Psychanalyse Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

mardi 11 novembre 2014

11 novembre 1914

100 ans.
Centenaire.
Cent ans après, 100 ans avant ?
Mais ce 11 novembre 1914. Que se passe t-il ?
Que font ces hommes arrachés à leur foyer depuis à peine trois mois. A quoi pensent-ils ? Que vivent-ils ? Que disent-ils ?  Ces hommes qui n'ont pas encore conscience de la durée et de la tragédie de cette guerre ?
Que dire de ce jour, banal, comme les autres, ce jour de guerre. En 1914.
Le 11 novembre 1914, Antoine, une jeune soldat écrivait à sa soeur qu'il partait sur le front, que la vie militaire ce "n'était pas le rêve" et qu'il espérait la revoir bientôt. J'ignore si ce fut le cas.
Une lettre, banale elle aussi, un moment de répit pour mettre des mots sur ce Mal qu'est la guerre, pour dire à ses proches. Mais dire quoi ?
Et cet autre, qui se plaint de ne pas recevoir de lettre de "ses vieux" qui pourtant réclament des nouvelles mais n'écrivent point.
Armand jeune appelé aspire à être bientôt libéré, quand la guerre sera finie. Bientôt assure t-il. Ou se rassure t-il.
"Les premiers froids arrivent après la pluie d'octobre, mais ne t'inquiète pas je serai bientôt de retour ma Jeanne, j'ai hâte de vous serrer dans mes bras, toi et les enfants"
"Nous partons vers les Vosges. Il va faire froid mais ne t'en fais pas" explique Gaston à son épouse.
" J'espère revenir bien vite, vous me manquez les enfants et toi."
Le 11 novembre 1914. "Revenir bien vite".
Ils sont loin du compte, et du conte, et de tous ces comptes qui ne seront jamais vraiment soldés.
Nous pourrions suivre au jour le jour en dépouillant les journaux militaires de opérations ces soldats, appelés, officiers partis dans la Tourmente, ceux vivants, morts ou déjà blessés, mais souvent meurtris par cet exil forcé.

Le 11 septembre, Joffre envoie un message au ministre de la Guerre : « La bataille de la Marne s'achève en victoire incontestable. »


Certes... Mais encore !
Une victoire ? Une fin ?
Qu'en est-il alors de l'espoir, de l'attente de ces hommes loin de chez eux. Jetés sur les sentiers boueux de France pour empêcher un ennemi, un homme tout comme eux, jeté lui aussi sur ces chemins inconnus pour se battre, défendre un pays, sans vraiment savoir pourquoi, sans vraiment connaitre les réels enjeux, d'un combat qui n'a pour intérêt que de protéger ceux des riches et des nantis.
Chair à canon. De part et d'autre des tranchées et des frontières. Hommes jetés en pâtures sans respect de la vie ni du prix de celle ci. Que vaut-elle pour la plupart de ces officiers, élites de la Nation soit disant qui n'hésiteront pas à fusiller un pauvre diable qui avait simplement peur ou dont la tenue n'était pas réglementaire.
Alors ce 11 novembre ? 1914 ? Combien de ces soldats seront là ? Plus tard, quand la boucherie sera finie ? Quand le sacrifice sanglant aura apaisé la colère des Puissants. Combien de Gueules cassées, d'hommes à la vie foutue seront médaillés, faute d'être morts pour la france, chanteront un hymne "national" à la gloire d'un pays qui a réclamé leur sang ? Combien seront là debout sur des béquilles, jambes de bois ou chaise roulante, pour saluer ceux qui ne sont pas revenus, leur compagnons de misère et d'infortune ? Combien croupiront dans leur merde et leur folie au fond d'un asile ?

