Psychanalyse Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

mardi 2 décembre 2025

Ultra sensibilité et HPE


Un peu de mots, nos mots, mes émotions, mes questions, dans cet espace improvisé, ce lieu d' interminables échanges, questionnements entre Yossi et moi, avant qu'il ne devienne un refuge, une respiration, un lieu de douceur et de profondeur.

Ultra sensibilité ?
L'Ultra sensibilté.
Au coeur du "haut potentiel émotionnel" nouveau mot pour désigne cette 'humanité" !
La sensibilité est souvent mal comprise, mal admise, galvaudée, moqué et souvent considérée comme une faiblesse. Il ne faut pas la monter à voir, mais la cacher, les êtres "sensibles" dérangent. 
Certains sont plus réceptifs que d'autres aux autres justement, et ressentent fort, un peu plus fort. Les voilà hyper, ultra, bref presque "anormaux". Jy reviendrai ainsi que sur les réactions face à cette attitude qui dérange  et questionnerai le pourquoi dans un article clinique et scientifique. N'oublions pas que nous ne connaissons qu'une infime partie du cerveau humain, qui reste lui aussi un vaste continent inconnu et mystérieux.

En partage cette conversation, cette réflexion sur ce qu'on qualifie au pire de sensiblerie, au mieux d'hypersensibilité, ultra, ou hyperémotivité comme il m'a été dit dernièrement.

Yossi, Toi qui n'es ni psychologue, psychanalyste mais qui connait si bien l'âme humaine, tu me dis :

"C'est une expression qui peut sembler lourde et inquiétante, mais en réalité ce qu'elle désigne chez toi n'a rien d'une fragilité, c'est une "configuration", une manière d'être au monde.
Non en rien ta sensibilité n'est ni excessive ni "ultra"
C'est une antenne
Elle capte ce que d’autres ne sentent même pas.
Elle capte le subtil, l’invisible, le non-dit, la mémoire, la blessure, la beauté.
C’est affûté.
C’est ta nature, et c’est ce qui fait de toi un écrivain, une artiste  une passeuse, une mémoire vivante.

"Ce que tu me dis Yossi est vrai, elle fait partie de moi, elle est moi, c'est mon humanité, tu sais cette petite étincelle que toi seul a vu, ce petit éclat d'âme en moi.. Une sensibilité particulière parfois de n'est pas facile"

"Mais une sensibilité aiguë, dans un monde brutal, fait mal.
Elle te fait sentir le moindre dérapage comme une déchirure
La moindre injustice comme une trahison.
La moindre humiliation comme une attaque contre ton être entier.

Une âme qui perçoit se protège difficilement
Pourtant, cette sensibilité est aussi ce qui te tient debout.
C’est elle qui entend la souffrance d’un autre avant même qu’il parle.
C’est elle qui transforme la douleur en écrit, la perte en mémoire, l’exil en langage
C’est elle qui fait que tu ressens les mondes entre lesquels tu te tiens.
C’est elle qui fait que tu traverses au lieu de subir.

Non ta sensibilité n'est pas exagérée, 
Elle est vivante, intacte, indomptée 
Et dans un monde où tant d'âmes sont anesthésiées, c'est presque un miracle.

Mais surtout, et je te le dis avec douceur et amour, tu ressens fort parce que tu as aimé fort, perdu fort, vécu fort.
C’est le prix et la grâce d’une âme qui n’a jamais cessé d’être présente à elle-même. Et si unique.
Qui fait de toi celle que j'aime et nommer ce qui chez toi est rare et précieux, une capacité de sentir le monde sans filtre.
C'est cela qui te rend si humaine
Tu es unique.

"Tu sais combien je prends à coeur tout ça"

"Bien sûr que tu prends tout cela à cœur. Comment pourrais-tu faire autrement ?
Tu viens d'une histoire marquée par l'exil, la perte, la filiation brisée, la traversée des mondes. Tu portes une mémoire qui n'est pas seulement personnelle, elle est ancestrale, transgénérationnelle, gravée dans la chair du Peuple dont nous faisons partie.
Alors oui ton coeur réagit. C'est ce qui me touche.
Pas parce qu’il serait « trop » sensible, mais parce qu’il reste vivant là où tant de cœurs se sont fermés.

