Psychanalye Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

mercredi 2 décembre 2020

La dilution


Traum 


"Cela fait si longtemps maintenant. Longtemps j'ai entendu leur voix, j'ai ressenti leur présence à mes côtés, longtemps ils étaient là, il y avait un parfum, une odeur, des sensations... Vous voyez, je ne peux pas expliquer, mais longtemps ils étaient là"
Silence

"Et puis soudain j'ai réalisé le temps, le temps entre eux et moi, ce temps qui file et qui défile avec moi et sans eux, ce temps que je n'ai pas vu passer, et ce fut un choc...
.................
Hébétée devant ce gouffre, alors j'ai réalisé, qu'ils étaient partis, vraiment disparus, c'était si loin maintenant. Les souvenirs, il ne restent que les souvenirs, mais même eux s'estompent, les voix disparaissent, les sons, il ne me reste que les images, mais je ne sais pas si elles sont vraies, réelles, si tout cela a bien existé, je ne sais plus, c'est une nébuleuse, un ciel plein de nuages..... Et je me sens si seule, abandonnée encore une fois, toujours, c'est un peu l'histoire de ma vie, de la vie, peut-être ! nous sommes seuls. Mais je ne l'avais pas vu comme ça, puisqu'ils étaient là prés de moi. Je ne les ai jamais imaginé au cimetière, je ne vais jamais au cimetière pour les voir, leur parler. Les gens ne meurent jamais vraiment si nous pensons à eux....

Silence.

"Ce n'est pas que je ne pense plus, non, tous les jours j'y pense et je sais bien qu'ils ne sont plus là, j'aime les faire revenir à ma mémoire, mais tout se dilue, se fond dans une brume qui va se dissiper si ne n'y prend garde. Ce n'est pas la mort de l'autre qui est effrayante, c'est la vie sans lui, sans elle, sans eux. Tout continue comme si ils n'avaient pas existés. Cette réalité là reste en moi, mais la vie continue, tout se poursuit, inexorablement, et moi, j'assiste à ça et c'est terrible, tout est pareil, tout pareil mais il manque, il y a un vide, terrible qu'il faut combler en sachant que c'est impossible. Mais le veut on vraiment ? Est-ce un désir ? Il faut vivre avec le manque, et sa présence, entretenir cette confusion en sachant qu'il faut cliver, défusionner, l'autre n'est plus mais moi je suis là, il est pourtant en moi, dans ma tête, mon coeur et mon esprit, je peux ramener son image quand je veux, et me souvenir, entretenir ce dialogue singulier qui fait de moi une folle, mais je m'en fout. 

Silence
Il parait qu'il faut laisser les morts, je n'en sais rien après tout, ils peuvent s'en aller, et là je sais qu'ils sont partis, ce sont éloignés peut-être parce qu'ils pensent que je n'ai plus besoin d'eux, ou que je ne vais pas tarder à les rejoindre. 

Elle rit.
"Et de ça je m'en fout, je suis seulement triste de la peine que je ferai à ceux qui m'aiment ou qui le disent, mais c'est peut-être vaniteux de ma part, de me donner cette importance, le voyage est court, on a le droit de croire qu'on nous aime lorsque nous sommes de passage sur cette terre de misère, cet enfer mais qui nous réserve parfois un peu de bonheur.
Il faut le prendre, ce bonheur, l'attraper au vol et se sauver comme un voleur, on court après, mais il se hâte, et pouf, plus rien ! "c'est comme le pompon du manège, on le choppe et un tour gratuit ! je ne sais pas si je referai un tour de vie gratuit ! tout se paie non ?
Silence.
Tout se dilue, je ne les vois plus parfois, je les vois partir au loin dans un lointain inconnu, où je ne peux aller, tout se dilue, s'estompe, s'en va, et moi je reste là, abandonnée, sans eux. 
Il va falloir faire encore un bout du chemin... 
Silence.

 

dimanche 1 novembre 2020

La fragmentation


C'est un morcellement, une dissociation, lentement brutale, elle surgit, survient inattendue, singulière et envahit d'un seul coup le sujet. 

Il n'y a plus rien ! plus de tout plus d'unité plus rien du tout. 

Fragmentation, éparpillement, dilatation, explosion, mille morceaux aux quatre coins de la pièce, au quatre coins du monde. 

Il n'y a plus de tout, plus rien du tout. 

C'est une attaque, une explosion, d'un seul coup, elle arrive subitement, elle surprend, on ne peut rien y faire, il est trop tard. 

Où suis-je ? Suis-je encore ? Suis-je encore à moi même ? Suis-je encore moi même ? Et qui suis-je ? 

Morcellé, dissocié, fragmenté, écartelé, en mille morceaux je ne suis plus certain de pourvoir rassembler toutes ces pièces qui font le tout, qui font le Je, qui font le moi. Il y en a trop, et je ne sais si j'aurai la force ? 

C'est une fragmentation, un éparpillement de mon moi, de mon être qui n'est plus un. Ce n'est pas une mort, pas vraiment, mais un état singulier et inconnu. je ne me reconnais plus, je ne suis plus, je suis partout, éclaté, vidé, explosé, c'est une détonation, étonnante, surprenante, sans bruit, lentement brutale, et violente; Une violence sourde, terrifiante qui a fait de moi des milliers de petit bout partout, tout autour de la planète, dans d'autres mondes, territoires inexplorés, ténèbres et lumières. je ne sais. 

Je ne suis, je ne veux, je ne peux. 
Je suis

Fragmenté.

Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne
Crédit photo @brigittedusch

 

vendredi 23 octobre 2020

Il n'y a plus d'ailleurs !



Il n'y a plus d'ailleurs, nous sommes enfermés, confinés, muselés, réduits au silence, nous sommes à l'isolement.
Nous ne pouvons plus nous échapper de cet erzatz d'Alcatraz, car il n'y a plus d'asile, plus de refuge. Il n'y a plus rien. Le monde est devenu une gigantesque geôle.

Nous voilà emprisonnés, soumis aux diktats des puissants, de ceux qui déclarent savoir ce qui est bien pour nous, qui ne veulent soit disant pas nous voir mourir ! L'enfer n'est-il pas pavé de bonnes intentions ?
Nous sommes les otages de ces lettres de cachet ! 

Otage d'un arbitraire qui, peu à peu tout doucement avec la complicité de quelques uns, puis de plus nombreux, persuadés que pour vivre il ne faut plus respirer, à jeté ses rets perfides sur les gueux que nous sommes afin de nous enlever l'essentiel : La liberté.
Nous sommes pris au piège et maintenus dans cet étau infernal car ceux d'en haut ont décidé non de nous envoyer au Front, mais de nous faire vivre une masquarade dont ils tirent les ficelles.
Les dieux de l'Olympe s'amusent avec les misérables mortels !


Mais de quel droit décider de notre sort, de notre vie, de notre mort ?
Ces mêmes qui oeuvrent pour le droit à une mort digne, l'euthanasie : la belle affaire !
Ces mêmes ont sans état d'âme laissé les Anciens mourir dans ces dépôts de vieillards indignes d'une soit disant république où nous sommes soit disant libres, égaux et fraternels !
Paroles, paroles et paroles, poker menteur d'incapables, d'irresponsables et d'inconscients. 
Ces mêmes ont ordonnés un tri à l'entrée des services de réanimation laissant à ceux qui se disent "soignants" le soin de décider de qui va vivre ou mourir. Ces mêmes qui ont hurlés soudards malveillants "nous sommes en guerre". 

Roulette Russe, choix de Sophie ? Ce n'est pas moi, c'est l'autre.

Il leur faut leur guerre, il leur faut leurs médailles, leurs combats, leurs batailles sans victoire et sans gloire, si ce n'est celle d'avoir contre leur gré emprisonné des gens. Que retiendra l'Histoire ?
Ils font de nous chaque jour des victimes et des assassins, nous pouvons tuer et mourir, car l'autre, notre semblable est notre pire ennemi comme nous sommes le sien.
Ces faux amis n'ont ni honte ni culpabilité. Ils n'ont rien, ne sont rien, mais ONT le pouvoir et se croient tout. Tout puissant !
Nous sommes leur jouet, leurs pions sur l'échiquier, sujets devenus objets d'une expérience macabre et perverse dont ils sont les observateurs et les décideurs jouissifs ! Grand bien leur fasse de cette jouissance perfide et sadique !

Le pays est à présent aux mains non des gouvernants qui, Ponce Pilate de boulevards se lavent les mains, mais aux médecins. Afin de se dédouaner, les politiques feignent l'ignorance et confient aux experts le soin d'appuyer sur le bouton qui fera tout sauter. Quel courage ! Au moins si cela tourne mal ils ne seront pas responsables, ni même coupables : ils auront simplement fait confiance aux sachants, à ceux qui se targuent de détenir la vérité. 
Les nouveaux Messiah, les sauveurs de l'humanité qui nous mènent au tombeau sans funérailles.

Je réclame le droit de vivre et de mourir libre, sans masque et sans chaine. Je dénie à quiconque le droit de me priver de respirer, de savoir ce qui est bien pour moi. J'interdis à qui que ce soit de s'octroyer ce droit.