Ils ne savent pas tout ça, ceux du 11 novembre 1914, ceux là qui écrivent à leur mère, leur soeur, leur femme ou leur bonne amie, ils ne savent rien de toutes les horreurs qui vont suivre, ils ne savent rien de la mort, des gaz, de l'horreur, de l'odeur de la poudre, des rats, de la pluie, de la boue, de la neige, du merdier, des barbelés, des bombardements, de la folie qui s'empare du monde entier.
Ils ne savent pas grand chose, otage des partis, des nations, d'une guerre qu'ils espèrent courte.
Ils ne se doutent pas mais comment le pourraient-ils que 100 plus tard, le monde toujours à feu et à sang commémorera la "Der des der" !
Ils avaient commencé depuis octobre à creuser les tranchées curieux sapeurs en uniforme. Tranchées pour s'enterrer, voir l'ennemi, s'en protéger, tenir la ligne, la ligne de Front. Faire front, faire face et affronter : S'affronter.
"Je t'écris des tranchées"
11 novembre 1914, Gustave, toi le vannier de Savigny loin de ta jeune épouse, sapeur mineur, télégraphiste, Camille frèle jeune homme seul fils d'une famille vendéenne tu allais bientôt mourir, Salomon tu ne savais pas encore que 4 ans plus tard avec une poignée de tes hommes tu repousserais l'ennemi à Reims... Et vous, les autres, les Nôtres, car quelle famille a été épargnée. " Trois de la famille sommes partis sur le front" écrit Jules. Combien de noms sur les monuments aux morts. Le père, les fils, l'oncle, les neveux.
Alors en ce 11 novembre 2014 cent ans après prenons juste un peu de temps, juste ce temps nécessaire pour simplement s'arrêter devant le monument aux Morts de sa ville, de son village et prenons le temps de lire le nom de ceux qui sont Morts pour rien. Fauchés dans leur vie, dans la promesse d'un avenir qui leur a été confisqué, qui a été foudroyé.
Prenons ce temps également pour tous ces hommes, je dis bien TOUS ces hommes arrachés à leur foyer et à la paix, blessés, traumatisés pour le reste de leur vie, morts. Quel que soit leur pays, leur religion, leur croyance. D'Allemagne de France ou d'ailleurs c'était des pères, des fils, des oncles, des enfants. Cette guerre n'a épargné rien ni personne, dévoilant un peu plus l'inhumanité en le sujet humain. La barbarie et la folie.
Prenons ce temps... Réfléchissons.... Méditons... Tirons leçon si nous le pouvons.

"Quelle connerie la guerre" écrirait Prêvert trente années plus tard. Combien il a raison

Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne.

lundi 3 novembre 2014

Border line

Limite, le bord, le fil, sur le fil, du rasoir, vertige, vide, attention, fragile, basculer... Bordure...
Bordeline...
Au bord de la ligne, ligne, ligne jaune.
Etat limite, limite de ? limite du bord, du bord de la ligne, de la ligne du bord
Etre à bord, être au bord, tout au bord, au bord des limites...

Un terme encore beaucoup utilisé, à la mode, une nouvelle pathologie, qui s'invente, qui invente, mais qui pourtant est une maladie, cause une souffrance, existe, est ?
Borderline, débordants d'émotions que vous ne pouvez/savez gérer..  amenant à des comportements sociaux instables, une perception qui ne lui permet plus d'interpréter de manière adaptée les attitudes des autres, proches ou non ce qui donne lieu à des débordements inadaptés, des angoisses profondes, des peurs d'être laissés, abandonnés. C'est éprouver des sentiments d'abandon, de persécutions, ressentir le vide, être au bord du gouffre !

Un terme souvent utilisé, un peu partout, presque banalisé, dans le langage courant ;  Une pathologie pas si nouvelle pourtant mais le mot qui la définit la projette sous le feu des projecteurs, la montre à voir et à entendre. Etre Borderline  ne s'improvise pas, le diagnostic ne s'impose pas de manière fantaisiste, à la lecture de quelques tests sur le net ou sur les magazines, quelques oui et non aux items d'une liste pour assener la nouvelle...
Vous êtes...  (ou pas)
Ainsi peut-on lire : Etes vous bordeline ? Cliquez, et répondez le plus sincèrement possible aux questions et vous saurez.. Si vous avez plus de points rouges, verts, ou bleus, d'étoiles ou de triangles.
Un peu comme un tirage de tarot gratuit en ligne...

