Psychanalye Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

mercredi 8 août 2012

Prendre Langue

Hier dans la soirée je regardais l'émission d'Arte consacrée à la littérature israélienne, une occasion pour moi de découvrir des auteurs inconnus, d'explorer d'autres mondes littéraires de nouveaux auteurs. Passionnée de littérature étrangère je ne rate jamais aucune émission de ce genre...
Pourtant ce n'est pas la littérature en elle même qui m'a interpellée, mais plutôt la langue. La question de la langue.
J'ai écouté attentivement Aharon Appelfeld parler de la langue et de son identité, comment cet homme qui avait survécu à l'Holocauste se vivait dans le pays qui était à présent le sien, où il vivait depuis plus de 60 ans : Israel.
Il évoquait son mutisme, cet arrêt de la langue, des mots qui ne voulaient, ne pouvaient plus sortir après le traumatisme de la mort de sa mère, de l'arrestation de son père, de sa fuite pour rejoindre les forêts de Roumanie et sa vie parmi les bandits... Il ne pouvait dire, mettre des mots, sans risquer sa vie, parler, dire était se condamner à mort, les mots qui tuent ! Seul le silence pouvait le garder en vie ! Envie de silence, sans mot dire, pour ne pas être maudit. Les mots de la mise à mort.

Il parlait de ce silence, de ce désir de vivre qui ne pouvait être et passer par et seulement par l'absence de langage ! A l'encontre de tout, de cette langue qui lie, qui fait lien, qui fait lien social.
Lien social ? Un lien social défait, qui ne tient plus qu'à un fil, celui de la langue et de la bouche qu'il ferme qu'il scelle du sceau de l'alliance...Celle de ?
Une langue perdue, enfouie, tapie au plus profond de son être, une langue qu'il n'arrivait plus à mettre au monde une fois le danger passé, là dans ce lieu et cet espace où les mots devaient être posés pour dire et expliquer; Plus de mot. Des mots qui ne viennent plus, qui ne s'ordonnent plus, qui restent coincés au fond de la gorge, qui ne peuvent franchir la bouche, les lèvres, pour aller au dehors. Au dehors des limites de soi.
Les mots de l'intérieur ne pouvant être mis au dehors.
Il explique ensuite pudiquement le conflit intérieur, celui de l'Heimatsprache, la langue de la mère, celle même de ses bourreaux, comment dire sa douleur avec les mots des assassins ?
Un conflit terrible et terrifiant que celui là. Une langue que beaucoup se sont alors interdit de parler, qu'ils ne pouvaient plus parler, comment dire sa souffrance avec les mots de ceux qui les ont conduits à la mort ? Comment ?

Une histoire de langue encore ! D'identité, Toujours :  D'être au monde, d'accoucher encore à ce monde dans une douleur inouïe, puis vivre, vivre avec tout ça.
La langue encore !
Aharon Appelfeld raconte les langues, toutes celles qui venant de partout résonnaient dans ce pays si vieux mais si neuf ! Les langues de tous ceux qui sont arrivés là avec pour seul bagage la langue de ceux qu'ils veulent oublier, qu'ils quittent pour tout recommencer.

C'est alors que le miracle encore une fois opère... Et la langue, celle d'un peuple oubliée, langue de quelques initiés, langue oubliée comprise uniquement par quelques uns renait alors de ses cendres pour unir, pour réunir un peuple dispersé et meurtri qui dans une force ultime est venue là chercher l'avenir et l'espoir ! Est venu par là rechercher la Langue. Est venu prendre Langue
La langue !
Trait d'union... Trait qui surgit pour unir, réunir ceux là mêmes qui éparpillés au delà des terres et des mers, sont revenus après des siècles d'errance.
La langue a bien été ce trait d'union entre les enfants d'une même mère ! Ces frères venus des quatre coins du monde pour retrouver enfin leur âme. Renouer avec le passé pour construire l'avenir !

Parler enfin la même langue, celle du Livre mais celle aussi de la Vie, du Livre de la Vie
Miracle ? Ou seulement volonté des hommes, celles de construire, de bâtir, de se relever pour exister encore ! Etre au monde toujours.
C'est aussi ainsi que le concept de langue maternelle prend ici tout son sens, sa valeur, sa vraie valeur,celle de la langue mise au monde après une longue gestation dans la matrice, Une histoire de femmes encore en quelques sorte, la langue de la Mère, celle de la Matrie !
Filiation divine mais aussi et terrestre à la fois, cette langue de la Mère, de la Terre Mère donnée et transmise pas la seule mère...
La langue.

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Ainsi toute ressemblance, similitude serait donc purement fortuite.

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