Psychanalye Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

lundi 23 juin 2025

22 juin.


Il est venu me chercher ce 22 juin
Nous avions besoin de panser et penser nos blessures
Je crois
Il était venu déjà sans prévenir pour refaire "notre chemin à l'envers"
Nous avions marché, dans le silence
Avec pour toute parole : nos regards
Et quelques gestes de tendresse
Ceux de l'amour, 
Ceux que jamais l'autre n'oublie
Car il faut s'être aimé pour faire ça et s'aimer encore 
Je crois
Je lui avais demandé de me promettre 
De ne pas me dire, encore
De ne pas me parler de notre passé
De ce temps où nous nous sommes aimés
De ces moments que la guerre encore nous a volés
De sa vie qu'il avait choisi envers et contre tout, et tous
A nous oublier souvent, à penser à nous, de si loin

"Je me bats pour que ceux qui te ressemblent aient le droit de vivre " m'avait-il dit alors, oubliant sûrement que sa mère était marane.

La guerre est toute sa vie, c'est ainsi que nous nous sommes connus.
C'est là, à travers elle que nous nous sommes aimés

Pourtant je le savais, et le sais encore,

Ce n'est jamais bon d'aimer un soldat
Infernale répétition

La guerre, les missions, les opérations, partout, du moment que ce soit en enfer, il a toujours aimé défier le satan, c'est pour ça que je l'aime encore

Il disait qu'il ne repartirait plus. 
Je savais qu'il disait vrai à ce moment là, mais sa vie n'était pas avec moi, avec nous
Il m'écrivait qu'il reviendrait.
Il m'écrivait "attends moi, je t'aime"
Il m'écrivait que j'étais son refuge. Lequel ? je ne sais pas, il n'était heureux qu'en conduisant ses foutus blindés, les seuls avec qui il faisait vraiment corps.

Aujourd'hui je m'en fous, j'étais heureuse qu'il vienne, qu'il soit là, il a su que je ne pourrai pas la vivre seule cette journée cette fois, il est le seul à savoir ça, à tout savoir de moi car on se ressemble.. 

Il n'avait pas promis mais il ne m'a pas dit cette fois "je n'aurai pas du... je regrette...'

Il m'a dit "je veux prendre soin de toi, te protéger de la guerre, te protéger de tout,  je veux être là, maintenant.. Si tu veux, si tu peux, si tu m'aimes, si tu m'aimes encore , si tu m'aimes toujours."

Je n'ai rien dit, j'ai pleuré, pleuré, toutes les larmes d'une vie, de mes vies, toute les larmes que peut contenir une vie je crois.

Il n'a pas toujours été là, j'ai tremblé bien des fois, à chaque fois
J'ai passé et passe encore ma vie à trembler... 

Ce n'est jamais bon d'aimer un soldat
Foutue répétition

Il a été là pourtant quand j'ai soufffert, sans le dire, discret... mais là, je sentais sa présence.. cela me suffisait.

Il était là ce 22 juin, tremblant pour moi, il n'en menait pas large ce jour là, mon bel officier, mon fier tankiste, tout pâle, pleurant devant ce bébé si petit, notre fille.. 
Il a été un bon père, nous avons été de bons parents je crois.

La vie est cruelle, parfois souvent
Mais un enfant lie deux êtres pour toujours quoiqu'il arrive.

Il m'a dit comme la dernière fois "prends tout le temps que tu veux, que tu voudras, qu'il te faut, qu'il te faudra...je ne suis pas pressé, je t'attends........ Depuis tellement longtemps".

Il m'a pris dans ses bras, je crois que je me suis endormie.

Il m'a regardée et pour la première fois m'a dit
'Pardon"
Cela change tout..........
Ce serait tellement plus simple
Si je ne l'aimais plus.

Brigitte Judit Dusch.
crédit photo @brigittedusch



mardi 17 juin 2025

Le vieux soldat




Il ne m'attend pas et n'attend personne...Je crois
Ce matin là l'équipe me demande si je ne peux pas aller "voir" un patient, que personne ne vient "voir"
Il ne reçoit jamais de visite...Et pour eux c'est inquiétant..
"Ce n'est pas normal..."
La norme encore une fois convoquée...
La norme étant de recevoir des visites quand on est hospitalisé et que son état est grave
Alors pourquoi pas la mienne ?
Pour rassurer l'équipe, plus que le patient, qui lui, ne demande rien. Ne veut rien, semble t-il.

Il est là depuis quelque temps déjà m'explique t-on et il n'y a personne à prévenir, pas de téléphone d'adresse... Ce serait bien si...