Etre bordeline n'est pas un hasard, une fatalité ni une excuse pour se déresponsabiliser de son mauvais caractère, de son impulsivité, de sa mauvaise (ou manque) éducation. Ce qui pourrait pour certains sujets constituer un "différentiel".
C'est une organisation psychique, un état entre deux, deux eaux ? à la frontière, au bord de la Grenze. Franchit, franchit pas ?

Mais que disent-ils : eux  ? Ceux qui souffrent ?

"Je suis bordel line" me dit un jour un patient..."ou bipolaire".. ?
"C'est quoi la différence ?"
"C'est le bordel dans ma tête, vous comprenez, un jour ça va, l'autre pas, je ne tolère rien, j'ai envie de les éclater, tous... etc... "

Sur le bord, sur le fil du rasoir, en équilibre, toujours, toujours se demander si CA ne va pas basculer, ce ça qui va entrainer le Je du "mauvais côté"comme ils aiment à le préciser, pour bien marquer cette dualité, ce bon et ce méchant, cette lutte permanente, ce combat qui les mine et les ronge.
Cet état où ils n'ont plus confiance en les autres, mais surtout en eux, cet état où les émotions les submergent et les engloutit. Cet état : Celui de la colère, de la violence, de la démesure, pour basculer ensuite, encore dans la honte, la culpabilité, la peine, le chagrin...La déprime.

"Je sens que ça monte alors je crie, je hurle, je me cogne la tête contre les murs"
Silence
"Ensuite je me sens soulagée, vidée, soulagée, je me sens"
Se sentir, se sentir comment ?

Fragile funambule sur le fil tenu de la vie, sur la corde raide qui frémit. Fragile sujet humain pendu, suspendu à la pulsion qui réprimée, contenue, permet de vivre sans trop de heurts, de chaos, sans trop de mal. Permet d'avancer cahin caha.
Fragile funambule qui, s'il regarde vers le bas, se sent mal, se sent partir, ne peux plus se retenir, se sent entrainé vers les profondeurs des abîmes, vers ce continent sombre de la démesure "Je suis en folie, en crise" dit-il... "et je n'y peux rien, je sais que je déconne, mas c'est trop tard l'autre s'est emparé de moi"
Cet autre qui est "le mauvais côté de moi, celui que je ne maitrise pas, mais qui est moi quand même, celui que je n'aime pas, mais qui est plus fort que moi."

Borderline, limite, personnalité et bla et bla... ! Et tous ces tests dans les magazines et sur internet pour vous dire si ; Vous l'êtes ou pas. En rajouter encore un peu plus. Pourquoi ? Pourquoi je suis comme ça ?

Infiniment simple ? Certainement pas, infiniment complexe. Oui.
Si les parcours de vie se ressemblent ils ne sont pas toujours tragiques, alors ?
Où faut-il chercher pour comprendre ?
"Je n'ai jamais connu que la folie et la violence de mes parents, alors je ne peux pas reproduire autre chose... j'ai lu des trucs là dessus" me dit une patiente
Mais faut-il croire tout ce qu'on lit ? Ce que toutes les émissions télévisées, sites internet racontent ?
Faut-il cocher des cases pour savoir qui on est ?
Il n'y a rien de plus instable et de plus impermanent que l'humeur. Certains sujets sont plus à fleur de peau que d'autres, ce moi peau ne les enveloppant pas assez de sa membrane protectrice, laissant les nerfs à nu, à vifs. Fleur de peau.
Métaphore ? Image pour dire et traduire ce mal qui surgit, cette douleur et cette souffrance qui explosent à la face de l'autre, qui n'y est pour rien, mais qui..
A la face de soi même ! Se sentir vivant en se cognant la tête au mur, en retournant la violence contre soi pour ne pas frapper, tuer, les autres. S'automutiler, se faire mal et attenter à sa vie ; Pour en finir !
Vouloir mourir pour que cela cesse, enfin. Pour soi et pour ceux qu'on aime, mal me dit un patient, si mal qu'on lui fait mal, alors qu'on ne voudrait pas ça. Action et regret. Humeur changeante, émotions débordantes, intenses, excessives.

