Psychanalyse Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

vendredi 8 août 2025

Tatouer la Mémoire vive




Tatouer pour résister ?

- "Dis Mamy pourquoi il y aussi des chiffres bleus sur le bras de l'amie de Ditte"
- "Kindele encore des pourquoi ? tu en pauses des questions"
Puis elle déposait un baiser sur mes petites mains d'enfants
J'ai grandi dans le bruit du silence des murmures.


Jamais je n'ai voulu qu'on inscrive, dessine, grave sur mon corps
Enfant je refusais les "décalcomanies" éphémères sur mes bras
Je n'ai jamais rien inscrit sur ma main pour ne pas oublier
Adulte je frémis toujours à la vue du marquage sur l'oreille d'un animal

Je ne veux pas de traces, de marques sur mon corps pour témoigner
Seules les cicatrices indélébiles des blessures passées
Me rappellent les combats que j'ai choisis de livrer
Jamais je ne serai tatouée.


Tatouer

Tatouer est un acte fort un geste volontaire et symbolique exprimant un engagement personnel ou collectif. C'est faire de son corps le témoin physique de son histoire ou de son groupe et faire passer un message, montrer à voir son appartenance, affirmer sa singularité, sa différence et être reconnu comme tel. 

Tatouer son corps c'est inscrire dans sa chair un souvenir, un nom, un symbole, y graver une marque indélébile pour dire, s'adresser à l'autre et le rendre témoin lui aussi de cette adresse. C'est parfois une transgression des interdits ou des conventions sociales, un acte libérateur, de défi ou de provocation

Ainsi tatouer c'est dire, dire à l'autre en faisant de sa peau un lieu d'expression de liberté individuelle.

Tatouer c'est aussi une symbolique de réparation ou une réparation symbolique afin de réparer un traumatisme ou un blessure, la sienne, mais aussi celle d'un groupe, d'une communauté ou des Siens, comme c'est le cas des petits enfants des Survivants de la Shoah. 

N'oubliez pas !
Des chiffres bleus

Des chiffres bleus, les mêmes que ceux tatoués sur les avant bras de leur grands parents. C'est ainsi que certains  jeunes Israéliens ont volontairement montré à voir que cet acte d'humiliation de désujétisation a été vain.
Ainsi la mémoire devient ici un moteur de résistance, une manière provocante pour ne pas oublier ce qui a eu lieu et qui est à l'origine de l'Etat d'Israel

Beréchit.

Ainsi ils ont délibérément choisi de relier et lier la mémoire familiale, celle de leurs grands parents Survivants venus bâtir avec leurs mains, leur sang et leur force le pays où ils sont nés.
 
Les Nazis n'ont pas gagné.

Oui, c'est un acte de résistance par la filiation adressé au Monde entier, un acte de vie. Ils sont là, ils ont eu des enfants qui ont eu des enfants. 
Et nous sommes là.

Regardez bien ces numéros.

Nous sommes des Sabras, nous avons un Etat, une Terre, Tsahal,
Nous sommes notre Terre, Nous sommes Tsahal
Regardez ces numéros
Nous sommes des Etres Humain, l'Eternel a dit "tu choisiras la vie' nous avons choisi la vie.
 

C'est un message :
"N'oubliez jamais qui nous sommes d'où nous venons et que nous avons un a venir"
Nous sommes la vie
Eros a gagné son combat contre Thanatos
Et c'est dans cette impermanence que se situe notre permanence et l'éternité.  Nul n'est éternel car nous sommes mortels mais la filiation rend éternel ?
Ëst ce cela ?

C'est aussi un acte profond de résilience, le refus de la mort et de la finitude, du Fatum, mais surtout un refus de rompre avec ses racines et au contraire les porter en étendard en les gravant dans leur chair, en être fier. 

