Psychanalye Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

vendredi 8 juin 2012

Sur vivants encore

J'ai souvent écris à propos des survivants, de ceux qui sont là encore, rescapés de l'horreur, de la terreur, des massacres et de la haine, j'ai souvent écris au sujet de leurs enfants, petits enfants, enfants de la nuit, qui tentent de combler le vide, le manque...Qui tentent aussi de s'inscrire quelque part, de chercher la place qu'ils peuvent prendre dans cette généalogie là, celle où il manque, à tout jamais, où la trace est effacée, niée encore et encore..
Généalogie de l'impossible impensé, impansé et impensable !

Enfants de la nuit, qui n'ont pas un endroit où se recueillir, où panser leur peine est impossible!
Bien sûr ce n'est jamais par hasard si une histoire nous touche, écrire à son sujet aide souvent à prendre la mesure, le rythme de sa souffrance, et déposer le fardeau si lourd qui pèse sur tant et tant d'épaules fragiles.
Enfants de la nuit hantés par les fantômes et leurs murmures qu'ils tâchent de déchiffre, maladroitement souvent, mais comment faire autrement, quand il manque, quand celui d'avant n'a pas transmis, n'a rien donné, car il n'en n'a pas eu le temps. Comment décrypter alors ce qui reste à jamais enfoui au fond de la crypte ?

Il faut alors entendre...

"Mon père et moi nous ne nous sommes jamais vraiment rencontrés, je crois, nous ne parlions pas la même langue, oui, c'est bien cela, une histoire de langue, nous ne pouvions nous comprendre ! Je ne pouvais pas comprendre ce qu'il ne disait pas...
Nous nous sommes côtoyés, à peine peut-être, un homme qui me faisait peur, qui entrait dans des colères terribles, indescriptibles et qui disaient des mots que je ne comprenais pas !"


Bribes et fragments...Ultimes traces...

"Cette femme était tellement défaite, une ombre qui parlait seule, qui parlait aux fantômes, nous nous moquions d'elle souvent, nous ne comprenions pas ce qu'elle racontait, une drôle de langue... Une vieille femme digne pourtant qui ne sortait jamais sans son chapeau ni ses gants...."

Et puis

"Mes copines allaient au catéchisme, pas moi, quand je demandais pourquoi, on me disait parce que, je n'ai jamais eu de réponse"
"Je n'ai jamais rien compris à cet homme, il était en colère tout le temps et ne parlait jamais, il me faisait peur, il y avait de la mort dans son regard, oui, c'est ça, quelque chose de mort..."
"Je ne sais pas comment je suis là, à vous parler, à être là devant vous, je ne sais plus, j'ai survécu et puis voilà, je suis là, je me suis caché sous des cadavres, je sais, c'était froid, je me souviens, des barbelés, et puis, je suis là. je ne peux même pas pleurer, je suis tout seul..."

La mort, le froid, qui glace

"Ma mère a toujours rasé les murs, elle avait peur qu'on la voit, qu'on nous voit, il fallait que personne ne nous remarque, elle parlait doucement, faiblement, presque des chuchotements..."
"Il y avait des vieilles photos mais personne n'en parlait, je demandais qui étaient ces gens, leur nom, où ils étaient... Personne ne répondait ! "
"L'instituteur m'avait puni à l'époque parce que je n'avais pas fait l'arbre généalogique de ma famille, je lui avait pourtant expliqué que j'avais demandé à mon grand père et que celui ci avait dit "il n'y a plus personne"..."

Enfants de la nuit, échappés des ténèbres.... rescapés de l'enfer des autres, orphelins de leur histoire et des leurs...
Quelques traces peut-être murmurées du fond de leur âme, ultime reliquat de ce qui a été nié et détruit pour que rien de leurs Pères ne subsiste, et pourtant ils sont là, ils sont vivants, vivants parmi les morts, avec quelque chose de mort peut-être au fond de leur abime et de leur douleur.
Il en subsiste des mots, qui mis les uns au bout des autres en font une histoire, la Nôtre, l'Histoire qu'encore aujourd'hui certains essaient de leur voler, de leur confisquer, de leur ravir, pour les tuer encore ! Les effacer une fois de plus ! Une histoire que nous devons inscrire pour toujours dans celle de l'Humanité, pour démontrer à ces mêmes à quelle point elle peut être inhumaine.

Derniers témoins... Ich bin, du bist, er ist der Letzte Zeug ! ...  Celui d'une histoire qui n'en finit pas de vivre ni de mourir à la croisée des chemins d'Eros et Thanatos...

Pour eux, pour mon père. Aussi. Un peu. Il ne m'a jamais rien dit, ne disait pas qu'on lui avait arraché, volé une partie de son adolescence ! Qu'une part de sa vie gisait quelque part dans un coin de l'Enfer ! Il en est revenu... Pas tout à fait, presque seulement !


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Nota bene

Ce blog relate des bribes, des vies en respectant l'anonymat, ce l'éthique et la déontologie de ma fonction
Les événements, initiales, lieux, histoires... sont modifiés.

Il s'agit d'illustrer des situations, un concept, une problématique, un questionnement donnant lieu à une réflexion.
Ainsi toute ressemblance, similitude serait donc purement fortuite.

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