Alors ce matin là, je frappe à la porte de Monsieur M. lui demande si je peux entrer et me présente.
Il ne dit rien, puis sourit !
"Vous n'avez donc rien à faire que de venir parler à un vieux soldat ?"
Un vieux soldat, voilà donc comment il se définit, parle de lui...
Il me regarde longuement puis s'excuse de ne pouvoir se lever.
Asseyez vous me dit-il.
Silence...
Il est là, allongé dans son lit, fragile, pourtant il émane de son regard un volonté de fer une sorte de courage, celle du combattant qui cherche encore à en découdre !

"Vous avez du temps à tuer ...?" me dit-il

Il se met à rire... "Parce que moi le temps, je l'ai trop tué, alors il se venge, c'est lui qui me tue maintenant, le salopard, pourtant je suis un dur à cuir un coriace j'en ai mis à terre des pas faciles, mais lui ! "
Il soupire, ses yeux semblent perdus dans des souvenirs, endroits lointains et singuliers.

"C'est un combat voyez vous, une lutte à mort, mais cet enfoiré à gagné il le sait... Mais je ne créverai pas à genoux..."
Il soupire encore  !
"Cette saloperie va me tuer, je le sais bien, mais je suis un soldat, et je me bats encore, je me bats, pas pour sauver ma peau, car elle ne vaut plus rien, mais parce que l'ennemi est un bon, un dur, comme moi, le combat en vaut la peine".
Je ne dis rien.
Il me regarde encore, me dévisage, puis me lance :
"Vous savez ce qu'est la guerre...  ." 
Ce n'est pas une question... 
C'est une affirmation.

Puis il me raconte... la guerre, sa guerre, la mort, le sang, l'odeur, la puanteur, les cadavres, la violence mais aussi les enfants, les civils, la vie, les rires. Tout se mélange. Il parle, parle, parle.. Sa voix tremble parfois.
Vie et mort, mort et vie.
Encore, toujours.

Il parle de lui, me parle de lui, de sa vie... De sa famille qu'il a "laissée, abandonnée" dit-il.
"Mes enfants, je n'ai pas de nouvelles, je ne leur donne pas de nouvelles, je ne les connais pas finalement, je ne les ai pas vraiment vu grandir, c'est ma femme qui s'en est occupée, puis elle est partie, ils sont partis..."

Il parle, parle..; de la vie, et de la mort, de la sienne qu'il sait proche, qu'il dit proche, qu'il sent proche
Il ne veut pas finir ici, dit-il.. "C'est pas digne !"
Il aurait voulu mourir à la guerre, dans les embuscades, en réalité il dit avoir voulu aller à la mort tout en restant en vie. une sorte de pari, un coup de poker aussi, la mort au tournant, au bout du chemin et le désir, la volonté de ne pas mourir ! Car on ne meurt qu'une fois.
"La mort fait partie de ma vie, la mienne et celle des autres ! C'est comme ça !"
Mourir, "si vous saviez combien j'en ai vu des morts ! On ne s'y fait jamais. Les Frères tombés là bas, ceux revenus à moitié foutus, car on est foutu de l'intérieur, plus bons à rien, bons à crever.... "


Vie et mort, intiment liées, l'une et l'autre, ce Thanatos qui rend l'Eros désirable, vivant. Jouissance !
Il ne veut pas mourir ici, c'est tout, il ne veut pas mourir sur ce territoire qui n'est même pas "ennemi" neutre, sans saveur, sans rien, aseptisé.
Il me parle, il se parle, il parle, il parle sa vie et il parle sa mort, il parle sans fin, il parle la fin.
Il me dit que sa mort lui est volée et qu'il ne supporte pas cette idée, que c'est triste, indécent.

Il sait que je comprends. Je lis dans ses yeux. Dans son regard
Il saisit ma main et la serre très fort, me demande d'approcher, et me chuchote... Il sait que je ne peux pas.
Il sait aussi qu'il peut rentrer chez lui
Il sait que je peux demander ça.
Il sait tout ça et je sais aussi
Il sait que quelque part on lui doit ça. 
Il sait... 
Je sais..
Nous savons...

Il me dit qu'il aurait du mourir avant. Mais avant quoi ?

M. M a demandé sa sortie "contre avis médical". Il a demandé à me voir
Il ne m'a rien dit, il ma regardé, il m'a souri
Je l'ai regardé, je lui ai souri
Nous nous sommes regardés
Nous nous sommes souris
Il m'a serré dans ses bras, très fort, comme le frère d'arme qu'il était
Il m'a chuchoté...
Il m'a dit merci...

Brigiitte Dusch, psychanalyste, historienne, exploratrice urbaine.


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Ce blog relate des bribes, des vies en respectant l'anonymat, ce l'éthique et la déontologie de ma fonction
Les événements, initiales, lieux, histoires... sont modifiés.

Il s'agit d'illustrer des situations, un concept, une problématique, un questionnement donnant lieu à une réflexion.
Ainsi toute ressemblance, similitude serait donc purement fortuite.

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