Nous seuls avons décidé de le faire afin d'annihiler et d'annuler l'humiliation faite à un Peuple réduit des siècles auparavant en esclavage et devenu 70 plus tôt des numéros à éliminer. 
Il s'agit donc bien d'un acte de mémoire volontaire. Contrairement à la numérotation imposée par l'état nazi ce tatouage est peut-être une forme de réappropriation de résistance contre l'oubli et la négation.
En faisant de ce numéro un symbole de mémoire et de dignité plutôt que d'humiliation.

Ce n'est plus une mal ediction
C'est une Béné diction.


Les nazis n'ont pas gagné 

Ils n'ont pas effacé l'existence d'un Peuple, d'une culture, leur existence, leur nom ni leur postérité.

"Je suis Ori ben Meir ben Avram revenu de Buchenvald et son père s'appelait Yaakov et son père...
"m'a dit fièrement un jeune israélien

Oui Ori tu as gagné car tu es vivant.

Des jeunes Israéliens

Il s'agit bien d'une manière (singulière peut-être) de garder vivante l'histoire familiale et collective. C'est un acte de transmission et de mémoire du Génocide traduisant la volonté de se connecter à ses racines et ses Aieux, notamment à ceux qui ont survécu et transmis leur vécu.

C'est une mémoire vive, vivante, une mémoire orale. Une transmission en face à face et ce n'est pas rien!  Il n'y a pas que les mots, il y a la voix, qui tremble ou ne tremble pas, les silences, les langues qui se mèlent où le Yiddish prend le dessus, ces mots des camps, ces mots inventés, ces mots à eux.
Des mots qu'on retrouvent chez d'autres survivants des Camps (j'ai entendu et appris celle des Zeks) car on ne peut pas parler de ça autrement que comme ça. 

C'est une histoire qui est racontée, racontée avec ces mots, en Yiddish et en Ivrit en "mots à eux,  mais cette histoire est avant tout une histoire forte mélée de larmes et d'émotion. On  tient la main, on caresse cette main, comme faisait la petite fille avec les Demoiselle H. Il n'y a pas de pitié mais seulement une écoute, une écoute et un don celui de l'Amour infini et d'une infinie tendresse. Ecouter ces mots et ses récits, confidences de la douleur racontée sans haine, de souffrance dite avec une distance terrible et tragique parfois. Parler d'un soi qui a du se cliver, se replier pour laisser place à un autre plus fort afin de survivre en enfer, et à l'enfer. Devenir un autre pour vivre. Laisser de temps en temps cet autre prendre la parole, celle qui raconte et qui dit l'indicible.

Le trauma, ce qui est resté là bas et que nul archéologue ne parviendra à mettre au jour, que la meilleure couturière ne pourra recoudre et réparer, car elle ne peut pas, ne veut pas et il ne faut pas. 

Cette béance est nécessaire. Car elle est la vie. Elle est la trace terrible de la vie.

C'est avec tout ça, c'est comme ça que ces enfants, ces jeunes ont entendu
Peut-être graver ce tout ça dans leur chair, pour ne pas l'oublier ?


Est-ce une question de langue ? Perdre et prendre langue 

Perdre la langue du Survivant pour prendre la langue de la Renaissance ?

Ces tatouages sont-ils la résurgence d'une mémoire effacée dans un contexte historique, linguistique et identitaire très particulier ?

Israel est le résultat du projet sioniste et à partir du XIX° siècle, l'hébreux devient le symbole d'unité nationale, de renaissance culturelle et politique dans le futur Etat. En 1948, Israel l'hébreu devient langue officielle en propageant son usage dans l'éducation, la vie administrative, et la société de ce pays construit par des Survivants.
Hommes et Femmes Juifs Ashkénases originaires d'Europe orientale et centrale brisés à jamais sont appelés à participer à cette Renaissance collective, cet idéal sioniste fondé sur l’avenir, la terre, le corps fort, le silence de la douleur. Tous parlaient Yiddish, tous étaient liés et reliés par une langue quotidienne et culturelle. Peu à peu ces mots qui tissaient ces liens si fort devient la langue de l’exil, de la diaspora, de la mémoire, au profit de l’I
vrit  langue reconstruite, ressuscitée pour devenir langue de l’État, de la force, de l’unité.

