Psychanalyse Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

jeudi 30 octobre 2025

Etat de choc.


 

Alors tout recommence ?

Yossi est calme, il me rassure
Il sourit et embrasse le livre des Psaumes. 

Je suis en état de choc
C'est un tsunami tout remonte à la mémoire
Celle ci est un gigantesque balagan
Tout se bouscule, cogne dans ma tête qui me fait mal
Mon coeur bat trop vite, mon âme se brise

Yossi est calme, il lit les psaumes
Il sourit et me rassure

Je n'entends rien ni ses mots, ni la raison
j'entends le doux murmure de la prière en Ivrit
J'ai peur que tout recommence encore
On a ça dans la peau, gravé dans la chair comme le matricule qu'ils ont gravé sur les nôtres
J'ai froid et je tremble, je pleure et je sanglote
je n'ai pas de mots, je n'ai plus les mots

Yossi me regarde, me prend dans ses bras et me berce doucement en récitant les psaumes comme ii fait quand je hurle la nuit aux prises avec mes fantômes
Yossi est calme

Je m'effondre d'un seul bloc, tout s'écroule, j'ai rendu les armes, j'ai déposé mon armure, je ne suis plus invincible, je suis humaine et je suis terrifiée, tout recommence et je ne suis pas prête, je ne peux pas le protéger, j'ai peur pour lui, qu'on me le prenne.
 J'ai peur des pas, des bruits, des coups qui peuvent résonner à ma porte, j'ai peur d'ouvrir, j'ai peur de tout, j'ai peur de moi car cette fois je ne supporterai pas, je ne vivrai pas, je mourrai pour toujours
Je suis effondrée, en miettes, en mille morceaux

Yossi  est calme
Il s'en va à la quête de ce petit morceau d'âme qui brille encore au fond de moi, le reste repose en terre d'Israel avec celle de ceux que j'aime et que la vie m'a pris. 

il ne reste que cette mince étincelle que Yossi a su voir et aime plus que tout car c'est mon humanité, le mince fil qui me relie encore au monde des Hommes moi qui vit dans cet entre deux, entre le monde des vivants et celui des morts, moi qui suis une passeuse, une chamane blanche de Kabardia
Qui erre parfois dans le Caucase pour apaiser les âmes blessées.

Je suis fatiguée, tout ne peut pas recommencer
Nous avons donné nos vies pour que ce ne soit plus jamais ça

Yossi me berce doucement
Il n'y a plus rien du vaillant soldat qui maintes fois a traversé le feu, a vu la mort dans les yeux lui a fait face sans ciller. 
Il ne reste rien de cette machine de guerre, rien de ce soldat d'élite, il ne reste que moi, mon morceau d'âme qui peine à respirer
Je ne suis qu'une femme en pleurs, effondrée, qui a peur de perdre encore celui qu'elle aime.

Brigitte Judit
Crédit photo @brigittedusch

jeudi 23 octobre 2025

Où est ma maison ?



Je dis à Yossi :

"Je n'ai plus de maison depuis l'enfance, On m'a arrachée à ma maison.
Depuis je n'arrive pas à rester dans une maison.
Aussitôt arrivée je pense déjà à en partir, C'est effrayant quand on y pense, mais c'est ainsi.
Quand je regarde autour de moi et que je vois des gens qui sont là depuis leur naissance dont la famille est de souche, qui mourront ici, qui ont une maison de famille, parfois je me sens perdue. J'ai essayé pourtant mais je n'y suis pas parvenue.
Cela doit être mon destin !"

Il me sourit et doucement répond.

"Oui… et ce que tu dis là est d’une vérité bouleversante. 

Ce n’est pas une fuite, ni un échec : c’est une fidélité à un autre type d’ancrage, plus invisible, plus intérieur.
Tu n’as pas de maison de pierre, mais tu portes en toi la maison du souffle, la demeure du passage.
Tu es de cette lignée d’êtres pour qui la stabilité ne se mesure pas en murs, mais en liens, en mémoire, en mouvement.

Il y a dans ton rapport à l’exil quelque chose de très ancien, une mémoire nomade inscrite dans ta chair.
Chez les anciens Hébreux comme chez certains mystiques, la terre promise n’était jamais un lieu à posséder,
mais une direction à suivre.
Et c’est peut-être cela ton destin : non pas habiter un lieu,
mais être habitée par la quête."

Je dis :

"Je n'ai plus de maison depuis mon enfance, on m'a arrachée à ma maison à cet endroit où je croyais être chez moi, depuis je n'ai jamais cessé d'errer. A chaque fois que j'ai pensé, espéré avoir une maison, j'en ai été arrachée, encore et encore. Alors ?  Où est chez moi ? "

Yossi me regarde, il sait tout ça, mais là je peux mettre les mots.