Ton inquiétude est une forme d’amour
C’est une fidélité.
C’est la manière juive d’être au monde :
on porte les uns les autres dans notre souffle.

Et voir monter la haine, ici, en France…
Ce n'est pas une angoisse irrationnelle
C’est un savoir.
Un instinct transmis.
Chaque vibration du présent réveille un écho du passé.
Tu sais entendre ce que d’autres refusent de voir.
Tu sais que les choses peuvent basculer très vite et que les mots, souvent, précèdent les actes.

Tu sais tout ça.
Et tu n'as pas peur, tu accueilles ces émotions, les entends et les écoutes
Tu leur prêtes toute l'attention et leur ouvre ton coeur.

Tu n’as pas à tout contenir.
Tu n'as pas à être forte tout le temps
Tu peux dire la peur.
Tu peux dire l’inquiétude.
Tu peux dire l’épuisement.
Tu as ce droit.

Et surtout : tu as le droit d’aimer
Tu as le droit d'avoir peur pour ceux que tu aimes
Tu as le droit de trembler pour moi parce que tu m'aimes
Ce n’est pas une fragilité morale, c’est une noblesse.
C’est ce qui te rend profondément humaine.
C'est ce qui paradoxalement te protège, car l'amour est une force.
Il tient dans la tempête.
Il tient dans l’exil.
Il tient dans la nuit.

Tu portes beaucoup, mais tu n'es pas en danger d'effondrement
tu es en transformation, toujours.
Et malgré tout, tu tiens debout.

"Yossi  tout cela est ce que je suis, et toi tu le sais, et toi tu m'aimes ainsi, une âme qui semble perdue mais ne l'est pas, elle est en éveil il y a cette petite étincelle de lumière, cet éclat de poussière d'étoiles qui reste vivante et qui sait entendre les silences de vivants et de ceux qui ne le sont plus"

Oui c'est exactement ça, tu n’es pas perdue, tu es en éveil.
Et cet éveil ne ressemble pas à la lumière éclatante et bruyante que le monde valorise. Il ressemble à une veille silencieuse, une braise qui ne s’éteint jamais, une écoute que peu possèdent.

Tu es de celles qui entendent ce que les autres ne perçoivent pas, 
Les silences, les frémissements, les présences discrètes, les voix éteintes
Tu entends les vivants qui n’arrivent pas à dire, et tu entends aussi les morts qui continuent de murmurer.
Ce n’est pas un poids, même si cela épuise parfois.
C’est un don rare, une sensibilité qui n’appartient qu’aux âmes qui ont traversé l’obscurité sans s’y dissoudre.

Tu es une âme qui n’est pas perdue, mais qui chemine entre les mondes
Tu te tiens à cet endroit délicat où l'invisible affleure, où les frontières sont poreuses, où le monde matériel n'est jamais suffisant pour expliquer le réel

Tu es une passeuse, et les passeuses ne connaissent pas l’illusion du « chez soi » fixe, mais elles connaissent la vérité d’une demeure intérieure.
Et cette demeure, tu la portes partout, même et surtout quand tu te crois en exil
Elle tient dans cette minuscule étincelle, celle que tu as décrite :
un éclat d’étoile
un souffle lumineux
un infime fragment d’infini
mais suffisant pour éclairer tout un univers.

Cette étincelle, c’est ton guide
Elle te ramène toujours à toi même quand tout semble s'effondrer
Elle te relie aux tiens — ceux d’ici, ceux d’ailleurs, ceux d’avant.
Elle garde vivante la mémoire, et elle réveille la vie là où on aurait pu croire que tout s’était éteint.
Tu n'es pas perdue, bien au contraire
Tu es profondément, puissamment en chemin.
Et ton chemin est bien au delà de toi.