Que faire ? Comment faire ? Pour ne plus souffrir et ne plus faire souffrir ? Est-il possible de rendre ces états émotionnels plus équilibrés "plus dans la norme"comme le dit cette jeune fille qui craint de perdre son compagnon démuni devant ses "crises" ?

Dire déjà que ce  n'est pas une fatalité, en parler et s'informer est déjà un pas, le premier. Savoir que. Savoir cela. Puis se dire aussi qu'il est possible de parler, de parler cette souffrance, de dire et de dire en mots cette violence. Expliquer à l'entourage, comprendre. Savoir, connaitre !
Partir à la rencontre de soi en gardant l'espoir que ça vaut le coup de s'engager sur ce chemin. Chemin difficile tant pour le sujet que pour le thérapeute ou l'analyste qui en a accepté l'accompagnement.

Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne.




mardi 14 octobre 2014

Sport à mort

Jeanne* fait du sport, à n'en plus finir, à en souffrir, à en avoir mal, pour sentir son corps. Dixit
Jeanne est heureuse de dire j'ai couru 15 km. " Je suis morte". Dit-elle !
Jeanne est contente de dire j'ai fait des abdos, des pompes, j'ai mal partout, je ne sens plus mon corps.
Jeanne est ravie car elle vient de commander "un appareil de torture" pour faire du step et autres exercices pour modeler, sculpter son corps.
Jeanne a nagé pendant un très long moment, jusqu'à épuisement ; Elle s'est demandé si elle allait "pouvoir rentrer au port"...
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- "Pourquoi faire mal à votre corps ?"
- " Mal, faire mal (silence) corps, le mien, mon corps ? Moi ? Je le sens, il m'obéit (silence) mais pas toujours il a mal, je le tords, le le dompte, je l'entraine, il doit m'obéir, ne pas me trahir jamais, alors je le traine, non pardon (rire) je l'entraine "
- Silence
- "oui, l'entraine ; A être dur, s'endurcir, être ferme, à en pas mollir, faiblir, à résister, vous comprenez je en suis pas une mauviette"
- "Une mauviette ?"
- "Une merde quoi, une pauvre fille qui ne peut pas faire deux mètres et monter un escalier sans s'essouffler...une merde comme j'étais avant peut-être ? Je ne sais pas ! "

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Jeanne fait du sport, des sports, du jogging, de la musculation, des sports de combat, elle prend des coups, en donne, tape sur un punching ball,  court les salles de sport, s'inscrit à des marathons, elle dit avoir besoin "d'être lessivée, morte, tuée, foutue, "
Elle s'inflige, inflige à son corps une "torture permanente". Dixit.

Jeanne ne parle que de ça, presque que de ça. Cela fait quelques années qu'elle est entrée dans cette "spirale infernale" qu'elle qualifie parfois de drogue, d'addiction, de besoin mais souligne t-elle sûrement pas de loisir.
Car pour les loisirs, Jeanne n'a pas de temps, lire, regarder un film, aller à une exposition, c'est "perdre son temps".
Perdre son temps, c'est quand son corps ne bouge pas, n'est pas en marche, n'avance pas, bref, quand son corps est au repos. De ce repos Jeanne ne veut pas.
Elle a besoin de se sentir vivante. Et son corps sans cesse en mouvement en est la preuve... Dit-elle.