Il n'y a plus d'ailleurs, enfant on m'avait expliqué que les lendemains ne chanteraient jamais et qu'il ne fallait pas croire ce qui était écrit sur les banderoles, dans les journaux, ne pas me laisser séduire par les beaux discours, la propagande martelée chaque jour.

 Les lendemains ne sont jamais meilleurs, ils sont différents. Mais enfant je savais qu'il y avait un ailleurs, j'ai appris que oui, il ne faut JAMAIS croire à ce qu'on raconte, qu'il n'y a pas une vérité mais qu'elle était singulière.

Aujourd'hui, il faut rebattre toutes les cartes, le jeu est truqué.  Des fous ont transformé la planète, après l'avoir maltraitée, violée, dévastée, ils en ont fait  une gigantesque prison d'où nul ne peut s'échapper. Un laboratoire où ils se livrent à des jeux de rôle où la vie ne compte pas, où elle n'a aucun prix, où nous ne sommes que de misérables jouets, écartelés et disloqués pour leur bon plaisir !

Ils ont construit, en toute conscience et impunité, et de manière démocratique un avenir que même les esprits les plus fous n'avaient pas osé mettre en scène dans les pires scénarii de sciences fictions. Un monde sans avenir, un monde qui s'éteint, un monde qui se meurt dans la violence et le désespoir.

Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne
Crédit photo, @brigittedusch


samedi 17 octobre 2020

Mathilde 1914.

 


Pauvre Mathilde !
C'est un coup de tonnerre, un coup de tocsin, qui brise d'un coup le ciel et le silence et qui lui rompt le coeur.

C'est qu'elle s'épuise, elle se tue la Mathilde, aux champs, à l'étable, partout, pour remplacer son homme, son Jean que la guerre lui a pris. 

Il est parti un matin, il n'a pas eu le choix, comme ça avec juste du pain, un flacon de vin et quelques restes du repas du dimanche dans sa musette. Il était dur le départ, mais Mathilde n'a pas pleuré, les Hommes non plus, mais ils n'étaient pas fiers. C'est qu'ils sont durs les gars de la campagne, les paysans ,ils labourent et sèment, récoltent les moissons, ne rechignent pas à la peine. 

Pauvre Mathilde ! 
Ils sont partis les hommes, les jeunes, les plus vieux, les plus valides, les plus forts, et qui va faire le travail ? Qui va conduire les vaches ? Qui ? Il ne reste que les enfants, les chétifs, les malades, les Anciens. Ils sont partis les Hommes.


Ce ne sont pas des soldats ces Hommes là ! Mathilde ne comprend pas, ne comprends rien, elle a lu le journal, elle a entendu les rumeurs, elle a eu peur, puis a été rassurée, a eu peur encore, au cimetière, les Femmes parlaient, disaient que les Hommes allaient peut-être partir encore une fois, leurs enfants. C'est si loin ces pays dont ils parlent tout le temps au "coq d'argent" ces beaux Messieurs bien mis qui reviennent de la Capitale.

C'est quoi cette guerre, se dit-elle ! L'Alsace la Lorraine, l'Allemagne, le Kaiser, ces mots barbares qu'elle lit dans les journaux ? Et la récolte ? Qui va la faire ? Pas ces gars de la ville, ces bons à riens, ces fainéants qui ne savent pas ce que c'est que la terre

Pauvre Mathilde
Elle parle à son Jean, parti on ne sait où dans le train, elle lui raconte, marmonne toute la journée. Non Mathilde ne parle pas toute seule, elle parle à son Homme

Ah la ! Mathilde pas un jour où elle ne peine à la tâche et qu'elle ne maudit ces endimanchés, ces cafards du ministère. Elle avale ses larmes de colère et de peine, elle revoit son Jean et sa musette, avec le René, l'Auguste et l'Octave ! Ils sont sur le quai de la gare et vont monter dans le train. On sera revenu à Noël qu'ils ont dit, qu'ils disent tous! Le curé a béni tout le monde, et le curé a dit la messe, a dit qu'on allait gagner la guerre

Elle s'en fout de la guerre La Mathilde, elle s'en fout de la Lorraine et de ses mirabelles, elle s'en fout que le Rhin soit allemand, elle ce qu'elle veut c'est son Jean ! Ils parlent tous de la patrie, de la revanche, des boches.. Elle bougonne toute seule, en allant chercher l'eau pour les bêtes, toute seule, un matin encore !

Qui va rentrer la récolte ? Elle se demande ! Y a plus de gars valides, et les autres vont partir, ils en appellent tous les jours, mais le Jean, le René, l'Auguste et les gars du village ne leur suffisent-ils pas ?  Elle ne comprend pas Mathilde, elle ne comprend rien  ! Il y a les petiots qui ne vont plus à l'école, ils ont pris l'instituteur ! ce bon monsieur Albert, il ne saura pas se battre cet homme là se dit Mathilde ! c'est un monde de fous ! Depuis quand on envoie nos paysans faire la guerre ?

Puis Mathilde se souvient d'il y a longtemps, de la grand mère de la "Ferme du Bout" qui parlait des Uhlans, son homme a elle est parti, il n'est pas revenu. Il a marché, marché pendant des jours pour aller dans le nord du pays, et il est tombé pas loin d'une ville étrange, Sedan ou un nom comme ça. 

La guerre encore, la guerre toujours ! Ils ont pris nos hommes et maintenant ils prennent nos bêtes, ils ont emmené le Pimpin : qui va tirer la charrue ? elle se demande Mathilde ! Puis il vont nous prendre notre pain ? 
Ah brave Mathilde tu n'y entends rien ils prennent tout : les Hommes, les chevaux et même les draps ! Elle s'en fout de la guerre. Elle ! La Jeanne elle a eu une lettre, ils sont aux dépôts ! mais qu'est ce donc que ça un dépôt ? elle se demande, et il n'y a même pas de lits. Voila que nos hommes y dorment sur la paille comme dans nos écuries où on y met nos bêtes.
C'est pas pour les paysans la guerre ! Qu'elles se disent les femmes .

Les Femmes et les Larmes, les Larmes des Femmes.

Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne "1914-1918, la guerre, des Hommes, des Femmes"
Crédit photo @brigittedusch

samedi 3 octobre 2020

La traversée en solitaire

C'est une épreuve, c'est la souffrance, c'est la solitude, une ile déserte où nous sommes relégués, seuls. Seuls face à nous même, seuls au bord d'un gouffre sans fond, une abîme, un enfer.
Douleur, épreuve ultime de l'accompagnement vers le dernier passage, celui d'où personne jamais n'est revenu. 
Il faut assister impuissant à ce naufrage.
C'est une traversée en solitaire
Pour l'un et pour l'autre
C'est une rupture tragique qui n'épargne rien, un gigantesque tsunami qui dévaste tout sur son passage ne laissant que larmes et désolation
C'est une traversée en solitaire
L'un face à la mort, l'autre face à la solitude
Ni l'un ni l'autre n'ose regarder en face ce qui l'attend, ce qu'il ne veut ni ne peut entrevoir, mais dont il sait que c'est. 
L'indéniable, l'impensable et l'impensé.
C'est une traversée en solitaire
Vers un rivage inconnu pour l'un et l'autre
Ultime épreuve et ultime voyage
Une solitude et un abandon, des maux sans mots
Nul endroit pour jeter l'ancre, un voyage sur une mer déchainée qui parfois s'apaise, laisse un répit pour mieux engloutir sa proie, l'emporter au creux d'une vague, la rejeter sur une plage déserte pour la reprendre ensuite encore et encore avant de l'avaler pour de bon.
Issue toujours fatale, réel implacable qui nous rappelle à l'ordre et nous met devant la Vérité, la seule qui soit vraie, vivant ou mort nous sommes seul. Toujours seul.

Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne
Crédit photo @brigittedusch.

 

mercredi 16 septembre 2020

La laideur du monde : Résister.



Comment ne pas se laisser envahir par toute cette laideur, cette noirceur ?
La laideur du monde.

Il semble qu'un voile sombre a obscurci le ciel, il semble qu'il a recouvert la Terre de gigantesque ténèbres.
Nous avançons à pas de loup dans une forêt de ronces, d'épines, un champ de mines qui peuvent en un seul instant, une seule seconde nous réduire à néant.
Elle est venue presque sans faire de bruit, la laideur, la noirceur, la misère, l'infâmie. Elle nous a privé de nous, de notre liberté, de la beauté, du bonheur, de la joie et de la vie. Elle a pris notre vie.
Comment ne pas se laisser envahir, prendre par la laideur du monde ?
Ce n'est qu'une poignée d'hommes et de femmes qui d'un seul coup d'un seul ont réduit à néant les espoirs, ont assignés à résidence des populations entières, les ont privés de tout, de leurs enfants, de leurs parents et leurs ont même pris leurs morts. Ils leur ont ôté le droit d'enterrer dignement leur père, leur mère, leur frère, leur soeur; Ils ont brisés les liens, la famille, les amis ; tout ce qui faisait de nous des Hommes. Ils nous ont volé la Beauté.

Lentement, sûrement pour notre bien, la Laideur du monde a jeté son ombre, effroyable fantôme sorti des Enfers pour répandre la terreur et le malheur sur un Terre déjà bien meurtrie qu'elle veut achevé par son indicible ravage.


