Psychanalye Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

mercredi 17 novembre 2021

La langue, ma langue histoire d'amour et de haine.

 


"C'est ta langue maternelle ? celle de tes origines ? Tu sembles la parler couramment." Une question souvent posée, une interrogation que je me pose parfois. Mais au fond qu'est ce que cela signifie vraiment ? La langue ? Combien de fois ais je écris ici ailleurs aussi ?Alors quid de cette langue qu'on qualifie de maternelle. Celle qui devrait forcément venir de la mère : Encore ?

Tout est question de langue, et la langue est un bain dans lequel nous sommes plongés bien avant la naissance, c'est peut être une chance, une fusion ou une confusion La langue ? Ma langue. C'est toute ma question. Qu'est ce que la langue maternelle, celle de la mère ? Celle du père ? Celle du pays où tu es né ? où tu vis, a vécu ? Celle de ceux qui t on élevés ? Celle que tu as entendue, apprise, celle que tu aimes ? Celle dans laquelle on te parle ou t'a parlé. La langue dans laquelle tu rêves et tu penses, celle que tu traduis avant de t'exprimer ? Je n'en sais rien : tout cela peut-être ; certainement pour moi. Depuis mon plus jeune âge je suis au milieu de tout ça, des langues entendues, apprises, des bribes et des souvenirs. Ceux de l'enfance, ceux de ma vie. Elles se mélangeaient allégrement sans nul souci on se comprenait, parfois à demi, mais ça parlait Alors oui, l'Allemand est ma langue maternelle, celle dans laquelle je pense
spontanément, celle de mes rêves, celle qui me vient, celle de la colère, de la peine et du chagrin. Elle et moi sommes un vieux couple qui avec le temps, les orages et les tourments entretient une relation bien complexe, qui divorce mille fois mais ne se sépare pas. Comme si la vie sans l'autre était impossible. C'est une histoire d'amour et de haine, souvent, parfois, mais plus en plus souvent avec les ans. C'est un besoin et un rejet, c'est le souvenir et l'oubli, c'est le passé et le présent, mais il n'y a pour moi plus de futur. J'ai souvent voulu l'oublier, mais ce n'est pas possible, les mots me viennent et reviennent sans effort, les tournures et les phrases. Je pense et je suis. Je rêve et je pleure et parfois j'écris.

Je n'y peux rien. Il me faut vivre avec ça, amour et haine, affection, tendresse, détestation et colère.

Je l'écoute et j'entends, je peste devant les traductions approximatives, étudiante je privilégiais les ouvrages en allemand plus faciles pour moi qu'en anglais. Pourtant aujourd'hui cette recherche que je fais c'est en anglais que je l'écris, pour des anglais et pour dire la guerre, celle avec l'Allemagne. Va savoir pourquoi ?

Dans mon métier, si je pense seule en Allemand retraduis parfois ce qui m'est dit pour mieux le comprendre et le reformuler, cherche parfois le mot juste, le bon mot en français pour traduire l'idée, je me tourne vers les recherches anglaises, américaines et canadiennes. C'est ainsi

Je lis l'allemand, je regarde le cinéma Est Allemand, je vais à la source. Parfois même nostalgique j'écoute de vieilles chansons de là bas, pleine de souvenirs et relie quelques contes, histoires "Es war ein Mal" j'entends la voix de Marguerite, qui me lie et me raconte, je ferme les yeux.. Apaisement. C'est mon histoire, mon passé et ma vie. Je ne nie rien, n'oublie rien et ne renie rien. Une pièce du puzzle complexe que je suis. Il y en a tant de manquantes, disparues et oubliées qu'il n'est pas question d'en perdre ou d'en jeter encore une. Il ne me reste rien ou si peu de choses.

Je me souviens pourtant de ce jour où cette langue fut pour moi intolérable, une écorchure, une profonde blessure, je ne pouvais l'entendre, je ne pouvais plus la parler, je voulais l'effacer de ma tête, de ma mémoire, de mon être tout entier, me dépouiller de ces hardes là pour toujours. C'était à Buchenwald. L'entendre fut un supplice. Je ne pus dire un seul mot, rien ne pouvait sortir de ma bouche, et j'avais envie, besoin du silence. J'entendais ces mots, cette langue, celle des bourreaux dans la bouche de ceux qui racontaient le calvaire des victimes. Impossible. Je me dis alors que pour dire tout ça il fallait une langue neutre, je ne sais pas laquelle, peu importe mais pas celle là. Se boucher les oreilles hurler "Ruhe"... je n'ai pas pu.

Cette langue de violence et de haine devait être effacée, rayée, disparaitre au fond des précipices et des gouffres de l'Enfer. A jamais. Ici, dans ces espaces de douleurs et de souffrances; Ce pays bourreau et assassin devait se voir dépouiller de ces territoires qui appartiennent aux victimes, aux survivants et à leurs survivants.

Colère, peine, je ne sais, je n'ai pu verser une larme, pas dire un seul mot. Pétrifiée, tétanisée, j'ai avancé hagarde sur les marches de la mort. Longtemps, en pensant, en voyant en ressentant. Horreur, terreur et frissons.

Terrible épreuve et singulière expérience !