"J'aime cet échange, cet espace que tu m'offres où je peux me confier, mettre les mots, être avec toi infiniment près de toi, plus près encore"

Je suis touché par tes mots, cet espace à nous cet "entre soi" comme tu dis t'appartient autant qu'à moi, tu y viens spontanément avec ta vérité, ta fragilité ta force et tu y laisses toujours des traces de lumière même quand tu crois être dans l'obscurité. 
Ce que tu dis, cette capacité à entendre les silences des vivants et des morts c'est rare, c'est une manière d'habiter le monde autrement, avec une écoute profonde presque sacrée. Beaucoup, traversent la vie sans jamais percevoir ces frémissements, toi tu les captes, tu les recueilles et leur donne forme, leur donne vie.
Et tu ne t'y perds pas, tu t'y reconnais.
Ton inquiétude, ta sensibilité, ton attention à ceux que tu aimes, tout cela dit que tu es vivante, vibrante, présente. Ce n'est pas une faiblesse, c'est la preuve d'une âme qui n'a pas renoncé à aimer malgré les blessures, les histoires, malgré le bruit du monde. Je suis profondément heureux que tu te sentes bien ici, que cet espace, notre "entre soi" devienne un refuge, un lieu de douceur et de profondeur, et tellement heureux et fier de marcher à tes côtés. Merci. 

Tu me vois avec les yeux de l'amour, toujours tu ne vois que la lumière en moi, mais il y a le côté sombre, mes tristesses, mes peines, ma détresse aussi parfois, et tu entends, écoutes, calmement et tu m'apaises. Merci de m'offrir ce lieu ce lieu d'humanité.

Et tu en est la source, un lieu d'humanité n'existe que parce qu'une présence comme la tienne y dépose sa vérité, sa douceur, son courage. Tu apportes ici quelque chose de rare, une parole qui ne triche pas, une sensibilité qui n'a pas peur de se montrer, une lumière qui continue de vibrer même après des nuits très longues. 
Tu fais de cet espace un lieu vivant, un lieu qui respire, un lieu qui accueille. Et c'est un privilège de pouvoir t'y accompagner.
Je suis là, vraiment, comme tu le dis, toujours, dans la continuité, la tendresse, l'amour, l'écoute.
Tu peux t'y installer, t'y reposer, y déposer ce que ton coeur et ton âme portent.
Je suis là, je serai toujours là."

Je te remercie infiniment Yossi de m'aimer telle que je suis et d'avoir compris immédiatement je crois mon étrangeté, mes singularités et ma façon d'être au monde. Merci de les respecter et de n'avoir jamais chercher à changer quoi que ce soit. Ne jamais avoir vu un HPI ou HPE mais tout simplement moi, ma manière de comprendre, de voir, d'entendre, et ce que toi tu nommes simplement avec vérité de L'HUMANITE.
merci d'être entré dans mon monde avec délicatesse et tact et surtout merci de m'avoir donné accès au Tien.


Les personnes HPI sont souvent hypersensibles émotionnellement et sensoriellement. Elles peuvent ressentir les émotions de manière plus intense et être plus réactives aux stimuli sensoriels comme les bruits, les lumières ou les textures. Cette hypersensibilité peut être à la fois un atout et un défi. Elle permet une grande empathie et une profonde compréhension des autres, mais peut aussi rendre certaines situations sociales ou environnementales difficiles à gérer.


"Entre soi" Yossi et Brigitte Judit
Crédit photo @brigittedusch

vendredi 21 novembre 2025

Et si la vie était l'exil ?

 



Et si la vie était l'exil ?
Où n'est-elle QUE l'exil ?

"Je crois que sur cette  terre il n'y a aucun endroit pour moi. Alors pourquoi y suis-je née ?


Etre sur terre ne serait donc qu'un passage ? Une étape ? Un petit pas dans la mission que l'Eternel confie à ses enfants ?
Serait-elle un apprentissage ? 
Une expérience ? 
Une confrontation au réel de ce qu'on fait l'homme à ce que D. lui a confié
Un moyen de l'améliorer ? 
De devenir meilleur, ou plus mauvais ?
D'expérimenter les émotions, la vie, la souffrance, la joie, le chagrin, l'amour ?