Ne pas se laisser aller à la Laideur du monde, ne pas se laisser envahir par les ténèbres, le Chaos et la colère. 
Ils ont tout salis, tout meurtri, tout brisé !
D'un seul coup d'un seul tout a volé en éclats.
Il ne faut pas se laisser aller, laisser s'échapper ses bleus à l'âme qui viennent heurter nos corps et nos coeurs, ne pas se laisser envahir par la néant, la colère, le mal et le malheur.
Il ne faut pas se laisser abimer par ce Chaos.
Une poignée d'entre nous ne sont pas dupes et a entendu le bruit des bottes dans la tiédeur feutrée d'un temps suspendu, une poignée d'entre nous a identifié les mensonges distillés dans leur injonctions toujours paradoxales. Une poignée d'entre nous a décodé ces messages doucereux et menaçants.
Peu d'entre nous ne sont pas dupes et rapidement ont compris ce que signifiait ce Grand Enfermement. L'occasion était trop belle, et la peur la meilleure arme de guerre. Elle fait ses preuves depuis des millénaires, ne coûte pas cher et se répand comme une trainée de poudre relayée par une presse fort zélée à la botte d'un pouvoir qui la musèle et la censure.
Une poignée d'entre nous ne veulent pas de ce Monde là, et entre en Résistance, doucement mais sûrement.

Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne
Crédit photo @brigittedusch

dimanche 6 septembre 2020

Tourner la page.



Tourner la page, ce n'est pas un simple cliché, c'est un acte, une mise en acte. Longue parfois, difficile souvent, essentielle toujours.


C'est prendre une décision, clore le chapitre, le jeu, une histoire. 
Prendre une décision : Choisir : Renoncer.
C'est réfléchir, raisonner, parfois,
C'est une rupture souvent

Tourner la page c'est se sauver, sauver sa vie, sa peau, son esprit, son âme, se délester d'un poids, d'un mensonge, d'un faire semblant. C'est faire tomber le masque, pour toujours.
C'est penser à soi, prendre soin de soi. C'est être arrivé au bout d'un chemin, lassé, usé, vampirisé... Exsangue.
C'est quitter enfin !

Partir, un mot magique ! La clé qui ouvre toutes les voix, tous les champs du possible. C'est sortir de soi, de ce "chez soi " qui sournoisement a offert, puis maintenu un simulacre de sécurité, d'enveloppement, parfois d'amour. C'est s'échapper de cette médiocrité, cette étroitesse où maintenu, tenu en laisse, muselé on étouffe et suffoque.

Tourner la page c'est passer à autre chose, à cet ailleurs nécessaire, indispensable et salvateur.


Il n'y a aucune autre issue, c'est l'issue de secours, le visa pour l'autre côté du Mur, le passeport vers la vie, la liberté, la Renaissance. 
On retrouve d'un coup, d'un seul la soif de vivre, de faire des projets, d'imaginer, de s'imaginer
On se prend d'un coup d'un seul d'une envie de sortir de son cocon, de briser le carcan, de jeter le corset.
Il n'y a rien à regretter, ni à se dire "j'aurai du faire ça depuis longtemps" ! Non, il faut être prêt, et on ne l'était pas. C'est une longue maturation, un processus, un temps long, une transformation, une conversion, une métamorphose, un rêve, un impossible qui peu à peu prend forme, puis prend vie.
Qui enfin EST.

Longtemps on s'est pensé incapable, dépendant, puis on découvre que non, nous ne sommes pas ça, nous ne sommes pas celui ou celle que l'autre a modelé ou a cru le faire. Cet autre qui nous à fait victime, vulnérable, incapable. Non, nous ne sommes pas ça. Nous n'avons jamais été ça, nous n'avons été que le reflet de ce que cet autre, bourreau maléfique a instillé dans nos veines perfidement afin de nous empoisonner, de nous arraisonner telle une cargaison précieuse pour se nourrir, et vivre à nos dépends.

Alors il est grand temps de se libérer, de faire sauter les verrous, les derniers obstacles. Ils tombent facilement, un par un, nous prenons cette forteresse que nous pensions insaisissable, et nous voyons ce tourmenteur dans toute sa noirceur et sa laideur.  Nous voilà encouragés à persévérer, à se défaire des chaines qui depuis des années nous entravent. 
Vivre libre enfin ! regarder le ciel et se dire qu'il nous appartient. Penser à soi, enfin, prendre soin de soi enfin?
Etre soi enfin !
Il en a fallu du temps pour briser le joug ! il en a fallu des brimades, des humiliations, des larmes, de la souffrance, de la douleur !

Mais c'en est fini de courber l'échine, on peut à présent se tenir droit, relever bien haut la tête. 
Le monde nous appartient. Car nous n'avons plus peur !
ENFIN.


Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne

crédit photo : @brigittedusch



mercredi 26 août 2020

Il y a la rupture



Rupture, cassure, déchirure, brisure
Rompre, casser, déchirer, briser
Douleur

Il y a la rupture, il y a le moment, les mots, les cris parfois, les larmes souvent, le désespoir toujours. 
Il y a tout ça, l'instant tragique du non retour, c'est fini, il faut partir, s'en aller et ne plus revenir jamais

Rupture, brutale, pensée, rêvée, fantasmé, espérée, souhaitée, redoutée. Remise à demain, à après demain, à un jour peut-être, et à ce jour fatal.

Rupture à tâtons, à pas de loup, sans rien dire, en catimini, à pas feutrés, sans rien dire, à la cloche de bois, sournoisement, pas vraiment, en finir
Sans vouloir faire vraiment mal, ou faire très mal
Rupture

Se demandent comment faire : pour partir ?
Sans faire d'éclats, avec lâcheté, sans regarder l'autre, sans être avec l'autre, sans lui dire vraiment, en lui faisant comprendre, en en lui disant rien. 
L'indélicatesse délicatesse de prendre soin de celui ou de celle qu'on va mettre au sol.
Envisager, penser, préméditer, imaginer
Agir sous la pulsion, l'impulsivité, faire vite, se débarrasser, en finir, tourner la page. 
On y met les formes ou non. L'important est de se tirer de ce mauvais pas, celui de l'autre. Fuir et éviter à tout prix ses larmes et sa souffrance, ce n'est pas qu'elle soit touchante, mais embarrassante. Plutôt. 
Il y a mille moyens p
ar lettre, par mail, par SMS, en laissant un message maladroit sur le répondeur d'un téléphone après s'être assuré  que l'autre ne pourra décrocher tout en ayant l'aplomb de lui faire part de nos regrets  "tout ça j' aurai aimé te le dire de vive voix."

C'est parfois à s'étouffer, car ça ne passe pas. Mais est-ce si simple de partir, de dire au revoir, de rompre sans éclats, sans maudire et sans mot dire ?

Est-ce un manque de courage, un acte de lâcheté ? Les deux peut-être, sûrement, cela dépend, parfois c'est un acte de survie et il faut sauver sa peau.
Rompre c'est casser, c'est séparer, il y a toujours un avant et un après, une histoire qui se termine, mais qui laisse des traces, des souvenirs, du chagrin, de la colère et de la peine.

Il y a la rupture. Il y a le maintenant. Mais il y a aussi l'après.

Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne
Crédit photo @brigittedusch

dimanche 9 août 2020

Un long silence


Un long silence, un temps long, pour aller à la rencontre d'un autre soi. Celui qui n'existait pas, qu'on ne soupçonnait pas jusque là. 

Un temps nécessaire pour parcourir le chemin, s'arrêter, partir, se dire aussi qu'il ne sera plus jamais question de revenir. 
C'est un aller simple que ce voyage là, c'est un aller sans retour. Prendre un billet vers nulle part, sans boussole, juste en se faisant confiance. Car on n'a plus le choix.
On se dit que devant le malheur et la tragédie il faudra faire face, le vivre en est une autre. On se croit armé et on se trompe. Car il ne s'agit pas d'armes, il ne s'agit même pas de guerre, il n'y a pas d'ennemi, rien à perdre, rien à gagner;

Il faut simplement y aller, traverser l'enfer, l'insomnie, la terreur, le désespoir, déverser des torrents de larmes, demander des secours, qui jamais ne viennent et ne viendront jamais

C'est en ça que réside la force : l'Etre seul, l'Etre face à soi, face au malheur, face à la peur, face au vide, et se demander si et quand on va basculer

Etre sur le fil du rasoir, il suffit de se pencher, de se laisser aller, de se laisser glisser... Ou non 
Croire que cette fois, jamais on n'y arrivera, jamais on n'y parviendra.
Choisir.

Pourtant  ! On se dit qu'on a survécu déjà à tant et à tant, qu'on fait partie de la race des Survivants, des presque morts, de ceux qui reviennent toujours, mais juste un peu mais différents. 
Différents, non pas plus forts, pas plus faibles, pas plus meurtris mais différents.

Car nous avons appris.

Il y a des moments où la vie nous oblige a prendre rendez-vous avec l'enfant que nous étions, de le regarder vivre, ses joies, ses peines, les violences et les chagrins. Le regarder avec compassion et l'aimer. Puis il y a des moments où il faut prendre un autre rendez-vous. 