Cette langue est pourtant belle, c'est celle de Goethe avant d'être celle de la haine, c'est celle de Kleist et de la mélancolie. Curieuse histoire que la mienne avec la langue et les langues que je mélange parfois à dessein ou par hasard. Se mêlent alors l'allemand et le russe quelques bribes de roumain et de hongrois ; les langues de Pays Frères, je n'oublie pas. Ce n'est pas simple de divorcer de soi, d'une partie de son être C'est une déchirure, une absence, abandonner un morceau de son être. Je ne sais pas. C'est. Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne Crédit photo @brigittedusch

lundi 15 novembre 2021

La douleur d'écrire



Il y a la douleur d'écrire, 
Celle qui ravive la douleur, la souffrance et le chagrin
Chaque mot est une blessure, une effraction dans l'être entier qui n'aspire qu'à guérir et refermer ses plaies
Il y a cette douleur, cette impossibilité qui arrête le geste et la pensée 
Ne pas mettre des mots, s'anesthésier pour s'endormir encore, pour endormir la peine et la laisser là où elle est, où elle doit être
Ecrire peut faire mal, elle peut libérer mais aussi enfermer, emprisonner dans un passé qu'on veut pas oublier ou qui malgré nous revient à la mémoire
Mettre des mots sur ces émotions là peut être ravageur
Dévastateur et briser le sujet en mille morceaux épars
Ceux là même qu'il tente de ramasser, de réunir, rassembler pour tenter de ravauder une pièce bien usée qu'il aurait fallu depuis longtemps jeter.

Il y a la douleur d'écrire, un temps, plus ou moins long, le temps du deuil
Le deuil de soi, de ses mots, de ses émotions qui ne peuvent être mises au dehors
C'est peut-être de la pudeur, de la retenue, celle des gens simples qui n'osent montrer au dehors tout le chagrin du dedans
Ce serait une insulte de montrer à tous sa dévastation
Une injure et un outrage à soi  et aux autres d'exposer tout ça
Alors on n'écrit pas. 
Ni pour les autres ni pour soi
On se retranche dans le silence
Cet espace réparateur, où on arrête la pensée : celle qui fait pleurer, celle qui fait mal, qui ravive la blessure et fait saigner la plaie à peine refermée
Ce n'est pas du déni que de vouloir se protéger.
D'ailleurs qui aurait le droit de le penser ? de juger ? De condamner ?
Il y a toujours des "bien penseurs ce ramassis d'idiot qui veulent du bien pour nous.
Est-ce bien pour nous ? Ou pour racheter leurs crimes que d'un seul coup d'un seul ils pointent leur museau pour venir sécher nos larmes ? 
Il y a un temps pour tout, celui de dire, d'écrire celui de se recueillir et de faire silence. 
Ensuite il faut dire, si l'on peut dire, écrire et raconter. 
Le temps est venu.

Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne
Crédit photo @brigittedusch

jeudi 11 novembre 2021

11 novembre, le feu du Sacrifice



Personne n'a osé prendre sa place, 
La place de l'absent
La place du disparu
La place du Mort?
Ils sont tous assis, là sans bruit autour de la grande table 
Tous sauf lui.
Parti 

Il y a au bout de la table
Une place sans personne
Une place sans Lui, 
Une place vide.

Sur l'humble buffet de la cuisine, Il pose dans son habit du dimanche, fier, droit, le regard décidé, tout près de lui il y a les mariés, et lui, encore dans son habit de soldat, avant le grand départ.

Il y a la photo de l'absent, du disparu, du Mort enrubannée de noir
Pour dire le deuil, discret, on ne parle pas de ces choses là, on ne parle pas, on pleure dans le silence, on pleure le silence
On a sa dignité.
C'est le silence, de plomb, de mort.

En de jour de Victoire, les volets de la modeste demeure sont clos. Il fait silence et il fait noir, la couleur et le bruit du deuil.
En ce jour de la Victoire, la peine, la colère, le désespoir se réveillent, doucement.
Muet et sourd. Personne ne veut, ne peut entendre le son des cloches, le sermon du curé, les harangues des élus, les hommages aux sacrifiés. Qui connait vraiment le prix du Sang versé ?
En ce jour de Victoire, il n'y a pas de tombe, nul endroit pour pleurer, déposer quelques fleurs et verser des larmes. Il n'y a rien. Le Mort est disparu, quelque part on ne sait où, sur une cote avec un numéro, au fond d'une tranchée, où son corps écartelé et déchiqueté repose sous la terre avec ceux de ces camarades, gamins et pépères sacrifiés pour la Victoire! 
Il est au Bois Belleau, si proche du But, lui qui pourtant avait jusque là vécu.
Il erre peut-être encore tel un fantôme que les bruits du feu d'artifice de ce jour de la Victoire réveille pour partir à la charge de l'ennemi ! Au feu, d'artifice ou de sacrifice.
Personne n'ose prendre sa place
Celle au bout de la grande table
Ou le dimanche à midi il cassait le pain 
Fruit de son dur labeur
Pour le donner à ses fils.
Il a le vide au bout de la grande table au milieu de la cuisine
Celle d'un père parti, pour faire son devoir dans une guerre et des batailles qui n'étaient celles que des puissants
Lui humble paysan a donné sa vie en sacrifice et laissé ses enfants, sa femme, sa demeure et sa VIE

Il a donné tout ça en espérant
Qu'elle sera la dernière et que ses fils pourront vivre dans un monde meilleur et en paix.
En ce jour de Victoire je te salue et te rends Hommage à toi et tes camarades, valeureux Poilus. Que tu puisses trouver la Paix 
Ce jour de Victoire n'est pas un jour de gloire, mais de peine et de deuil.

Brigitte Dusch, historienne, psychanalyste
Crédit photo @brigittedusch collection personnel Mémorial Chemin des Dames

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Ainsi toute ressemblance, similitude serait donc purement fortuite.

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