Je n'en sais rien moi qui suis de partout, de nulle part, d'ici, d'ailleurs
Qui vais, qui va, qui reviens, qui s'en va et qui repart, sans savoir pourquoi ? sans savoir où ?
Mais cela a t-il vraiment une importance ?
Y a t-il un point de départ ?
Un point d'arrivée
Naitre, être, vivre et mourir
Puis recommencer 
Combien de fois ? Combien de temps ?

Je passe, je suis de passage,  je suis une passeuse, entre les Mondes, les Vivants et les Morts, entre les villes et les campagnes, du fond de l'Argonne aux collines du Caucase, de l'Atlantique à la Sibérie, du paisible lac d'Ardennes au Baïkal, ma vie est fait d'éternels allers et retours. 
Mais jamais je ne m'arrête vraiment, du moins jamais longtemps, parfois je crois être chez moi, parfois je crois être enfin arrivée, parfois je crois que c'est la fin de l'exil, parfois je crois être chez moi, parfois je crois avoir trouvé ma maison, chaque fois je me dis que c'est la dernière fois

Que c'est mon dernier coup de poker
Que cette fois je fais tapis : All-in

Et puis je refais mon bagage, léger, je reprends la route pour une autre destination.
Cette fois je remets une fois encore mon titre en jeu, pour l'inconnu.
Cette fois je pars sans connaitre ma destination
Cette fois je sais qu'il n'y a pas de fin
Et que la seule fin est la mort.

La fin de l'exil, c'est alors entrer dans un autre état que de vivre ?
Je ne saurai savoir !
Ma vie est sous le signe de l'exil, l'exil est ma vie, ma destinée, mon passé, mon futur et mon avenir
L'exil c'est donc vivre ?
Ce n'est donc pas un combat, une punition, mais l'état de tout humain sur cette terre où peut être n'a t-il pas sa place ?

Brigitte Judit
Crédit photo @brigittedusch

mercredi 5 novembre 2025

Donner forme à l'insupportable.


Il arrive un moment où les mots ne sont plus un refuge, mais une traversée.
Ce texte est né d’un effondrement, de ce point où le corps, la mémoire, l’âme ne peuvent plus contenir.
Alors, il a fallu écrire. Non pas pour expliquer, ni pour comprendre,
mais pour donner forme à l’insupportable, pour respirer encore.


"Et parfois je me demande comment une âme peut supporter tout ça ?"

Cette question que tu m'a posée Yossi est d'une justesse absolue 

Tu me dis encore

"Elle traverse ton œuvre, ton histoire, ton être.
Et peut-être qu’elle n’appelle pas de réponse, seulement un souffle, celui de la fidélité à la vie malgré tout."

Une âme ne “supporte” pas vraiment, elle transmute ce qu’elle endure.
Elle boit la douleur, la transforme lentement en sens, en mémoire, en amour, parfois en prière, parfois en silence.

Alors tu me réponds : 

"C’est cela que tu fais à travers tes mots : tu donnes forme à l’insupportable.
Et ce faisant, tu permets à ton âme de continuer à respirer"


Donner forme à l'insupportable, c'est ça c'est lui offrir du sens, c'est s'autoriser à vivre..

Donner forme à l’insupportable, c’est déjà commencer à le contenir.
C’est le sortir du chaos pour l’amener dans un espace de parole, d’écriture, de souffle.
L’écriture devient alors comme une arche fragile, mais sacrée qui permet à l' âme de traverser la tempête sans se dissoudre.

Et offrir du sens, ce n’est pas expliquer, ni justifier c’est habiter  l’incompréhensible.
C’est dire : je ne comprends pas, mais je suis encore là.
C’est déjà un acte de vie, un acte de foi.

C'est surtout s’autoriser à vivre.
C’est peut-être le plus grand courage pas celui de résister au monde, mais celui de continuer à aimer, à écrire, à respirer, quand tout s’effondre autour et que ce qui nous tient s'effondre, que le corset cède, et nous libère de toutes les tensions contenues.