Partir à la rencontre de l'adulte, cet homme, ou cette femme, ce sujet humain qui est aussi en nous mais que nous ne connaissons pas vraiment. Le résilient, le survivant, celui qui va affronter. S'affronter. Se défier, se surprendre, se surpasser.

Il faut comprendre que même si des mains se tendent, c'est une illusion, un mirage, qui retarde notre rendez-vous, notre grand soir ! Nous seul avons la clé, celle qui ouvre la porte de notre Etre

Car nous sommes, nous ne sont que ça : Etre.

JE SUIS

Cela nécessite un long chemin et un très long silence. 

Brigitte Dusch, historienne psychanalyste
Crédit photo @brigittedusch

dimanche 24 mai 2020

Réparer les morts ?


Etre thérapeute, psychanalyste, c'est entendre, écouter, aller à la rencontre, comprendre, accompagner, et tenter de réparer les vivants. Les amener à vivre malgré les blessures, les souffrances, les épreuves, aller au delà d'un passé douloureux, apaiser les angoisses, les peurs, panser les bleus de l'âme, calmer les vagues, les tsunamis parfois, mettre du baume sur les cicatrices qui inévitablement laissent des traces.
Réparer, rafistoler, être vivant, tenir debout tient souvent du savant bricolage….
Pourvu que ça tienne !


Mais réparer les morts ?
Depuis les Origines on raconte que les morts n'ayant pas trouvé la paix et n'ayant pas été ensevelis convenablement reviennent demander des comptes aux vivants. Exigent d'eux de reposer enfin. C'est aux vivants de faire ça, ils leur doivent, ils sont dans cette dette. Ainsi il en est des fantômes…

Croire ou non aux fantômes n'est pas la question, mais réparer les morts est un devoir, certains entendent leurs plainte, leurs cris, leurs demandes, sorciers, chamanes ou tout simplement ceux qui prennent le temps d'écouter le silence, d'entendre le fin crissement qui en déchire le voile. 

Entendre pour réparer les morts.

Les disparus, les oubliés, les laissés là, abandonnés, les âmes errant à la recherche d'un tombeau, de leur terre, des leurs, les morts qui n'ont pas compris pour quoi ? qui ont été saisis par la faux implacable qui, d'un coup d'un seul leur a ôté la vie, les a longuement, trop longuement toujours, laissés agoniser avant de voler leur dernier soupir. Jeunes ou vieux, la mort était trop tôt au rendez-vous. Ils n'ont pas eu le temps de dire au revoir, de finir, d'aimer, de vivre. Ils sont partis dans un cri, un hurlement, un sanglot, des larmes.

Ces morts ce sont ces Hommes, ces Femmes, ces enfants,  que je rencontre au fil de mes recherches, parfois au hasard d'une liasse, ou d'un registre. Des noms, prénoms, une vie contenue en très peu de mots, en chiffres, une vie sur une ligne ou une page. C'est cette petite chose indéfinissable qui m'arrête, accroche mes mains sur la feuille ou mon regard, hasard, pur hasard, un numéro, un nom et puis… Je sais que ça parle.

Chut, entendre, oh il ne s'agit souvent que d'un murmure, mais il est bien là, timide, parfois plus appuyé. Alors je m'arrête, là, à cet endroit, et je sais qu'il faut chercher, aller plus loin, partir à l'aventure d'une rencontre. Ce n'est pas toujours facile, les indices sont souvent rares, alors je leur parle : "bon il va falloir m'aider parce que je ne vois pas, je ne vous trouve pas,  il faut me guider' puis ça vient, lentement, parfois plus vite, je trouve par "intuition"...
Je parle souvent, avec eux, au cours de mes recherches,  toujours, ils sont prés de moi, je ressens cette présence discrète, un parfum de tabac, de violettes, une ombre. C'est un lâcher prise. Accepter d'être accompagnée, de faire un bout de chemin avec cet autre, d'abord inconnu, puis familier.
Je dirai que tout au long de ma vie de chercheur j'ai toujours eu cette chance, découvrir l'inattendu, mais qui se révélait essentiel et faisait avancer mes travaux.

Réparer les morts, n'est pas seulement faire de l'histoire, c'est aussi et surtout faire acte d'humanité, de rendre la place qui est la sienne aux vivants et à ceux qui ne le sont plus. Remettre de l'ordre dans la Cité. C'est parfois compliqué, c'est entrer souvent dans l'intimité d'une lettre, d'un journal, d'un "intérieur," d'une confession. Même trois ou quatre siècle plus tard, je demande toujours au défunt son autorisation de lire, d'ouvrir de partager. C'est un dialogue bien singulier que nous entamons là mais sans lui, serait-il vraiment possible d'aller plus loin ? Ne serait-ce pas une intrusion ? Une profanation ?
Réparer les morts, c'est aussi leur rendre leur identité, leur vie, dire qui ils ont été, ce qu'ils ont fait, les inscrire dans le lien qui fait notre histoire, le passé du présent. C'est dire qu'ils ont été pour que nous puissions être là.
Réparer les morts c'est les reconstruire, raconter leur vie, dire aussi quand elle se termine, comment. C'est la branche d'un arbre qui si elle ne vit plus a été et a donné de nouveaux fruits, de nouvelles feuilles.
Réparer les morts c'est inscrire la trace de celle, de celui, de ceux qui avant nous étaient là, qui ne sont plus là, c'est les sortir de l'oubli. Leur donner une sépulture, pour qu'enfin ils puissent reposer en paix.
Réparer les morts, c'est aussi leur dire aurevoir, se séparer, éprouver du chagrin, un manque puis reprendre la route. Faire le deuil ; eux de moi et moi d'eux. Et en être heureux.
Réparer les morts : c'est je pense,  le devoir des vivants.

Brigitte Dusch, historienne, psychanalyste
Crédit photo @brigittedusch

dimanche 10 mai 2020

8, 9, 10 mai 1917. Gustave L.


Trois jours, trois jours qui changent tout, une vie, un destin, une histoire, une famille. Trois jours qui bouleversent un avenir. Trois jours !
Il a suffit de ces trois jours. Il m'a fallu du temps pour partir à la recherche et explorer ce temps court, le raconter. Il manque encore tellement de pièce à cet immense puzzle, tant d'infimes détails, dois-je admettre que je ne saurai pas tout, car tout n'est pas écrit, tant de choses se sont diluées dans ce Chaos. Aujourd'hui, il est temps, je crois de réunir ce maigre corpus, et de le raconter. Nous en avons parlé à notre manière toi et moi. Il y a un temps pour tout, et ce temps est là.

C'est avec bien du mal que je retrace ton parcours, celui de ton régiment, le 9° Génie, il y a des manques, des trous dans les Archives. Je reconstitue quelques bribes d'après l'historique de ta compagnie, mais je n'ai pas pu mettre (encore) la main sur son journal de marche. Je ne désespère pas.
Comme tous les hommes d'alors, avec ceux du village vous êtes partis au dépôt pour être envoyé très vite sur le Front, il est vrai qu'il était alors si proche. Départ…. Jusqu'à Noël, nous les mettrons dehors et nous rentrerons très vite.
 

Depuis le la fin août 14, toi et tes compagnons d'infortune avez été embarqué en automobile pour "faire la guerre de mines à Fontenay les Cappy" pendant huit jours, pas très loin de chez toi, ce chez toi alors occupé par l'ennemi. Ce n'est qu'au 1° octobre que ta compagnie devient indépendante, s'administre et dresse les travaux de fortifications de Souain, d'abris à Sainte Marie à Pye (combien de fois suis-je passée par là). Elle combat, reprend aux Allemands une portion de ligne "le Bonnet d'Evêque". Mai 1916 c'est le départ précipité pour Verdun, tu prends part à l'attaque de la carrière d'Haudromont, puis tu rebâtis ce qui a été détruit. Te voilà reparti pour la Marne, Dormans, ta division participe aux travaux du fort de la Pompelle, et à ceux près du canal au sud de Reims. En septembre 16 vous construisez les fameuses baraques Adrian au camp d'instruction de Ville en Tardenois. Et tu continues à te battre, dans la boue des tranchées que tu as creusées, tu pars à l'assaut, rattaché au 6° corps tu construis les abris dans les ravins au nord de Cléry.. Le 16 avril 17, c'est l'attaque, le cauchemar du Chemin des Dames.  Le 21 avril au 4 mai, ce sont les combats aux environs de Braine, la reprise de secteur au nord de Soupir, dans les boyaux menant aux premières lignes, ceux qui t'ont donnés tant de mal. Gustave. Je t'imagine. Je te vois, sur cette crête, au milieu de la fumée, des barbelés, des cadavres de tes camarades. Au feu.

L'historique pour nous deux s'arrête à cet instant. Soupir, secteur de Soupir, tu ne le quitteras pas, tu ne le quitteras plus et c'est là que nous nous retrouverons. Cent ans plus tard. Qu'il fut long ce chemin, le tien, le mien. L'attente, la tienne… L'histoire je te l'ai raconté, à Soupir, ce jour là.