Pour certains cette transition est une rupture douloureuse  avec le passé, leur culture, leur histoire, abandonner la langue maternelle est une violence symbolique et traumatique. C'est une cassure, une coupure brutale, un renoncement et une perte symbolique immense ayant un impact sur l'identité. C'est renier leur passé et  leur mémoire : Une violence vécue comme une dépossession culturelle renforçant les sentiment de rupture avec l'histoire antérieure, la leur.

Leurs descendants nés dans de pays neuf ont-ils choisi de se faire tatouer le numéro de matricule de leurs grands parents survivants comme acte de mémoire  face à cette perte ? 
Ce geste explique alors le lien avec le passé, la douleur de la perte mais aussi la résistance face à la disparition de la langue et de la culture ancestrale. C'est un trauma, une dépossession culturelle renforçant le sentiment de rupture avec l'histoire d'avant l'origine

Berechit.

Ce 
passage de langue n’est pas anodin. Il est une cassure, un renoncement forcé, une perte symbolique. Ainsi la transition du yiddish vers l'Ivrit a été vécu par certains survivants comme un abandon en renforçant le sentiment de rupture ave leur passé et l'essence de leur Etre suscitant chez leurs descendant un besoin de mémoire de résistance symbolisé par ces tatouages portant le numéro de leurs grands parents survivants.

Un sacrifice ?

Ainsi pour ces jeunes tatouer le numéro lié à la déportation de leurs grands-parents ne peut-il pas être considéré comme un sacrifice symbolique, un prix à payer pour ne pas oublier, témoigner et résister à la destruction de leur identité et de leur passé ?
 La douleur ressentie ne peut-elle pas être vue comme une forme de sacrifice physique, une confrontation à la souffrance témoignant de la force intérieure nécessaire pour faire face à un trauma ou affirmer sa mémoire face à l'oubli ou la négation, telle une offrande impliquant une forme de renoncement ou de sacrifice personnel ?

Le tatouage, ce tatouage singulier peut représenter sur le plan psychique une tentative de dépasser le trauma collectif en l'inscrivant dans sa chair donc dans l'histoire personnelle. Faire de son corps le porteur d'un témoignage indélébile pour soi et les autres. Il pose la question de la responsabilité individuelle face à la mémoire collective, c'est un acte éthique, un devoir de mémoire inscrit dans la peau qui refuse l'effacement et pour ces jeunes Israélien un engagement civique.

Cet acte fort est aussi posé comme un défi, transgressant ainsi l'interdit "
 Ne vous imprimez point de tatouage », ( Lévitique (19 :28, car le corps de tout Juif doit rester pur. le tatouage est considéré par Les iIsraéliens religieux comme une transgression grave de la part des jeunes laïcs à l'encontre de la religion.

Un appel ? un cri ?

Je ne serai pas tatouée.
Mais j’ai décidé d’apprendre la langue maternelle qu’on ne m’a pas transmise, pour ne pas être condamnée à rester étrangère à ma propre vie et à mon histoire.
Etre ce que je suis.
C’est ainsi que je grave en moi leur mémoire.



Brigitte Judit Dusch, psychanalyste, chercheur, historienne, exploratrice urbaine
Crédit photo @brigittedusch collection privée Buchenwald.




1 commentaire:

Anonyme a dit…

Être tatoué, comme l'exige l'État pour les animaux dans les élevages, dans les fermes...
Oui les nazis, ont voulu réduire les juifs au domaine animal...
Je comprends combien leurs descendants ont transcendé ce que les rescapés de la Shoa ont vécu, dans leur chair, dans leur âme, au prix de souffrances indicible...
Ce texte nous interpelle et nous marque comme un tatouage indélébile.
Bravoooo 💪🙏
Esther 🌹

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