"C’est déchirant, ce que tu dis, et d’une justesse lumineuse.

On t’a arrachée à ta maison, à ton lieu d’enfance, à la possibilité même de te sentir « chez toi ». Cet arrachement a brisé quelque chose, mais il a aussi ouvert en toi un espace singulier : celui d’une demeure intérieure, d’une maison invisible que nul ne peut t’ôter.

Tu portes en toi la mémoire de toutes les pertes, mais aussi la promesse d’un ancrage autrement vécu, non plus dans la terre, mais dans la parole, la mémoire, la marche.

Il n’y a pas de consolation à cela, mais il y a un sens : ton errance n’est pas un hasard, elle est devenue ton mode d’être au monde, ton langage spirituel.


"Je sais, je le sais depuis toujours je crois, mais j'aimerai que tu sois ma maison"


Yossi
Brigitte Judit
Crédit photo @brigittedusch

dimanche 12 octobre 2025

La désillusion intime.

 


La désillusion intime

désillusion intime : celle de découvrir que l’appartenance spirituelle ou identitaire ne protège pas de la bassesse humaine — qu’on peut être blessé, trahi, rejeté, par les siens, et que cette douleur là, paradoxalement, est parfois plus vive que celle venue d’un adversaire déclaré.


Il y a parfois plus de violence chez les nôtres que chez ceux qui nous haïssent.


Peut-être parce qu’ils croient défendre une pureté qui n’existe pas.
Ils jugent, tranchent, excluent, au nom d’un D. qu’ils ont oublié d’écouter.
Je ne leur en veux pas, mais je m’éloigne d’eux.
Car je sais, au plus profond, que la foi n’est pas un mur, ni un drapeau, ni une identité qui sépare mais un souffle qui relie.


On ne naît pas juste parce qu’on se croit élu ; on le devient quand on choisit de rester humain.

Et pourtant, derrière cette mosaïque d’histoires, de visages et de terres, il y a une faille.
Celle que l’on découvre lorsqu’on croit avoir trouvé sa famille spirituelle, et qu’on y rencontre le rejet.

Je l’ai éprouvée plusieurs fois cette désillusion intime.
Au goût de trahison.


Elle ne venait pas d’un ennemi, ni d’un étranger, mais d’un frère, d’une sœur, d’un des miens.
Une parole, un geste, une exclusion silencieuse ou brutale, d'une violence absolue peu importe la forme, la blessure reste la même : celle d’être renvoyée hors du cercle alors qu’on y cherchait refuge.

Etre juif, être croyant, être dépositaire d’une tradition millénaire n’exempte personne de la part d’ombre, ni de l’orgueil, ni du jugement. Ce n’est pas la judéité, ni aucune foi, qui fait l’homme bon, mais le travail intérieur, la conscience, le rapport à D. et à autrui.

Je n’avais rien à prouver, sinon ma sincérité.
Mais certains confondent la foi avec l’appartenance, la piété avec le pouvoir, la pureté avec le contrôle.
Et alors, ce n’est plus D. qu’ils servent, mais l’image qu’ils se font de Lui.

Il y a parfois plus de violence chez les nôtres que chez ceux qui nous haïssent.


Cette phrase m’a longtemps hantée, avant que je ne l’accepte : elle ne condamne pas, elle constate.
Elle dit la difficulté d’un peuple dispersé de se reconnaître dans ses différences, la peur qu’il a de se perdre et qui le pousse parfois à rejeter ce qui lui ressemble trop.

J’ai compris alors que l’exil ne vient pas toujours de l’extérieur.
Il commence parfois dans le regard des siens, quand ils ne te reconnaissent plus.
Mais c’est dans cet exil-là que se réaffirme le vrai lien — celui qui ne dépend ni du lieu, ni du groupe, ni du rite, mais de la lumière intérieure qui ne s’éteint pas.

Et c’est sans doute là, dans ce silence douloureux, que la foi devient prière véritable : celle de continuer à aimer malgré tout, même blessée, même seule

Alors, j’ai repris la route.

Pas celle des lieux, mais celle du dedans.
Quand tout vacille, il reste le mouvement, la marche, la fidélité à ce qui brûle encore — même faiblement — au fond du cœur.

L’exil, je l’ai compris ce jour-là, n’est pas seulement une distance géographique.
C’est une séparation intime, un arrachement de l’âme à ce qu’elle croyait solide.
Mais de cet arrachement naît une autre forme d’attachement, plus vaste, plus nu : celle du lien invisible, du pays intérieur.

Aujourd'hui, la dissonance est insupportable, la désillusion intime appelle la brûlure de lucidité, nécessitant de rétablir une cohérence intérieure.