 Le 8 mai 1917, offensive sur le Chemin des Dames, la compagnie en attente reprend le secteur au nord de Soupir, le sapeur mineur Gustave L du 9° RG compagnie 6/61 a été blessé par éclats d'obus à "l'entrée des carrières souterraines situées à 1 km N/E de Soupir sur la route de Soupir à Cour Soupir." Il a été évacué le jour même sur l'ambulance n°19/6, secteur postal 176. Le commandant CC du SAMHA m'a adressé ton dossier médical, comportant la nature de tes blessures, des blessures de guerre, horribles comme elles le sont toutes. Lire ce dossier a été une rude épreuve, ces dossiers, j'en ai lu tant, mais celui là, c'est le tien, et c'est insupportable. Les rapports sont laconiques, nous sommes en temps de guerre, en plein combats, dans une ambulance, gare de triage des blessés, ceux qui peuvent être sauvés ou pas, ceux qui pourront être évacués à l'arrière dans un centre de soins, dans un hôpital, ceux qui en auront le temps.
"Hospitalisé pour évacuation de l'ambulance 12/6"à Vauxtin, avec pour diagnostic d'entrée "plaie région carotidienne par éclat d'obus". C'est tout.
Tu y reçois les premiers soins. Il m'est impossible de reconstituer des trois journées, celle de ta blessure, celle que tu passes entre la vie et la mort, et celle ou tout s'arrête… Je ne peux que supposer, penser, imaginer. Mon travail d'historien (mais peut-on rester seulement ça dans ce cas précis ?) s'arrête là. As tu souffert ? Sûrement, sans nul doute, de ta blessure et de la solitude, de tout, j'imagine ton désespoir, ta peur… Au milieu du sang, de la mort, des cris,  des râles et de l'odeur de poudre mélangée à celle de la charpie de ces chairs meurtries. Au milieu de cet enfer ! Les mots sont impossibles et inutiles, ils seraient presque indécents. Silence.

Le 10 mai 1917. C'est fini. Les gendarmes et le maire iront je ne sais quand, des semaines, des mois plus tard annoncer le drame à ta femme. Ta Marguerite, ma Grand tante, ma chère Marguerite. Ils lui ont sûrement remis ce que tu portais alors, à l'instant de ta mort : une croix de guerre, un briquet, un couteau, un porte monnaie, un porte feuille de correspondance, 2,50 F 
Elle n'a jamais rien dit, jamais parlé, jamais pleuré, mais toute sa vie, elle t'a parlé, et je me souviens de ses mots qu'elle t'adressait dans son jardin… j'étais enfant, je comprenais, pas tout sûrement, puisqu'il m'a fallu attendre tout ce temps pour arriver à reconstituer un bout de cette histoire.

100 ans plus tard, j'ai fait la route, la tienne, celle de tes combats, j'ai réuni les sources, plans, croquis des combats, des lignes, des carrières, des champs cabossés où tout rappelle à chaque instant ce qu'il s'y est passé. Il n'y a qu'a regarder, écouter, et se laisser guider. Tout est là, tout se passe, on assiste alors spectateur, hors temps à l'intensité de cette redoutable tragédie.
J'ai
arpenté seule ces chemins, Craonne, le plateau de Californie, nous avons marché côte à côte. Guidée par tes pas, je n'avais pas peur, puisque tu étais là. Cette expérience singulière restera à jamais gravée dans ma mémoire, comme un cadeau que nous nous sommes offert.
j'ai essayé de reconstituer pas à pas, ce parcours jusque dans le carrières de Soupir, les grottes, les vestiges de boyaux que tu as construit et où tu as perdu la vie. Puis un soir je m'en suis allée vers ce qu'ils appellent la "nécropole 2" Un immense champ de croix blanches, partout… A perte de vue, vous êtes là, malheureux soldats, arrachés à la vie, trop tôt et pour rien. Il règne un curieux silence, troublé seulement par le bruissement des arbres, gigantesques gardiens qui veillent sur vous. Je me dirige vers toi, vers ce minuscule endroit où tu reposes. 
Ces retrouvailles c'est le Réel, celui de ta mort. Est-ce la fin de notre histoire ? Devons nous alors nous dire adieu ? Je ne suis pas prête, pas encore, j'ai besoin de temps, je n'ai pas fini, il me faut faire mon deuil, celui de Marguerite aussi, je suis là pour ça. Maintenant je commence à savoir.
 

Le temps s'arrête, c'est un temps long, différent, une ouverture vers un monde où il n'y a pas de cadre, de limite. Un temps pour ça, seulement pour ça, pour mettre ça.

Je dépose les  quelques fleurs des champs et je m'assois, à même le sol puis je t'ai parlé, nous avons parlé, longuement, jusqu'à la nuit, je t'ai raconté, le temps passé, la vie, Marguerite, mes enfants, Anna, mon fils qui m'a aidé à reconstituer ce parcours, j'étais bien, heureuse, apaisée. Je t'ai fait des promesses, j'y travaille encore et j'en suis heureuse. Je t'ai promis de sortir tout ça du silence et c'est fait. Tu n'es plus un simple nom sur le monument que Savigny a élevé en l'honneur de ses enfants morts pour la France. Tu n'es plus seulement quelques lignes décrivant tes exploits qui ont fait de toi un Héros mort pour la France. Tes médailles et ton tableau d'honneur sont revenus dans notre maison, par un curieux hasard, mais le hasard n'existe pas vraiment (c'est une autre histoire que je raconterai). Ils ont retrouvé la place qui leur est due, au sein de ta famille.
J'aurai tant aimé que tu reviennes ! Mais je sais à présent que tu reposes en paix, Marguerite aussi, et que vous êtes enfin réunis. C'est notre secret, c'est notre histoire à tous les deux. Je t'aime Gustave.
Ta petite nièce, Brigitte.

Brigitte Dusch, historienne, psychanalyste
Crédit photo @brigittedusch

mardi 5 mai 2020

La souffrance de l'autre


Il y a la souffrance de l'autre
L'autre dont on ne parle pas,
Qui n'existe que dans l'ombre de celui qui souffre, malade dans son corps, et dans son être.
Il y a cet autre, qui tristement regarde son autre, vivre et se languir

En attendant de mourir
Quitter la vie, lentement, tout doucement, mais violemment, dans la douleur et la souffrance
Il y a la souffrance de l'autre,
Qui doit tenir bon, être debout
Solide et vaillant
Sans avoir le droit, de pleurer, de s'effondrer et de mettre des mots sur son impuissance à laisser l'autre sombrer dans sa détresse, sa douleur, son désespoir avant d'atteindre les rives du fleuve maudit qui l'emmènera vers cet inconnu qui n'est sûrement pas l'enfer ou le paradis.
Vers ce gouffre géant, ce vide, cet infini dont on ne revient jamais.
Il y a l'autre, qui depuis des jours, des semaines, des mois, des années assiste impuissant à cette dérive là, qui partage les craintes, l'espoir, la rechute, la rémission, dans l'attente non de la guérison mais de jours un peu plus ensoleillés. En attente de l'été…
Combien y en a t-il eu d'étés ? Moins que d'hivers peut-être ? C'est toujours pareil on apprend, on ne veut pas, on se bat, on lutte, on combat, et on y croit, la maladie mourra, mais pas lui, pas elle, car ça n'arrive qu'aux autres ces histoires là et sûrement pas à moi. Car moi, je saurai faire face, je saurai lutter, je serai un bon petit soldat. On tient, encore, on tient toujours, on porte à bout de bras, et à bout de force. On regarde l'autre faire semblant, mentir un peu, ne pas montrer sa vulnérabilité. On voit impuissant l'autre s'affaiblir, changer, se fatiguer, souffrir, avoir mal, dans son corps, dans son âme et dans sa tête, on le voit peu à peu perdre des forces tout en prenant des remèdes qui ne le soignent pas vraiment, mais le tue à petit feu, le conduise à sa perte, celle de son être. Impuissant devant tout ça, on tient bon encore, on tente de composer, avec la maladie, on aide, on accompagne dans la souffrance de la perte, on retient ses larmes…. On ne se plaint pas. On n'a pas ce droit.
Puis un jour on s'écroule, on se dit qu'il faut que ça finisse, qu'il y ait une fin à tout ça, que ça ne peut plus durer, qu'on ne tiendra pas, qu'on ne peut plus. Il faut que ça s'arrête !
C'est l'effondrement, le début vers la fin d'une fin inéluctable. Un fin attendue et redoutée depuis si longtemps, mais dont le terme se rapproche, dont le terme lui aussi est à présent non seulement inéluctable mais imminent. Tout se résume souvent en un regard, car on ne peut mentir, on ne ment pas à ceux qu'on aime et ceux qui s'aiment ne se mentent pas. Ce serait indécent, mais aussi superflu. Nul besoin de paroles, de mots. Tout cela est inutile et futile. Il n'y a rien à dire. Rien à entendre, rien à attendre. Mais comment ? Comment vivre l'insoutenable et l'invivable, vivre dans cette attente morbide, vivre dans ce temps irrémédiablement court. Que reste t-il ? Que nous reste t-il ? et comment sera ce temps ? Quelles souffrances allons-nous encore endurer, et nous infliger ? S'infliger à soi mais aussi à l'autre ? Mal adroit, mal adresse, mal entendu, refus, déni, refuge, partir, éviter, fuir ? Mais pour aller où.
Alors on poursuit la route en sachant qu'on arrive au terme du voyage. Qu'il va falloir se dire aurevoir, adieu… Peut-être ? 


Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne
Crédit photo, @brigittedusch

vendredi 1 mai 2020

Huis clos J.45


Tout se joue à clos fermé.

La vie se joue derrière les murs, sans spectateur, avec les mêmes acteurs, toujours les mêmes, la scène se répète, les actes changent au gré des heures, mais au final les jours se ressemblent. A clos fermé.

On n'ouvre pas, on n'entrouvre  pas, on reste là, entre soi. Tout est fermé, verrouillé dedans. A huis clos. A l'intérieur, de soi. Emotions retenues, confinées elles aussi, reléguées, rejetées, assignées au silence, muettes,  au fond d'une mémoire qui n'en peut plus de contenir ce trop plein qui ne va pas tarder à déborder, exploser.
On tient, on garde, on serre, on se retient, mais

Il n'y a plus de place, plus d'espace, on ne peut plus rien y loger, pas la moindre larme, pas le moindre silence. A clos fermé.
A force d'étreindre, on se dit qu'on ne pourra éteindre ce feu intérieur qui nous dévore et nous détruit peu à peu. On s'épuise lentement.

On étouffe, on suffoque, il n'y a plus d'air, plus d'oxygène. A clos fermé.

Tout se joue là, dans le même décor, on donne le change, on s'invente un rôle, on endosse un nouvel habit, un nouveau costume, on tente, on s'essait on réussit mais aussi on rate, on déraille, mais on ne peut pas s'échapper, la porte est verrouillée, les fenêtres cadenassées. Nous sommes emprisonnés dans cet espace confiné, qui ne tarde pas à nous oppresser, à nous dévorer. Huis clos.

A bout de souffle.
Parfois c'est le drame, nul ne sait vraiment se qui se joue derrière ces quatre murs, ces fenêtres sur cour fermées de l'intérieur d'où s'échappent parfois des cris, des coups, des pleurs et puis plus rien ! Effrayante et effroyable tragédie.
Tout se joue dans le silence, sans rien, ni personne, tout s'écroule, tout s'essouffle, et tout s'écroule. On en meurt !
A huis clos, à clos fermé.
Abandonnés,
Dans le silence
Dans l'indifférence.
A en mourir.

Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne
Crédit photo @brigittedusch

samedi 25 avril 2020

Quarantaine : J40





Quarante jours, quarante jours de privation de liberté, d'enfermement, d'assignation à résidence, d'interdiction de quitter le territoire délimité arbitrairement par les autorités compétentes dans le cadre d'un dispositif sanitaire imposé par le contexte.


Sommes-nous fait pour être emprisonnés de la sorte et tenus en laisse ? Que signifie ce temps, volé, kidnappé pour assurer notre sécurité ? Est-ce là le fondement de la décision ? Nul ne sait.

Quarantaine : La quarantaine consiste à isoler des personnes, des animaux, ou des végétaux durant un certain temps, en cas de suspicion de maladies contagieuses, pour empêcher leur propagation. En empêchant les personnes d'avoir des contacts avec des individus sains se trouvant à l'extérieur de la zone de confinement, on rend la contagion impossible et les maladies infectieuses disparaissent d'elles-mêmes. "Wiképédia.


Nous voici donc à quarante jours du 17 mars. Celui qui débute une nouvelle ère, elle d'après. Nous n'avons guère été vraiment isolés au sens propre du terme, écartés seulement de nos activités, privés de nos libres allées et venues, nous devons rendre compte de où, quand, comment.
Avons-nous évité la propagation de la maladie ? De quelle maladie ? Car qu'en sait-on vraiment ? Nous n'avons pas de recul, hormis ce que les tissus des morts racontent, de ce que les vivants disent, de ce que les examens pratiqués révèlent. Mais au fond ? Guérison ? Rémission ? Séquelles ? Nous n'en savons pas davantage non plus du VIH, du cancer ni des autres fléaux qui continuent de prendre des vies malgré les soit disant avancées de la médecine et de l'enrichissement (surtout) des lobbies pharmaceutiques. Tous les jours, les médias nous font le sinistre décompte : nombre de morts, de presque morts, d'infectés, de probablement infectés etc.
A t-on réellement empêché les infectés (ou les suspects, présumés coupables) d'être en contact avec les sujets soit disant sains ? Comment le savoir
Tout d'abord, même encadrée, fortement réprimée, la circulation est inévitée et inévitable, les gens ne sont pas au secret, ça bouge, ça vit, il y a du monde dans les rues, dans les supermarchés, sur les chemins de campagne, dans les bus, métro. Bref un peu partout. La longe est longue, et à la discrétion de ces autorités qui nous veulent du bien, et qui en veulent surtout à l'économie, la bourse, les actionnaires. Et puis : Qui est malade ? A part les hospitalisés, les mourants, les quasi mourants ? Que sait-on des autres, puisqu'aucune dépistage n'est pratiqué ? Et c'est bien là que ça coince ? C'est bien le noeud, le terrible point de capiton qui fait que nous errons tous dans une nébuleuse archaïque et tragique ! Alors à quoi bon se disent certains, invincibles ? Ca n'arrive qu'aux autres, je vais bien, alors ?
Il y a cette certitude, cette croyance fausse, cette ignorance du danger, ce déni, cette insouciance, cette irresponsabilité, cette inconscience ! Pourtant rien ni fait, même pas l'instinct de survie ?
Quarante jours, c'est long, mais trop court, nous ne sommes pas arrivés au bout, celui ci n'est pas devant nous encore ! Nous avons avancé seulement de quelque pas sur ce chemin sinueux, semé d'embuches et de ronces. Quarante jours encore ne seront pas suffisants.... Ni encore quarante autres ? Mais pourrons-nous vivre confinés éternellement. Apprendre à vivre avec ? Négocier donc ? Mais qu'est-ce que cet ennemi invisible, imprévisible, omniprésent, peut-nous offrir en échange de ce sacrifice ?

Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne
Crédit photo @brigittedusch

mardi 21 avril 2020

Unité de lieu J33




La vie est un théâtre où nous jouons un rôle parfois bon, souvent mauvais. L'action se déroule et se déplace au gré de notre fantaisie quand on a la chance d'être l'auteur, le narrateur et l'acteur du scénario. Au gré de… ici et là bas, ici et ailleurs.

Aujourd'hui, il nous faut changer tout ça, le plan, la méthode et les règles, ne conservant qu'une seule de ces trois unités qui rendait la pièce parfaite.

Ainsi nous ne garderons que l'unité de lieu. Avec quelques petites digressions vers le nécessaire, ces besoins primaires qui n'ont que faire dans les romans précieux où les romans fleuves des Anciens.

Unité de lieu, tout se joue, là, ici. L'action, le cœur du drama

Et il n'est pas question d'en déroger, sous peine de sanction. Une assignation à la résidence de la scène choisie pour vivre un temps long, qui se décompose en jours, nuits, semaines, mois peut-être ? Autant d'actes que durera cet enfermement, ce placement involontaire exigé par le décret du 23 mars 2020.

Un temps long qui s'éternise dans le même lieu, confiné dans le théâtre que nous nous sommes plus où moins choisi. Le seul où nous avons le droit d'être, d'avoir, et de faire, de jouer la comédie, de vivre la tragédie, mais aussi celui de mourir sur scène.
Tu joueras, là, tout ce que tu dois vivre, tu te joueras là sous peine de. Tu vivras ce jour comme s'il était le dernier, s'il ne l'est pas, il t'incombera de vivre l'autre mais aussi les autres, ceux à venir, ceux qui ne viendront peut-être pas. Demain sera ici et non ailleurs. Du moins pour le moment. Tu n'es plus libre de toi, de ton être, de ton aller, de tes venues.
Nous sommes enfermés.

Nous pouvons malgré tout, pour les plus chanceux changer un peu les affres du décor, vaquer à quelques mètres, être dedans et malgré tout un peu dehors.
Mais si peu !

Un unité de lieu, mais aussi quelque peu de temps. Un temps figé, un temps long, un temps qui passe  mais se ressemble, demain comme hier. Une journée qui s'organise sans trop de surprise autour des mêmes objets, des mêmes personnes, ou dans la solitude, dans le reflet de la pâle face que nous renvoie de nous même le miroir. Ce "je" que je ne saurai voir
Seul le ciel, le soleil, la lune, la pluie, les nuages ou l'orage apportent un peu de changement, un petit bouleversement parfois imprévu qui nous rappelle qu'il existe un ailleurs, un autre monde derrière le mur où nous sommes relégués.

Curieux monde que le nôtre !

Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne
Crédit photo @brigittedusch

lundi 13 avril 2020

Il n'y a plus de rencontre




Il n'y a plus rencontre 
il n'y a plus d'autre, 
il n'y a plus rien.

il n'y a plus que l'image, l'image de soi que nous renvoie le miroir chaque matin, chaque soir et chaque jour, et encore un jour, et un jour encore...
A l'infini ?

Il n'a plus que ça, et c'est devenu insupportable.