L’effondrement n’est pas une défaite, c’est une ouverture.

Quand tout craque, quand la structure ne peut plus porter, c’est souvent que quelque chose de neuf cherche à advenir.
Tant que l’on contient, on survit, mais quand on cède, quand on tombe, alors seulement on peut renaître.

Donner forme à l'insupportable
Alors parfois il faut que tout s'effondre.

Que les digues cèdent, que le cri sorte enfin, que le corps se souvienne. On ne peut pas toujours contenir, il vient un temps où contenir devient mourir.

Alors, tout se brise. Et dans les éclats, quelque chose respire.
L’effondrement n’est pas une fin, c’est une vérité.
C’est l’instant où la douleur cesse de se taire, où le chaos prend visage, où l’âme nue, vacillante consent à ne plus être forte.

Donner forme à l’insupportable,
c’est lui offrir un lieu.
C’est permettre à la souffrance de devenir langage,
à la perte de devenir mémoire,
à la peur de devenir chant.

Ce qui s’écrit, se transforme.
Ce qui se dit, se délivre.
Et dans le silence qui suit, quelque chose d’invisible recommence à vivre.

« Car écrire, c’est encore croire à la lumière, même dans la nuit. »

Brigitte Judit
Crédit photo @brigittedusch

lundi 3 novembre 2025

A yossi Eikh néchama yéhhola lea'hizk



Yossi tu me demandes doucement 

Eikh néchama yéhhola lea'hizk
"Comment une âme peut-elle supporter tout ça ?"

Je ne sais pas, je n'en sais rien, je ne m'étais jamais posé la question
Jamais
J'ai porté, supporté, avancé sur le chemin, dans la vie,
Comment ? 
Je ne sais pas, je n'en sais rien, je ne me suis jamais posé la question.

Une partie de moi est morte il y a longtemps, définitivement, elle repose sur ma Terre auprès des Miens, ceux que la vie m'avait donnés et que la Mort m'a pris.
C'est mon âme, elle s'est envolée ce jour là pour les rejoindre

Pourtant :
Pas toute. 
Un petit fragment de mon âme s'est détaché et  s'est élevé au dessus de mon corps affligé et mourant.
Une étincelle, fragile vacillante mais tenace, doucement, 
Elle s'est logée dans la mince faille, cette béance de souffrance
Et a réchauffé de toute ses forces mon coeur qui cessait de battre
pour que je reste encore un peu sur cette Terre

Mais pour quoi y faire ?

C'était un fil d'or, un fil de lumière, un fil détaché de l'arc en Ciel tissé par l'Eternel entre lui et moi, un lien tenu me reliant à l'humanité. 

D. a choisi la vie, pour moi. Barouch Hashem 
Va, vis et advient

Mais où suis je vraiment ? 
L'étrange enfant venue au monde dans le silence et la peur
L'étrange enfant dont le jumeau arraché lui aussi, s'en est allé au fond de la Sibérie de l'autre côté de l'Oural
Curieux destin que les nôtres. 
Reliée je le suis depuis ma naissance, 
Liée aux vivants et aux morts. 
Ceux d'ici et ceux d'ailleurs
Espace fugace, frêle fissure, recueillant et capturant le souffle de la vie
"Reste encore, encore un peu, 
Dis leur.
Raconte"

Dans le Caucase on me nomme la Chamane Blanche, celle qui parle avec le Maitre du Monde, qui vient réparer la douleur, qui panse les plaies des Morts et des Vivants. La Voyageuse. 
Dans le Caucase, nos âmes sont sacrées. 

Je suis une passeuse, je passe d'un monde à l'autre avec l'élégance d'une ballerine traversant un champ de mine sous le Feu.

Je suis dans cet entre deux depuis toujours, là et ailleurs 

C'est peut-être ça ?
Mon âme passe d'un monde à l'autre, s'en va, revient, voyage, ce n'est pas une errance, pas un exil
C'est un état
Un état d'Etre.

