Psychanalye Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

lundi 4 mars 2013

Muttersprache

Encore une histoire de langue ? Ou de langues ?
Nous sommes des êtres de langage, mais de langue aussi, car nous prenons langue dans le langage pour advenir aux autres, construire ce lien social qui fait de nous des autres parmi les autres !
Vaterland, vaters land, mutterland, mutters land ?
La langue des mères ou des pères, la langue de la terre, du pays, des siens, des ancêtres, des origines, parfois tout s'emmêle et se mélange, sans trop savoir pourquoi ?
Parfois les mots restent bloqués, inutiles, impossibles, ne viennent pas, n'adviennent plus. Sont retenus.
Langue qui es-tu ? Où vas-tu ? D'où viens-tu ?
Cela parait simple, langue maternelle dit-on ? Mais n'est-elle pas parfois celle du père, tout comme la terre...
Alors quid de cette langue maternelle qui n'est parfois pas celle du père ? Que dire et que faire de cette langue qui parfois nous lâche car elle devient intenable, impossible, improbable et indécente ?
Il m'est difficile de répondre tiraillée que je suis entre cette langue de mon enfance, les bribes de toutes ces langues de l'Est mélangées, et qui se mélangent, ces intonations, ces mots qui encore aujourd'hui me renvoient à un imaginaire mêlé lui aussi de réels et de souvenirs.
Il m'est bien difficile de dire moi qui pense, rêve, jure aussi parfois dans cette langue de mon enfance qui me vient spontanément, car les mots sont plus précis peut-être, plus adaptés à cette idée, cette pensée. Et cette crainte aussi parfois que cette langue ne s'évanouisse car je ne la parle pas, ou tellement peu, trop peu ! L'entendre alors ma Muttersprache me fait du bien... Je l'entends, l'écoute, elle coule et tout revient d'un seul coup !
Langues et cultures... Peut-être cette chance de baigner ainsi dans ce vaste océan de langues qui fait que.. les sons et les couleurs me sont familiers. Je me sens profondément, intiment de là...
Issue de la matrice. Cette même là que je nomme Muttersprache.
Une langue qui met aussi en dissonance, qui renvoie pour certains à la représentation du mal, car trop chargée d'horreur et d'histoire. Une histoire d'hommes et de femmes...
Une histoire de femmes encore.
Langue qui comme le reste  m'a été donnée en héritage par les femmes, langues de l'Est, où se mêle ce mélange de dialectes propre à une communauté !
Langue lourde et chargée qu'il faut prendre ou laisser. Douce et rude.. !
Muttersprache !
Langue qui fait rire mon fils qui n'a pas vraiment pris la peine de l'apprendre puisque je traduis, parle, explique... Et qui sourit quand de l'autre côté du Mur qui n'est plus, personne ne me demande si je suis d'ailleurs.. Tendresse quand dans ce port de la Baltique demandant mon chemin un vieil homme me dit en souriant "Ossie ?" Oui, de là je suis aussi, j'en connais l'âme et l'accent !
Muttersprache !
Langue que j'ai transmise à mes filles ! Aussi...
Qui l'aiment je crois du moins assez puisque  l'une d'entre elles a choisi de l'enseigner, de la transmettre, de la donner et de l'offrir...!
Pourtant cet été elle m'a semblé de trop, pas à sa place à cet endroit. J'ai refusé de parler ! Tout comme cette tante qui avait décidé un jour de se taire ! Ce jour de trop, ce jour où cette Muttersprache n'était plus chantée, n'était plus la Sprache de Goethe, de ce jour où elle était aboyée, hurlée, vomie...Elle avait alors décidée de s'en défaire, de vivre ce désamour là...
De ne plus parler la langue de ceux qui étaient devenus ses bourreaux... Pourtant cette Muttersprache c'est elle qui me l'a apprise, à travers son histoire, l'histoire,  les contes de fées et d'ogres, car elle était elle, faisait partie d'elle, lui collait à la peau...
Pourtant moi aussi j'ai décidé de me taire ce jour là, bien des années plus tard...
A Buchenwald elle était de trop... Là elle ne pouvait pas être, plus être, car là il n'y a plus de place pour l'être !
Muttersprache
Langue de qui ? Je me suis demandée ? Alors j'ai pleuré, longuement pleuré, tout comme le sujet autistique qui n'en peut plus, submergé par ces bruits qui arrivent de toutes parts j'ai  bouché mes oreilles pour ne plus entendre, plus écouter, plus être agressée
Muttersprache dans toute sa violence, son indécence tu étais de trop, tu n'étais pas à ta place en ce lieu, en ces lieux où tu es la langue de la mort.
Comment entendre tout ça dans cette langue là, langue des bourreaux, langue qui raconte ce qu'ils ont fait..? Ecartelée entre amour et haine, Eros et Thanatos ? Entre sa chair et son âme ?
Dissonance ! La question se pose pour nous mais comment s'est-elle posée pour nos parents ?
Nos grands parents ? Impossible dilemme, perte insoutenable, vide, gouffre et terrible abîme pour eux qui n'avaient que cette Muttersprache ? Vatersprache ? Qui était leur, qui leur collait à la peau ?


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Ce blog relate des bribes, des vies en respectant l'anonymat, ce l'éthique et la déontologie de ma fonction
Les événements, initiales, lieux, histoires... sont modifiés.

Il s'agit d'illustrer des situations, un concept, une problématique, un questionnement donnant lieu à une réflexion.
Ainsi toute ressemblance, similitude serait donc purement fortuite.

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