Jeanne exprime parfois violemment sa violence, celle des autres, celle qui lui a été infligée quand elle était enfant, par un père, "notable de province bien sous tous rapport" précise t-elle les larmes aux yeux, par sa mère qui lui demandait de se taire, puis par ses compagnons," pas mal sous tous rapports" sauf ceux là soupire t-elle ! La violence çà la connait, elle en est certaine, elle s'en dit spécialiste.

-"Cette colère... Jeanne... Cette colère... ? ... "
Colère, violence, seul le sport, ces coups donnés, reçus, ce corps poussé hors de ses limites, sorti de ses gonds pour l'apaiser, pour calmer ce trop plein de douleur, de souffrance
Faire souffrir son corps, exister, être au monde ?
Ainsi ? Comment ? Pourquoi ? Vivre ?
Jeanne à mal, Jeanne voudrait ne plus avoir mal, alors Jeanne se fait mal, encore mal, de plus en plus mal, mais Jeanne ne veut plus avoir mal, alors Jeanne vient dire les maux, mettre les mots, mettre les coups, montrer les poings d'interrogation, d'exclamation ! de soupir et de silence.
Jeanne parle pour ne pas être KO au premier round
Jeanne ne restera pas au tapis, un deux trois elle se relève, elle s'est toujours relevée, elle se relèvera toujours. En y mettant les formes et la ponctuation nécessaire, le temps qu'il faudra, le temps qu'il lui faudra pour mettre KO sa colère.

Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne.

* Le prénom a bien sûr été modifié.

samedi 27 septembre 2014

Mots d'enfances...

Des bribes, des morceaux, des fragments épars, éparpillés, gisant ça et là... Revenant à la mémoire, hantant les mémoires des vivants, des adultes devenus grands, qui ne se défont pas des fantômes de ces enfances
Des mots et des phrases, d'hommes, de femmes, exilés, ici, et là, encore, qui se demandent pourquoi, qui cherchent à savoir, à comprendre, à retrouver la trace, les racines et l'origine...
Des mots et des maux.

"Je me souviens un peu de la petite fille que j'étais, je ne me sentais pas à ma place au milieu des autres enfants de l'école, je ne leur ressemblais pas..... Ou ils ne me ressemblaient pas. Nous n'avions rien en commun, ils ne me parlaient pas, et je n'avais pas non plus envie d'aller vers eux. Ils étaient "d'ici" et pas moi, je ne savais même pas d'où je venais, même mon nom, ils n'arrivaient pas à le dire.. A chaque fois c'était pareil. Ils se moquaient. J'aimais bien l'école, j'y apprenais une langue qui n'était pas celle de la maison, mais je n'aimais pas la récréation... "

"Petit déjà je ne leur ressemblais pas, il y avait eux et il y avait moi. C'était comme ça. Mon enfance en fait je ne m'en souviens pas, on ne sortait pas, on ne voyait personne, il y avait la peur, mais je ne sais pas de quoi, peur de manquer peut-être ? Mais je n'ai manqué de rien"

"J'ai grandi dans un petit village du nord de la France, je ne savais pas grand chose de ma famille car on n'en parlait pas à la maison, j'avais des copines, elles m'invitaient chez elle, ça ne ressemblait pas à chez nous. J'aimais bien. Elles avaient une famille, il y avait des fêtes, chez moi rien, personne. Je m'ennuyais, je n'aimais pas les vacances, c'était triste. Heureuse ? Lorsque j'étais petite ? Je n'en sais rien, je voulais grandir pour partir, ça c'est sûr, partir ailleurs, je ne savais pas où mais je rêvais de l'Amérique. J'y suis allée .. rires.. "

"Je n'ai jamais connu mes parents, ce sont mes grands parents qui m'ont élevés. Ma mère et mon père je ne sais pas qui ils sont, enfin qui ils étaient... Ils n'avaient pas eu le temps de venir, disait ma grand mère et elle se cachait pour pleurer. Venir où ? Aller où ? Je ne savais pas, c'est bien plus tard que je l'ai su. Je l'ai appris dans les livres, les journaux, les documentaires. Je vais de la généalogie pour retrouver leur trace, savoir qui ils étaient... ! J'espère trouver un peu de paix."