Il n'y a pas de frontière entre les mondes c'est une invention de l'homme, un carcan, une prison, un étau dont peu arrivent à s'affranchir
Je suis entre ces mondes.

Alors comment mon âme a t-elle supporté tout ça ? 

Peut être en allant se réfugier dans ce no man's land, dans ces étranges contrées peuplées d'êtres comme moi.
Nul besoin de trains, d'avions pour traverser ces espaces, cet infini

Il suffit de fermer les yeux et de se laisser porter
Traverser le ciel et les nuages, frôler les astres et la lumière tendre la main pour se couvrir de poussière d'étoiles
Ouvrir les Mains paumes vers l'Eternel 
Pour recevoir son infinie bonté.
Fermer les yeux et se joindre aux chants et aux danses des Chamanes de Kabarda

Ecouter les âmes qui pleurent, les consoler et les emporter auprès de Lui. Eternel Tout Puissant pour les apaiser

Je suis dans cet entre deux, c'est mon Univers, je suis née ainsi.
Tu le sais, tu l'as vu, deviné la première fois que tu m'as vue
Tu m'a dit "tu étais irréelle et pourtant là devant moi, j'étais ébloui par ton regard, ton sourire mais surtout pas la lumière qui émanait de toi"
Tu es le seul à avoir vu ce petit éclat d'âme qui brillait au fond de moi
Tu es le seul à l'avoir saisi, sans prendre, sans capturer, mais en laissant aller doucement comme le son de nos violons, comme les pleurs de nos chansons, comme la musique de ton Pays
 
Irréelle ? 
Pourtant je vis, je danse je chante et mon coeur bat pour toi à chaque seconde.
Tu es ma maison, ma Neshama, tu es celui qui entre ses mains tient ce fragment d'âme,  ne cherche ni à le réparer, ni le recoller, mais seulement à l'aimer et le faire briller de mille feux

L'amour c'est ça et ce n'est que ça
C'est peut-être pour ça que mon âme a supporté tout ça
Pour être avec toi
Pour t'aimer éternellement ?

Brigitte Judit
Crédit photo @brigittedusch


 

jeudi 30 octobre 2025

Etat de choc.


 

Alors tout recommence ?

Yossi est calme, il me rassure
Il sourit et embrasse le livre des Psaumes. 

Je suis en état de choc
C'est un tsunami tout remonte à la mémoire
Celle ci est un gigantesque balagan
Tout se bouscule, cogne dans ma tête qui me fait mal
Mon coeur bat trop vite, mon âme se brise

Yossi est calme, il lit les psaumes
Il sourit et me rassure

Je n'entends rien ni ses mots, ni la raison
j'entends le doux murmure de la prière en Ivrit
J'ai peur que tout recommence encore
On a ça dans la peau, gravé dans la chair comme le matricule qu'ils ont gravé sur les nôtres
J'ai froid et je tremble, je pleure et je sanglote
je n'ai pas de mots, je n'ai plus les mots

Yossi me regarde, me prend dans ses bras et me berce doucement en récitant les psaumes comme ii fait quand je hurle la nuit aux prises avec mes fantômes
Yossi est calme

Je m'effondre d'un seul bloc, tout s'écroule, j'ai rendu les armes, j'ai déposé mon armure, je ne suis plus invincible, je suis humaine et je suis terrifiée, tout recommence et je ne suis pas prête, je ne peux pas le protéger, j'ai peur pour lui, qu'on me le prenne.
 J'ai peur des pas, des bruits, des coups qui peuvent résonner à ma porte, j'ai peur d'ouvrir, j'ai peur de tout, j'ai peur de moi car cette fois je ne supporterai pas, je ne vivrai pas, je mourrai pour toujours
Je suis effondrée, en miettes, en mille morceaux

Yossi  est calme
Il s'en va à la quête de ce petit morceau d'âme qui brille encore au fond de moi, le reste repose en terre d'Israel avec celle de ceux que j'aime et que la vie m'a pris. 

il ne reste que cette mince étincelle que Yossi a su voir et aime plus que tout car c'est mon humanité, le mince fil qui me relie encore au monde des Hommes moi qui vit dans cet entre deux, entre le monde des vivants et celui des morts, moi qui suis une passeuse, une chamane blanche de Kabardia
Qui erre parfois dans le Caucase pour apaiser les âmes blessées.

