Quitter est un art, partir, savoir partir avec art, avec élégance, avec l'éclat du tact et de la délicatesse.
Savoir partir, c'est un peu comme l'art de la guerre ; ne pas anéantir totalement son ennemi, lui laisser une chance de se relever, se laisser une chance de faire la paix. Préparer la paix tout en faisant la guerre.
Quitter l'autre est bien difficile, on voudrait, on n'ose pas, on louvoie ou alors on tranche d'un seul coup, on s'en va, laissant l'autre là... Qui ne comprend pas.
Quitter l'autre c'est anticiper, c'est savoir que l'autre laissé sera l'abandonné le malheureux, parfois le soulagé, car cela arrive aussi
Quitter l'autre c'est le faire souffrir, sans vouloir ça mais ce ça arrive, car l'autre ne s'y attend pas, n'y est pas préparé.
L'autre va souffrir, quoi qu'on fasse, mais on ne peut rester, on ne peut se sacrifier, on ne peut se forcer à aimer, quand l'amour n'est plus, est parti, s'en est allé... ll faut partir. ll faut.
Couper le lien, ne plus revenir jamais. Seulement ce jamais n'est pas souvent possible ; pourtant il faut partir !
Savoir partir pour vivre sa vie, quitter ses parents, sa famille, pour construire sa vie, sa famille, pour advenir ?
Faut-il vraiment partir ? Et comment ?
Quitter l'autre, par désamour, par mésentente, par mépris, par dégoût
Par ce que
Quitter l'autre pour ne plus souffrir, pour ne plus être victime, pour ne plus être surveillé, envié, épié, espionné...
Quitter l'autre pour ne plus mentir, travestir, déguiser
Quitter l'autre par ce que "ça suffit"
Quitter l'autre pour ne pas mourir.
Rompre les liens, couper, trancher, rompre. Faire le vide, tourner la page, fermer le livre ? Pour toujours
Ne pas se retourner. Jamais.Oublier le passé ? Vouloir qu'il n'ait pas été ?
Mais ?
Est-ce aussi simple ? La mémoire efface t-elle ? Efface t-on la mémoire ?
Quid des souvenirs ?
Ouvrir la porte, une nouvelle porte ; et tout recommencer.
Parfois la nostalgie s'installe, ce n'était pas si mal, c'était même plutôt bien, car on préfère toujours se souvenir des belles choses ; ça fait moins mal.
ll y a un côté narcissique, humain, il faut bien se protéger, ne pas se déjuger, pas trop. Que vont penser les autres ?
De ça, de moi...
Me suis-je tant trompé ? A ce point ?
Et la culpabilité.
Et la honte.
Cycle infernal.
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Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne
Crédit photo @brigitte dusch collection personnelle
Enchainés, tenaillés, attachés... ll y a le fardeau, celui de ceux d'avant. ll n'est pas le notre. A nous : il faut vivre, se détacher. Etre.
"J'espère que je ne connaitrai jamais la guerre ; c'est ma plus grande peur ça "
Elle dit.
Silence.
Pourtant elle est née une décennie après la fin de la seconde, la dernière guerre dans un pays en paix. La guerre est en elle malgré elle ; la guerre fait partie d'elle, elle en est imprégnée, comme si...
Les récits de guerre sont son décor.
"Je n'ai jamais manqué de rien"
Dit-elle.
Et puis la guerre encore. Les paroles se tricotent avec les souvenirs d'enfants les histoires entendues et racontées, les silences et les non dits, des histoires de lettres et de vestes qui se portent à l'endroit puis à l'envers
"Je ne comprenais pas comment on pouvait sortir avec une veste retournée" dit-elle
Pourquoi avant et après
Puis viennent dans le récit des mots qui s'ils n'avaient de sens pour la petite fille sont devenus un fardeau pour l'adulte d'aujourd'hui.