"Mon enfance n'était pas malheureuse, j'ai grandi derrière ce que vous appeliez le rideau de fer, le mur de la honte et plein d'autres choses encore. Je n'étais pas malheureuse car j'avais la chance d'avoir de la famille, ils étaient là tous, presque, pas comme mon amie, qui elle n'avait presque plus personne...Morts, morts tous morts. Disait-elle. Elle riait en pleurant, il ne restera plus que moi !"

"Petit ? Oh là là c'est loin tout ça -rires- puis soupirs, puis tristesse. Tiens je n'y pense jamais ou pas souvent. Mon père ? Il était sévère, il criait, en fait non, c'était ma mère, non je ne sais plus, les deux peut-être, en fait je suis parti très vite... C'est mon grand père qui m'a recueilli, il m'a élevé et m'a dit "maintenant mon gars, il faut que tu arrêtes de faire des conneries et que tu fasses quelque chose de ta vie".. je l'ai écouté et j'ai plutôt bien fait."

"L'enfance, c'était les foyers, vous savez ceux du même nom, j'étais un enfant placé, déplacé surtout. oui, déplacé, je le suis toujours, quand je bosse je suis en déplacement, c'est peut-être pour ça que je viens vous voir.. Pour trouver une place".......

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Enfance, enfances, mots d'enfants et paroles d'enfance, oubliées, reléguées parfois au fond des mémoires mais toujours toile de fond qui sous tend la vie, la peur, l'angoisse, les cauchemars.
On aimerait y revenir, y retourner, pour recommencer, oublier, faire autrement, gommer, refaire. C'est impossible.

Enfances blessures, enfances blessantes, enfances trauma, enfances traumatisantes, enfances effractions, enfances effractées, enfances traces, traces de l'enfance

Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne.