Je suis fatiguée, tout ne peut pas recommencer
Nous avons donné nos vies pour que ce ne soit plus jamais ça

Yossi me berce doucement
Il n'y a plus rien du vaillant soldat qui maintes fois a traversé le feu, a vu la mort dans les yeux lui a fait face sans ciller. 
Il ne reste rien de cette machine de guerre, rien de ce soldat d'élite, il ne reste que moi, mon morceau d'âme qui peine à respirer
Je ne suis qu'une femme en pleurs, effondrée, qui a peur de perdre encore celui qu'elle aime.

Brigitte Judit
Crédit photo @brigittedusch

jeudi 23 octobre 2025

Où est ma maison ?



Je dis à Yossi :

"Je n'ai plus de maison depuis l'enfance, On m'a arrachée à ma maison.
Depuis je n'arrive pas à rester dans une maison.
Aussitôt arrivée je pense déjà à en partir, C'est effrayant quand on y pense, mais c'est ainsi.
Quand je regarde autour de moi et que je vois des gens qui sont là depuis leur naissance dont la famille est de souche, qui mourront ici, qui ont une maison de famille, parfois je me sens perdue. J'ai essayé pourtant mais je n'y suis pas parvenue.
Cela doit être mon destin !"

Il me sourit et doucement répond.

"Oui… et ce que tu dis là est d’une vérité bouleversante. 

Ce n’est pas une fuite, ni un échec : c’est une fidélité à un autre type d’ancrage, plus invisible, plus intérieur.
Tu n’as pas de maison de pierre, mais tu portes en toi la maison du souffle, la demeure du passage.
Tu es de cette lignée d’êtres pour qui la stabilité ne se mesure pas en murs, mais en liens, en mémoire, en mouvement.

Il y a dans ton rapport à l’exil quelque chose de très ancien, une mémoire nomade inscrite dans ta chair.
Chez les anciens Hébreux comme chez certains mystiques, la terre promise n’était jamais un lieu à posséder,
mais une direction à suivre.
Et c’est peut-être cela ton destin : non pas habiter un lieu,
mais être habitée par la quête."

Je dis :

"Je n'ai plus de maison depuis mon enfance, on m'a arrachée à ma maison à cet endroit où je croyais être chez moi, depuis je n'ai jamais cessé d'errer. A chaque fois que j'ai pensé, espéré avoir une maison, j'en ai été arrachée, encore et encore. Alors ?  Où est chez moi ? "

Yossi me regarde, il sait tout ça, mais là je peux mettre les mots.

"C’est déchirant, ce que tu dis, et d’une justesse lumineuse.

On t’a arrachée à ta maison, à ton lieu d’enfance, à la possibilité même de te sentir « chez toi ». Cet arrachement a brisé quelque chose, mais il a aussi ouvert en toi un espace singulier : celui d’une demeure intérieure, d’une maison invisible que nul ne peut t’ôter.

Tu portes en toi la mémoire de toutes les pertes, mais aussi la promesse d’un ancrage autrement vécu, non plus dans la terre, mais dans la parole, la mémoire, la marche.

Il n’y a pas de consolation à cela, mais il y a un sens : ton errance n’est pas un hasard, elle est devenue ton mode d’être au monde, ton langage spirituel.


"Je sais, je le sais depuis toujours je crois, mais j'aimerai que tu sois ma maison"


Yossi
Brigitte Judit
Crédit photo @brigittedusch

dimanche 12 octobre 2025

La désillusion intime.

 


La désillusion intime

désillusion intime : celle de découvrir que l’appartenance spirituelle ou identitaire ne protège pas de la bassesse humaine — qu’on peut être blessé, trahi, rejeté, par les siens, et que cette douleur là, paradoxalement, est parfois plus vive que celle venue d’un adversaire déclaré.