Collaboration,
"Je ne supporte pas qu'on ne disent plus salariés, employés, mais collaborateurs"... J"e ne suis pas". Silence
"C'est après que j'ai fait le rapprochement, collaborateur, collaboration dénoncer, corbeau lettre anonyme...
ll faut vivre avec ça !"
Vivre avec quoi ?
Silence
"Avec le poids des mots et des fautes d'avant, la mort des gens peut-être d'autres gens à cause d'eux, c'est.... "
Silence
Nous portons souvent, tout le temps, des fardeaux qui ne sont pas les nôtres, nous nous sommes construit au milieu de vies qui ne sont pas les nôtres et qui malgré tout nous collent à la peau, nous imprégnent, fassent corps, éffractent notre mémoire et notre enveloppe corporelle; Où sommes nous , où est ce JE parmi cette nébuleuse tragique ?
-"Longtemps, j'ai eu honte quand j'ai compris, honte d'eux, qui n'avaient pas honte, vraiment; Le pire c'est de ne pas savoir exactement, je ne peux que supposer, mettre bout à bout, essayer de reconstituer, on ne parle pas on n'en parle pas, et le peu dit se termine par c'était la guerre alors c'était comme ça".
Absolution.
- "l'insupportable c'est l'histoire de ces vestes... retournées toujours au bon moment, un moment de gloire, leur fierté d'avoir été futés.... "
Silence, soupir....
- "résistants de dernière heure.... J'ai entendu ça enfant, je ne savais pas ce que ça voulait dire la dernière heure.... La fin..."
"Pourquoi il faut qu je porte ça pourquoi ça me colle à la peau, je ne suis pas eux, je les aime et je les hais, je sais que je n'aurai pas été eux.. non, je n'aurai pas fait ça je voudrai divorcer d'eux.;
Elle pleure.
Silence
"Je voudrai laver, lessiver, effacer, je voudrai que ça n'a jamais été, je voudrai être fière d'eux alors que j'ai honte. lls me font honte, ils sont ma honte, celle qui colle à ma peau et que tout le monde voit"
Elle dit.
Le silence, les mots sont trop lourds. Silence.
"ll faut réparer, réparer le mal, leur mal, c'est ma mission celle que je me suis donnée, que je me suis imposée pour effacer..."
Sanglots
ll y a la faute, le mal, la faute et le mal de l'autre, de l'autre et pas de soi. Mais celle ci devient originelle comme elle le souligne "sa croix à porter".... ll y a le poids de l'autre, de ses actes mais pas seulement, la faute du père que le fils doit porter pour que l'autre pardonne, pour racheter la faute de l'ancêtre avant lui. Une histoire sans fin une transmission perverse et toxique, un héritage empoisonné qui peut être refusé.
C'est une autre histoire que de ne pas accepter ça, de renoncer à ce cadeau gâté, ne plus transmettre une bonne fois pour toute car la fidélité familiale a ses limites. Mettre fin. Un point final à une histoire qui est celle de l'autre, s'en libérer pour vivre sans chaine, mais ce n'est pas une mince affaire, car pour ce faire encore faut-il l'affronter, la comprendre et la mettre à distance. Tout un travail parfois dans la douleur, la sienne et celle de voir, d'accepter que ses proches ne soient pas exemplaires, pas des héros... Comme dans les films.
Pourtant on voudrait bien.
On vient de quelque part.
Et ce quelque part doit être parfait ou presque.... Pour l'être aussi.
Un long chemin à parcourir pour accepter d'être enfin soi, délesté d'un poids, retirer de la valise ce qui ne nous appartient pas. La rendre plus légère, et aller, adevenir au monde, aux autres et à soi.
Brigitte Dusch, historienne, psychanalyste
Nota bene
Ce blog relate des bribes, des vies en respectant l'anonymat, ce l'éthique et la déontologie de ma fonction
Les événements, initiales, lieux, histoires... sont modifiés.
Il s'agit d'illustrer des situations, un concept, une problématique, un questionnement donnant lieu à une réflexion.
Ainsi toute ressemblance, similitude serait donc purement fortuite.