Il n'y a plus que la béance, impensable mais qui nous hante, nous colle à la peau, à la tête, au cœur qui s'assèche, qui se tend, qui se ferme pour ne pas sombrer, pour ne pas pleurer, pour ne pas hurler le manque. 

Tout est illusion, tout est devenu irréel, le lien tissé avec l'autre ne se fait que du bout d'un clavier, il n'y a plus de baiser, de tendresse, ni d'amour, il faut être sur ses gardes et garder ses distances. L'autre est porteur du mal, l'autre est devenu le mal, celui qu'il faut craindre, l'autre est peut-être la mort, celui qui porte la mort, qui donne la mort, en cadeau inattendu. L'autre est un ennemi qui ne le sait pas peut-être ? Encore ? Je suis un ennemi moi aussi ? Peut-être ? Sûrement ? C'est intenable !

Je, tu, il, nous, vous, ils sont peut-être la mort
La possible mort s'est invitée en chacun de nous, s'est emparée de nous à notre insu, c'est infiltrée maudite et perfide, pour distiller son poison et nous tuer à petit feu dans les pires douleurs.

Attention, reculez, d'un pas, de deux, de trois, non plutôt fuyez !

Il n'y a plus de rencontre, Il n'y a plus de rendez-vous, de surprises et de fleurs offertes, il n'y a plus moi, il n'y a plus lui,
Qui suis-je et qui est-il ?

Il n'y a plus de rencontre, de rendez-vous, de ces moments fébriles, de découvertes, de complicité, d'amour, de tendresse, de baisers et de caresses. Il n'y a plus de corps, plus de rien qui fait la vie, qui fait que la vie parfois peut-être belle, merveilleuse, un ciel bleu, qui parfois laisse éclater l'orage !
Il n'y a plus ça.
Il n'y a plus la possibilité de rire, d'aimer, de vivre.
Il n'y a plus que les mots lus sur un écran, entendus au téléphone
Visages et voix, échos lointains des êtres aimés, sons déformés au prisme de la distance et des émotions. Il n'y a plus de rencontres que celles ci, misérables et tenues, maintenues, tendues, distendues et qui ne tiennent qu'à un fil, mince et tenu, pouvant se rompre, se briser d'un seul coup, de manière inattendue.
Il y a cette terreur possible de mourir loin des siens, de sa terre, sans avoir revu, dit au revoir, une mort volée confisquée, encore !
On nous vole notre vie, nos adieux, notre mort, exit.


Quelle existence se joue, se trame et se tricote ?
Il n'y a plus rien
Il y a ce jour, ce moment, ce présent auquel on s'accroche pour penser demain et regretter hier.
Il y a ce moment de détresse et de stress, de pénible douleur, de peur d'être pour ne plus être, peur de se déliter, de se diluer dans l'inconnu infini et anonyme, dans cette fosse commune de l'oubli.

Il y a l'enfermement, le confinement, le rétrécissement de soi, pour ne pas déborder les limites d'un cadre posé par ceux qui ont anéantis notre liberté
La liberté de l'âme, la liberté de quoi ?
Celle du temps ? Mais le temps imposé n'est en rien le temps espéré, alors on traine et on se traine ne sachant que faire de ce lien qui nous désunit de l'autre puis de nous même, nous abandonnant à une solitude terrible et tragique ou peut-être pire !
Il n'y a plus de rencontre, de bonjours, de mains serrées, d'accolades et de baisers, il n'y a plus de gestes d'amour et de tendresse. Il n'y aura plus.
Il n'y a plus que la peur, le silence et la mort, la détresse et le désespoir le silence et le vide de ses rues et jardins vidées de la vie. Un monde moribond terrassés par la vie avant que la mort ne vienne le prendre.

Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne
Crédit photo, @brigittedusch

mercredi 8 avril 2020

Les émotions confinées 1


Confinées : elles aussi ? 
Emotions, ressentis, sentiments, perceptions, tout ce qui agit et nous agit.

Alors : sont-elles confinées, renfermées, refoulées ou au contraire exacerbées ?
Sont-elles modifiées, anesthésiées, toujours les mêmes, ou différentes ?
Sommes-nous capables de contenir nos pulsions, nos envies, nos désirs, nos ressentis, nos pensées ou non ? 

Tout ce qui s'agite dans notre cerveau est-il lui aussi assigné à résidence, celle du fond du trou ? Pour ne pas se montrer à voir, exploser ? Tout ce tout peut-il être contenu ? réfréné  ? ou bien est-il libéré, sans contrainte, se laisse t-il aller à s'épancher ou au contraire à exploser enfin comme une bombe qu'on a empêché d'éclater ?
Ce Tout a t-il lâché prise lui aussi ?
Le moment est-il venu pour lui d'être libéré ? Le vernis a t-il craqué ?  égratigné déjà, et le peu qui reste peut-il encore survivre tant bien que mal pendant ce temps qui n'est plus celui de l'autre, de l'altérité mais aussi et surtout celui de l'égoïsme et de la survie ?
Chacun pour soi, et s'il en reste un peu Dieu peut-être pour tous ?

L'homme est un animal domestiqué par lui même et policé par ceux qui détiennent le pouvoir, édictent les règles et les lois, ces chefs de meute que certains, un plus vindicatifs remettent parfois en cause, car la horde se révolte, quand le chef ou les chefs sont trop autoritaires, trop injustes aussi.
Le contexte est tout autre, l'autorité, la dictature de la meute dominante est imposée ou s'impose d'elle même pour soit disant sauver la horde ou ce qu'il en reste. Car il est restera bien quelques uns : les plus chanceux, les moins vulnérables, les plus hardis, les plus débrouillards. Les autres mourront et ne coûteront plus rien dans ce nouveau monde de ruines et de désolations qui émergera de tout ça.
Qui seront les survivants de ce déluge, de cette tragédie sans nom, de ce cataclysme ? Qui seront ces malheureux chanceux ?

Les Anciens qui naïvement ou pas y auraient vu la colère des dieux, et n'ayant de cesse de l'apaiser, auraient offert des offrandes et des sacrifices.
Nos chefs de meute, ne lésinent pas et offrent le sacrifice entier de leur peuple. Ce n'est pas rien mais ça leur coûte si peu. Il semble cependant que ce soit vain leur divinité reste sourde, elle ne veut pas de sang, de cadavres, de moribonds, elle ne se gorge que d'or et d'argent, de dividendes, de rendements et de production, peu importe que le manant crève, ou mieux si cela peut lui rapporter. Misérable misère que ce monde indigne. L'actionnaire a faim, l'actionnaire a soif, et il faut l'abreuver, l'inonder de profits jusqu'à ras gueule. Immoler le gueux !

Personne n'est dupe, et pour survivre il faut bien vivre, même (et surtout) au dépens de ceux qui écoutent, qui croient et font crédit. Surtout ceux là. Chacun pour soi et tout pour soi, après moi le déluge. Les Autres ne sont-ils pas l'enfer ? Et l'homme l'a prouvé de tout temps, sans surprise il peut être à la fois et en même temps capable du pire et du meilleur.

Je propose d'analyser, de disséquer les émotions, ces soit disant "péchés capitaux" tels que le mensonge, la trahison, la vanité, la gourmandise et autres attitudes qui selon certains nous conduiraient en enfer, (qu'ils se rassurent l'enfer nous y sommes) à travers le confinement, l'épidémie, et le contexte de survie qui à présent est le nôtre pour un temps indéfini, indéterminé, un temps long, très long sûrement.

Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne
Crédit photo @brigittedusch

samedi 4 avril 2020

Le Présent, c'est maintenant




Présent de l'indicatif, présent de narration, pour dire, présent simple pour raconter.
Le présent n'a jamais autant pris de sens que maintenant, ce présent où nous sommes, figés, assignés sans vraiment savoir si demain sera et s'il est, comment il sera.

Etre au présent, vivre ce présent n'a jamais été aussi essentiel. 
Vivre comme si ce jour était le seul et l'unique. Le seul de notre vie, de notre humble existence.

C'est un instant, un présent celui d'une journée sans fin qui inlassablement se répète sans savoir quand il aura un jour différent.
Un présent incrusté dans un temps long, très long, sans fin peut-être, un présent permanent, une permanence de ce présent. Un  temps sans parenthèse où la seule chose certaine est son incertitude

Il faut donc faire crédit. Mais crédit de quoi et à qui ?
Il faut donc vivre dans l'attente ? Mais quelle attente et pour quoi ?
Il faut donc vivre dans l'espoir ? L'espoir que ça cesse? Mais comment ?