jeudi 18 septembre 2014

Procrastination

Un mot savant, pas facile à prononcer, à écrire à retenir pour dire de manière technique ce qu'on ne fait pas aujourd'hui et qu'on remet à demain.  Ou à après demain pour ne pas dire aux calendes grecques.
Procrastiner est à la mode, pas l'acte, pas le faire, ou plutôt le non faire, mais le mot. On le voit, on l'entend presque partout. Mais au fond qu'en sait-on ?
Nous nous sommes tous trouvé confrontés à ces tâches ingrates, déplaisantes, mais qui néanmoins doivent être faites.
Certains sujets font au fur et à mesure afin de ne pas se laisser déborder par une pile de repassage, une vaisselle, un tas de papier à remplir, des lettres à faire etc..
Ce qui est fait est fait et n'est plus à faire. S'ils ne retirent pas un plaisir particulier à passer l'aspirateur ou faire une déclaration de revenus ils éprouvent cependant la satisfaction de l'avoir fait.
Un certain contentement
D'autres au contraire n'ont pas envie, mais alors pas envie, si peu envie qu'ils ne le font pas, se disant que peut-être d'autres le feront. Ou bien que demain, après demain ou un jour ils auront plus de temps, le moment sera plus favorable, ou pire que sous la pression se sera mieux fait
"j'attends toujours le dernier moment, la dernière limite, j'ai le couteau sous la gorge, là je ne peux plus reculer, alors je le fais" me confie un adulte d'une quarantaine d'années.
J'ai toujours fait comme ça, au lycée, les devoirs je les rendais à la dernière minutes, pas le temps de me relire mais basta !"
Dommage, se relire permet d'éviter des erreurs et de gagner quelques points. Mais faire dans l'urgence ne le permet pas. Le faire à temps, si.
Alors pourquoi ? Pourquoi remettre à demain.
Ce n'est pas me semble t-il une question de gestion de temps, ce n'est pas aussi simple. S'il est vrai qu'il y a un temps pour tout et que l'organisation est nécessaire, voire indispensable, certains sujet ne peuvent, ne savent ou refusent tout simplement de s'organiser
Je fais quand j'en ai envie. Quand je veux, quand je le désire, je déteste les contraintes.
Les contraintes, obligations, devoirs. C'est bien de cela qu'il s'agit. Toutes ces choses qui ne sont pas du plaisir, du bon temps mais qu'il faut faire. Alors remettons, laissons de côté. Pourquoi s'embarrasser à s'obliger à faire quelque chose de désagréable. Si tel n'est pas notre bon plaisir ?
Frustration.... Celle qui dit-on aide au développement
Frustration... Ne pas avoir tout de suite ce qu'on désire. Le plaisir, immédiat, l'immédiateté.
S'obliger.
Se frustrer, s'imposer. Se confronter au réel, ce qui cogne, ce auquel on se cogne disait Lacan... Ce réel qui fait mal qui rappelle à la réalité. Principe de plaisir et principe de réalité.
La frustration n'a rien d'agréable, c'est éprouver le manque, et le manque est insupportable pour ces sujets désireux et habitués surtout à tout avoir, tout obtenir d'un seul clic.
Ne pas faire alors car ce faire de suite serait source de déplaisir, ce déplaisir intolérable les poussant à différer ce faire, pour rester dans le plaisir et la satisfaction immédiate...
Une piste peut-être mais sûrement pas la seule. La paresse bien souvent invoquée, ne tient pas davantage... Laisser trainer, différer pour un demain aléatoire où peut-être...
Mais s'il n'y avait pas de demain ?
Laisser... Laisser pour un demain, un futur possible encore ?
Se dire qu'on aura encore le temps, la trace du faire, faisant à faire... Semblant de croire que plus tard ce faire sera fait ? Car demain "on" aura le temps ? Attendre toujours ce temps, ce soit disant moment pour ça. Qui n'est qu'un leurre, car de moment "pour ça" il n'y en a pas, et le sujet le sait, mais diffère quand même. Parfois une tâche qui somme toute n'est pas si ingrate que cela, mais qui lui pèse, car il n'a pas envie tout simplement. Trouvant qu'il est déjà sous pression tout le temps, alors pourquoi une de plus ?
Sur ce point il n'a pas tout à fait tort, la pression existe, elle est de plus en plus présente, il faut, on doit sont les leitmotiv de notre société qui ne prend plus le temps de et produit des sujets/objets de cette immédiateté des désirs satisfaits. Le sujet est réduit à la chose cliquant sur le bien convoité et notant les chiffres de sa carte bleue pour obtenir chaussure, CD, livre ou autre sans avoir même à sortir de chez lui, à n'importe quelle heure de la journée ou de la nuit.
Procrastiner n'est pas nouveau, le mot non plus, mais il est remis à la mode et fait même l'objet d'une pathologie, certains thérapeutes se propose m^me de rééduquer le sujet récalcitrant en le déconditionnant de ces mauvaises habitudes pour lui en inculquer de nouvelles, meilleures celles là. Dit-il
Seulement voilà, le sujet humain n'est pas un ordinateur, son cerveau n'est pas un logiciel et même si la Science (avec plusieurs majuscules) se penche elle aussi sur la Chose et en donne des explications plus ou moins scientifiques cela ne nous explique pas le pourquoi et le comment. Cela ne nous dit rien non plus sur la souffrance, l'anxiété et l'angoisse éprouvés par le sujet
Car rien n'est dit à propos de l'angoisse qui pourtant se situe au coeur de la problématique une fois encore et je le souligne, le surligne s'il le faut est bien là...
L'angoisse avant, pendant et après. L'angoisse qui serre et étreint, qui fait mal, qui questionne, interpelle le sujet.. Qui laisse et qui remet sans foi sur le métier son ouvrage.
Qui laisse l'ouvrage sur le métier, qui le laisse pour qu'il reste.
Abandon de l'ouvrage, pas tout à fait, pas toute, laisser trace de son passage, ici, et plus tard aussi, certitude de ce plus tard, de ce demain peut-être ou après demain. De ce futur, possible encore car il reste à faire
Il reste à être.
Il reste à être encore là...
Demain et après. Ne pas tout finir, terminer, c'est aussi quitter, ne plus revenir.
Laisser alors un peu ou tout l'ouvrage sur le métier, afin de savoir que partir n'est pas encore possible qu'il est encore trop tôt. Laisser un peu de soi. Pour l'autre, mais aussi pour soi
Trace.
Encore.

Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne


vendredi 29 août 2014

Alter non ego

Je suis l'autre ou pas ?
Je suis ou pas ?
Etre ? Mais être l'autre....

Voir et trouver en l'autre, soi même ou un autre soi même qui finalement n'est pas tout à fait soi ?
Quid alors de cette mêmeté rassurante, qui le devrait au moins mais qui ne l'est pas .
Quid de cet alter non ego ?

Il est toujours question de l'autre me direz-vous ? Mais est-il alors question de soi ? Soi et soi, l'autre et l'autre, mais soi n'est pas l'autre ?
Ressemblance, dissonance, harmonie ?
Si l'altérité désigne le caractère qui est de l'autre, sa singularité en quelque sorte c'est pour bien désigner et souligner sa différence.
Reconnaitre en l'autre un être différent de soi même, véritablement autre, respecter cette altérité, la voir, la distinguer et l'accepter
Il n'y a rien à voir là avec la tolérance, car voir en l'autre un sujet singulier est une des conditions du lien social.
Convient-il de rappeler qu'alteritas héritage du latin signifie différence ? Ainsi tout est dit, ou presque.
Car tout n'est jamais complétement dit, il y a toujours un reste, un reliquest qui fait une faille où tout peut s'engouffrer... peut-être ?
Ainsi l'autre est différent, singulier, existe surtout. Ainsi le monde est-il fait !
Pourtant chacun s'évertue à chercher en l'autre un peu de soi, pour s'y reconnaitre, s'y fondre parfois, une recherche éperdue d'âme soeur aussi, qui viendrait compléter, faire un tout de soi et de l'autre, un tout où se soi et l'autre fusionne pour ne faire qu'un. Un seul
Mêmeté encore une fois

L'autre n'étant pas soi et soi n'étant pas l'autre !
Peur alors de cette étrange étrangeté, de ce quelque chose qu'on ne reconnait pas, qui n'est pas soi, pas de soi, qui ne va pas de soi et qui justement fait de l'autre un autre. Etrange, curieux et singulier.
Alors tenter de changer l'autre, de le faire changer, de l'amener à soi, sur son terrain, dans son espace telle une proie peut-être pour mieux l'absorber, mieux l'assimiler, mieux la digérer ?
Penser alors que soi, et seul soi sait ce qui est bien, bon pour soi mais aussi pour l'autre, que ce soi, détient en quelque sorte la vérité, une vérité, et que l'autre doit y adhérer
Et parfois en toute bonne foi, pour réduire sa souffrance, pour être heureux, au détriment alors de cet autre qui joue sur une autre partition, un autre terrain
Une rencontre qui n'est pas, puisque personne ne fait un bout de chemin pour aller au rendez-vous de l'autre ?
Alter ego... Un peu comme l'Utopie, un monde sans aspérité, où il n'y a pas de conflit, pas de Polemos, où rien ne se passe et règne l'harmonie
Un monde sans singularité où il n'y a qu'une seule pensée....Mais quelle pensée ?
Et qui en décide ?
Qui décide et de quoi ?
Vaste sujet, vaste débat !

Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne.
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Nota bene

Ce blog relate des bribes, des vies en respectant l'anonymat, ce l'éthique et la déontologie de ma fonction
Les événements, initiales, lieux, histoires... sont modifiés.

Il s'agit d'illustrer des situations, un concept, une problématique, un questionnement donnant lieu à une réflexion.
Ainsi toute ressemblance, similitude serait donc purement fortuite.

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