maison, une famille, un métier, une histoire. Vous. Vous avez été et vous êtes toujours. Vivants dans nos mémoires.
Tant que nous parlerons de vous. Vous serez.
Nous avons ce devoir là, je crois. Ce centenaire, ce rappel au non oubli à quoi servirait-il sinon ?
Vous n'êtes pas non plus seulement ce nom gravé sur le monument à la gloire des Morts. Des Morts au Combat.
Tristesse et douleur infinies...

Brigitte Dusch, historienne, psychanalyste
Sacha Dusch, Etudiant.

NB : Nous nous sommes donnés pour mission d'aller à la rencontre de ces hommes quelles que soient leur nationalité, religion, orgines. Ces hommes de 14-18.




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