Psychanalye Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

samedi 28 février 2015

L'Etre malade

Ce jour là quand je pousse la porte, Arnold* est en larmes
Au fond de son lit, il me regarde et me fait signe d'approcher.
Il pleure, il pleure depuis longtemps...
Il me regarde et me dit : "Que vais-je dire à mes parents ? Comment vais-je dire ça à mon père... ?
Et à ma mère.. "
Silence
Il pleure encore
Arnold est désespéré, il n'arrive pas à parler, il ne peut que pleurer... Doucement, terriblement.
Puis il me regarde : "Vous avez un peu de temps"
Ce temps. Le temps. Ils me demandent tous," si j'ai ce temps". Le temps que sans doute ils pensent ne pas avoir, ce temps qu'ils vont me demander et comme ils me disent parfois "je ne veux pas vous le faire perdre"
On ne perd jamais son temps
J'ai tout mon temps.. Nous avons ce temps
Je rassure Arnold, "oui, j'ai tout le temps, le temps qu'il vous faut.. Pour dire, me dire, nous dire, prenez ce temps, ne vous inquiétez pas"
Alors Arnold sèche un peu ses larmes, mais ne s'apaise pas. Il me regarde encore et me dit
"Le docteur vous a dit ?"
"Non, je ne l'ai pas, vu, personne ne m'a dit"
"J'ai eu les résultats des examens, ce n'est pas bon, qu'est ce que je vais dire à mes parents ? Qu'est ce qu'ils vont penser de moi, je ne suis pas un bon fils, je vais les décevoir... "'
ll pleure
"Ce sera la première fois je crois, la première fois que je vais les décevoir. Toute ma vie, j'ai tout réussi, bien comme il faut, je leur ai fait plaisir, j'ai tout fait comme il voulait, toujours les meilleures notes, les mentions, j'ai exaucé leurs souhaits, ils voulaient tant que je réussisse; et là !"
Arnold pleure encore...
"Et là voilà j'ai merdé sur ce coup là, mes résultats sont nuls,vous comprenez, c'est foutu, je vais mourir, je ne peux pas faire ça à mes parents, je n'ai pas le droit... Que vont-ils devenir ? Que vont-ils penser.. Comment je vais faire pour leur dire ça.. Ils vont m'en vouloir.. "
Arnold me regarde. Encore;
Un enfant, un grand ado, un jeune adulte tout pâle, au fond de son lit. Perdu.
Il a raté ses examens, il va décevoir ses parents, pour la première fois, il ne sait pas comment leur dire ça, les résultats ne sont pas ceux espérés, il a tout "foiré" comme il dit
Alors il pleure et il a peur, comme le gosse qui craint de se faire punir pour une mauvaise note, son contrôle raté, la classe qu'il devra redoubler, parce qu'il  n'a pas bien travaillé, pas assez appris...
Peur, puni, peur, décevoir, raté,
Mais il ne s'agit pas d'examen, de concours, de note, de devoirs, de partiels, de leçons.. Il s'agit de sa vie, de la vie d'Arnold.
Il s'agit de la maladie, de ce mot qu'il ne peut dire, qu'il ne peut se dire et qu'il n'arrivera pas à dire à ses parents.
Leur dire "Je suis malade".....................
De crainte d'être un mauvais fils, de les décevoir, de les trahir...
Comme un enfant qui a fait une bêtise, coupable d'être malade. Sujet coupable d'être un objet défectueux, qui ne marche plus comme on voudrait qu'il marche.
Il trahit la confiance, il n'est plus à la hauteur, à la hauteur de l'attente, de l'espoir.
Arnold a mal, mal à lui et mal à l'autre.........
Mal de faire du mal à l'autre, mal de savoir que l'autre va avoir mal
Le mal toujours, ce mal culpabilisateur, assassin de soi et de l'autre ce mal qui tricote le mal encore et encore en une fine dentelle qui recouvre le verbe et la peine.
Fantôme qui rode toujours, bien tapi au fond de la crypte
Il est infidèle, ne transmettra pas, n'assurera ni ce legs ni cet héritage, ni cette continuité qui pourtant va de soi
Mais rien ne va de soi.
Arnold ne sait pas comment dire, comment dire:  "Sur ce coup là je vous ai déçu", mais de quel coup s'agit-il ? Que peut-il ? Que peut-il faire ?
A part avoir peur ?
Les "bonnes âmes" diront, "eh bien voilà une belle résilience, vouloir guérir et rester en vie pour faire plaisir à ses parents"........................................
.......................................................................................................................................
Faire plaisir à... mettre les autres dans ce coup là. Quel plaisir il y a ?
Quelle place l'autre a dans cette histoire là ?
Avant d'être à l'autre, ne faut-il pas déjà être à soi ?
Un peu, juste un petit peu, faire pour soi ?
Etre soi ?

Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne

* Le prénom a été modifié.
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Ce blog relate des bribes, des vies en respectant l'anonymat, ce l'éthique et la déontologie de ma fonction
Les événements, initiales, lieux, histoires... sont modifiés.

Il s'agit d'illustrer des situations, un concept, une problématique, un questionnement donnant lieu à une réflexion.
Ainsi toute ressemblance, similitude serait donc purement fortuite.

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