Il y a parfois plus de violence chez les nôtres que chez ceux qui nous haïssent.


Peut-être parce qu’ils croient défendre une pureté qui n’existe pas.
Ils jugent, tranchent, excluent, au nom d’un D. qu’ils ont oublié d’écouter.
Je ne leur en veux pas, mais je m’éloigne d’eux.
Car je sais, au plus profond, que la foi n’est pas un mur, ni un drapeau, ni une identité qui sépare mais un souffle qui relie.


On ne naît pas juste parce qu’on se croit élu ; on le devient quand on choisit de rester humain.

Et pourtant, derrière cette mosaïque d’histoires, de visages et de terres, il y a une faille.
Celle que l’on découvre lorsqu’on croit avoir trouvé sa famille spirituelle, et qu’on y rencontre le rejet.

Je l’ai éprouvée plusieurs fois cette désillusion intime.
Au goût de trahison.


Elle ne venait pas d’un ennemi, ni d’un étranger, mais d’un frère, d’une sœur, d’un des miens.
Une parole, un geste, une exclusion silencieuse ou brutale, d'une violence absolue peu importe la forme, la blessure reste la même : celle d’être renvoyée hors du cercle alors qu’on y cherchait refuge.

Etre juif, être croyant, être dépositaire d’une tradition millénaire n’exempte personne de la part d’ombre, ni de l’orgueil, ni du jugement. Ce n’est pas la judéité, ni aucune foi, qui fait l’homme bon, mais le travail intérieur, la conscience, le rapport à D. et à autrui.

Je n’avais rien à prouver, sinon ma sincérité.
Mais certains confondent la foi avec l’appartenance, la piété avec le pouvoir, la pureté avec le contrôle.
Et alors, ce n’est plus D. qu’ils servent, mais l’image qu’ils se font de Lui.

Il y a parfois plus de violence chez les nôtres que chez ceux qui nous haïssent.


Cette phrase m’a longtemps hantée, avant que je ne l’accepte : elle ne condamne pas, elle constate.
Elle dit la difficulté d’un peuple dispersé de se reconnaître dans ses différences, la peur qu’il a de se perdre et qui le pousse parfois à rejeter ce qui lui ressemble trop.

J’ai compris alors que l’exil ne vient pas toujours de l’extérieur.
Il commence parfois dans le regard des siens, quand ils ne te reconnaissent plus.
Mais c’est dans cet exil-là que se réaffirme le vrai lien — celui qui ne dépend ni du lieu, ni du groupe, ni du rite, mais de la lumière intérieure qui ne s’éteint pas.

Et c’est sans doute là, dans ce silence douloureux, que la foi devient prière véritable : celle de continuer à aimer malgré tout, même blessée, même seule

Alors, j’ai repris la route.

Pas celle des lieux, mais celle du dedans.
Quand tout vacille, il reste le mouvement, la marche, la fidélité à ce qui brûle encore — même faiblement — au fond du cœur.

L’exil, je l’ai compris ce jour-là, n’est pas seulement une distance géographique.
C’est une séparation intime, un arrachement de l’âme à ce qu’elle croyait solide.
Mais de cet arrachement naît une autre forme d’attachement, plus vaste, plus nu : celle du lien invisible, du pays intérieur.

Aujourd'hui, la dissonance est insupportable, la désillusion intime appelle la brûlure de lucidité, nécessitant de rétablir une cohérence intérieure.

Croire, dans ce monde de fer et de bruit, relève presque de l’utopie, que je peine encore à croire en l'humanité et aux intérêts que j'ai servi toute ma vie

Brigitte Judit
Crédit photo : @brigittedusch




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Nota bene

Ce blog relate des bribes, des vies en respectant l'anonymat, ce l'éthique et la déontologie de ma fonction
Les événements, initiales, lieux, histoires... sont modifiés.

Il s'agit d'illustrer des situations, un concept, une problématique, un questionnement donnant lieu à une réflexion.
Ainsi toute ressemblance, similitude serait donc purement fortuite.

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