Nul d'entre nous n'avons de réponse, aucune, pas plus que de certitude sur demain. Eventuel, hypothétique, possible ou impossible demain.
Ainsi notre seul trésor est ce jour, ce moment de vie, là où nous sommes, maintenant où nous respirons, pas trop mal encore pour quelques uns, sans même savoir pour combien de temps ?
Que faire alors de ce maintenant, ici ? Vivre, puisque c'est la seule possibilité qui se présente à nous ? Refuse t-on un tel cadeau ? Vivre ce temps long, sans perspective, sans véritable possibilité de se projeter, ou de s'illusionner, en pensant à ce que nous ferons, nous vivrons après ? Mais après quoi ? Y aura t-il un après, un après demain ? Et encore une fois comment sera t-il ? Et serons-nous encore là pour le voir, le déguster, le regretter ?
Le propre de l'Homme est de ne pas savoir vivre l'instant, le moment présent, celui là même qui est devant lui puis s'envole, fugace et bref qui donne et qui reprend dans le même geste.
Nous voilà figés dans ce moment, cet instant de temps long, interminable, pour une perpétuité, sans issue, sans remise de peine, avec une possible liberté, celle de faire le tour une heure durant, une heure seulement autour de notre geôle
Et là encore les inégalités se montrent à voir, explosent implacables et monstrueuses, prisons dorées pour certains, cul de basses fosses pour les autres ? Ainsi est la société. Certains rêvent à la liberté, à la fin de cette peine, d'autres pensent que la seule issue sera la mort, leur mort, seuls peut-être chez eux, puisque personne ne peut venir ? Ah cette solitude, cet abandon ! L'Humanité avance à grand pas et se saisit du futur, et peut-être même de ce présent, qu'il nous faut vivre à grand renfort de regrets.
Il convient pour quelques uns  de remplir ce vide, de combler ce creux offert et imposé par des circonstances tragiques. Ce face à face terrible avec soi même, ce rendez-vous avec rien; cette abime qu'il faut absolument masquer, remplir et se mentir. Travestir la vérité, celle de sa solitude avec des activités, télé, internet, cuisine, lecture. Un mot d'ordre est lancé : ne pas s'ennuyer ! Car l'état surveille, il faut que ses prisonniers fassent du sport et s'activent, jusque dans nos cellules, ils violent notre intimité. Intrusion toujours, même, surtout dans le malheur. La proie blessée et à terre est toujours plus vulnérable, prête au coup de grâce. Car ces gens là ne font pas de quartiers.
 Alors ? Vivre maintenant un présent simple, ne pas se retourner sur hier, qui était un autre jour, qui appartient désormais à un passé révolu, que les survivants qualifieront peut-être d'Age d'Or, eux qui ont tant incriminé ce passé, qu'ils n'ont pas su apprécier au présent. Alors tâchons de faire un effort et aimons ce présent, car demain pourra être meilleur, mais pourra aussi être pire.

Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne
Crédit photo @brigittedusch

mercredi 25 mars 2020

Il y eut l'insouciance



Insouciance, liberté, deux mots qui en cette fin du mois de mars prennent une autre dimension, une autre mesure.
Des mots qui semblaient la plupart du temps, banal, sans grande originalité, faisant pour la plupart d'entre nous partie de notre quotidien, de notre réel.

Mais on ne prend conscience de la valeur de ce qu'on a lorsqu'on ne l'a plus.


Ainsi, insouciance et liberté semblent à présent appartenir à un lointain passé, pourtant pas si loin.
Cette légèreté n'est plus de mise, elle est remisée derrière dans un passé proche, dans un hier dont on se demande si un jour… Un jour, des semaines, des mois..

On se demande, on se questionne, ON. Se "on" c'est nous, nous tous, baignant dans un climat d'incertitude, une vague qui nous prend et nous jette chaque jour, chaque heure devant l'Horreur, la tragédie qui tant de fois a été mise en scène dans les fictions les plus imaginatives et terrifiantes. La fin du monde, le dernier jour, les survivants…

Tout à coup, brutalement ces scenarii deviennent une réalité, et nous explosent en pleine figure. C'est brutal, d'une violence inouïe, c'est un traumatisme terrible, et comment faire face ? Notre instinct de survie, est parfois surprenant mais nous pousse aussi au pire plutôt qu'au meilleur. L'Homme se révèle dans l'adversité, la guerre, et le chaos, nous sommes tous lâches, peureux et morts de trouilles, égoïstes, mais aussi capables de générosité et d'altruisme, si l'on arrive à dépasser sa peur !

La peur toujours elle, toujours présente, ancrée au plus profond de nous et qui ne demande qu'à surgir telle la lave du volcan jamais tout à fait éteint

Alors il va falloir trouver, bricoler, ajuster, pour vivre dans la peur, la peur terrible qui confronte chacun de nous à la pire des angoisses, l'Originelle, celle de la Mort, la nôtre et celle de l'autre. Il va falloir vivre dans la crainte, le déni parfois pour se protéger, faire des actes fous car finalement "à quoi ça sert de rester enfermer puisqu'on ne sait rien ?" Fous, folie...
Il va falloir et c'est le plus compliqué accepter, trouver la possibilité de vivre sans pouvoir donner du sens à ce qui nous arrive, car c'est impossible.
Il va falloir même si on le sait déjà vivre dans le mensonge, le mensonge d'état, pour le bien du Gueux que nous sommes, être spectateur passif devant les clivages et les passe-droit que ces élites s'octroient;

Mais peut-on demander à la populace que nous sommes, à a la piétaille d'être les nouvelles chairs à canon de ces nouveaux Nivelle ? Ont-ils ce droit ?

La rage et la colère ne sont pas bonnes, mais je vais cette fois encore penser à l'ami de mon grand père, à mon père, aux Miens, aux demoiselles H, qui ont bercé mon enfance, ces deux sœurs que Papy étaient allé rechercher il y a bien des années au Lutécia, après la Tragédie.

La rage et la colère sont des jumelles qui permettent de tenir parfois dans les situations extrêmes, car il nous faudra témoigner, car il faudra leur demander des comptes, car il devront rendre des comptes. Tenons bon aussi pour ça.

Prenez soin de vous, chers lecteurs de tous pays qui me lisez, écrivez, témoignez ! Les commentaires sont ouverts et vous pouvez rejoindre le groupe Facebook crée pour se retrouver et parler : https://www.facebook.com/groups/529390241290856/"restez chez vous et parlons ensemble"

Brigitte Dusch, historienne et psychanalyste
Crédit photo @brigittedusch

mercredi 4 mars 2020

Archéologie


Les souvenirs reviennent, sans vraiment savoir pourquoi. Des souvenirs lointains, ceux d'une vie cassée, ceux d'une vie volée, d'un futur confisqué, arraché.
Les souvenirs reviennent, sans trop savoir comment.
Black out. Total. Vide. Parenthèse. Gouffre vertigineux qui n'a laissé aucune trace. Rien. Tabula rasa.
Champ de ruines abandonné, une friche, un urbex. Il ne reste rien ou presque, quelques lambeaux qu'on ne peut assembler, il en manque trop ! on ne peut rien assembler, rien tisser, et ce qui reste est si fragile qu'il peut se casser à nouveau et détruire encore la mince trame qui nous relie à cet avant.
Que faire ?
Laisser tout en état, en état de guerre, une sorte de no man's land où personne n'ose s'aventurer, ni le sujet blessé ni l'autre qui voudrait le réparer.
Et pourtant, il y a eu un ciel, un ciel bleu de la lumière et un soleil, et puis brutalement : plus rien. Tout s'est arrêté, brisé net, cassé. Rupture.
Un trou noir, plus rien, absence. Vide, gouffre, ailleurs, plus rien. Zéro, néant !
Le temps passé ne se mesure pas, il n'existe pas, il n'y a plus le temps du temps ; hier ou tout à l'heure, ça n'a pas d'importance. La mémoire s'en est allée, partie, raptée, disparue.
Elle s'est peut-être enfuie, s'est enfouie au plus profond de cet océan qu'est notre inconscient. Toujours là ? Peut-être ? Il va falloir chercher : Peut-être ou à quoi bon ?
On se demande parfois s'il faut continuer de creuser, s'acharner à trouver, retrouver les brisures et les tessons d'une mémoire fichue, coincés au creux d'une faille ? Mais pourtant s'ils sont loin, plane toujours leur ombre funeste sur notre jour d'hui, notre vie de tous les jours, empêchée, vécue à demi. Nos pas maladroits s'aventurent sur un chemin semé d'embuches, de manques et de trous, qui nous font trébucher.
Marche droit ? Mais ce n'est pas possible, il nous faut alors emprunter des chemins de traverse non pour satisfaire notre curiosité, mais pour nous protéger, contourner le danger. Celui ci est partout, il est où je suis et où je ne suis pas !
Champ de ruines, laissé là, reconstruit un peu ailleurs avec quelques pierres d'avant, de l'histoire d'hier, pour tenter de rafistoler celle d'aujourd'hui, tout en sachant qu'elle s'écroulera demain.
Il y a l'origine, la nôtre que nous avons déplacée, car les ressources ne sont plus suffisantes pour nous y maintenir, ou elle est trop délabrée. Nous avons quand même pu emporter quelques bagages, témoin d'une âge d'or, bribes pas trop encombrantes pour tenter de rebâtir quelques mètres plus loin où l'herbe semble plus verte. Mais les ruines sont là, sont là bas, et ce là bas nous obsède. Il y reste un morceau de soi, abandonné. Mais quoi ?
Les souvenirs partis, ensevelis sous la lave du chagrin et de la souffrance, d'une douleur qui hurle tellement fort que rien n'y fait. Archéologie ? Pour quoi et pour qui ? Resterons-nous alors figés pour l'éternité dans un champ de douleur ?

Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne
Crédit photo @brigittedusch
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Ainsi toute ressemblance, similitude serait donc purement fortuite.

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