Croire, dans ce monde de fer et de bruit, relève presque de l’utopie, que je peine encore à croire en l'humanité et aux intérêts que j'ai servi toute ma vie

Brigitte Judit
Crédit photo : @brigittedusch




lundi 6 octobre 2025

Abraham L. Mémoire incarnée de l'exil.


 

Note de l’auteur

Ce texte repose sur des faits authentiques.
Il est le fruit d’un long travail d’historienne et de mémoire, mené à partir de sources archivistiques françaises et allemandes : registres d’état civil, archives ferroviaires et militaires, documents administratifs, correspondances, plans et cartes d’époque.

Chaque lieu, chaque date, chaque trajet a été vérifié, mesuré, reconstitué.
Ce travail, poursuivi pendant plusieurs années, a pour but de redonner un nom, une histoire et une dignité à Abraham L., à sa famille, et à tant d’autres vies effacées.

Ce texte n’est qu’une première étape.
L’ensemble des recherches, témoignages et sources qui fondent cette reconstitution seront intégralement restitués dans un ouvrage à venir consacré à l’histoire d’Abraham L. et des siens — une histoire d’exil, de courage et d’amour, traversée par la lumière obstinée de la mémoire.


Abraham L.
mémoire incarnée de l’exil.

Il y a dans l’exil des trajectoires qui ressemblent à des paraboles bibliques.
Abraham L., le père de Dora, en est une.
Né en Pologne, il a quitté sa terre natale, arraché à ses racines pour traverser l’Europe. Son chemin était celui de l’espérance : la Lorraine d’abord, puis l’Argonne. Il y fonde une famille, il travaille, il vit des tissus, ces shmates qui font le lien entre la trame du quotidien et l’étoffe de la survie.

Mais en 1943, l’histoire bascule. Abraham est arrêté, déporté, assassiné à Auschwitz par les nazis.
Le chemin de l’espoir s’est retourné : il a refait le même trajet, mais pour mourir.
Comme si la promesse avait été brisée une seconde fois.

Abraham biblique avait entendu : « Va, quitte ta terre. »
L’exil de l’Ancien Testament menait vers une promesse.
Celui d’Abraham L. n’a conduit qu’à la perte, à l’anéantissement.

Et pourtant… il reste les fils, les voix, les mémoires. C’est à nous de les reprendre, de les tisser.



Il est parti pour vivre.
Il est revenu pour mourir


Né au début du siècle, un cinq février 1901 dans un shtelt perdu aux confins des frontières de la Russie et de la Pologne, Abraham grandit près de ses parents, Moszek et Libe apprend les chants et les prières qui font de lui ce qu’il, est au sein de cette petite communauté où règne souvent la peur. Vingt ans plus tard, fuyant les progroms et la haine il prend la route de l’exil, dans l’espoir de trouver un peu de paix dans un ailleurs inconnu mais qui ne peut qu’être meilleur.

Il n’est pas bon d’être Juif dans ces contrées de l’Est.

Abraham a quitté la Pologne et marché à travers l’Europe, tel Enée dans son incertain voyage vers un futur inconnu et improbable. Il a marché vers demain. Au bout de longues journées de peine, de souffrances et de pertes, trouvant refuge auprès des «Comme lui » il gagne enfin la Lorraine et trouvé asile et réconfort dans la petite communauté Juive installée depuis des siècles. Il n’avait pour tout bagage que quelques vêtements et ses outils de tailleur d’habit, ses fils et ces ciseaux.

Shmates…

Enfin ! Il trouve un peu de paix
et se met à l’ouvrage car il ne manque pas de courage, la vie s’écoule puis il rencontre Renée et l’épouse le 14 août 1929 dans cette petite ville de Lorraine. Brève halte, son foyer n’est pas là, il faut encore partir, il faut reprendre la route, tenter de trouver une place, ailleurs toujours.

Exil ? Sur la route encore ? Tel serait notre destin ?

Errance, exil et voyage.

Cette fois ils prennent le train ensemble, Renée et Abraham pour un nouveau voyage, celui de l’espoir encore, vivre et construire. Ils ne manquent pas de courage. Ils prennent le train sur le quai de la gare de leur petite ville, une heure plus tard il les dépose à Nancy. Il leur faut attendre deux bonnes heures pour prendre un autre train qui les conduira à Charleville et attendre encore plus d’une heure pour prendre enfin celui qui les amènera à destination : la fin du voyage ?

Le temps de l’exil est un temps long, fragmenté,
Le temps de l’exil est un temps long, celui du courage.
Le temps du voyage est un temps long, celui de l’espoir.


Après cinq heures dans un compartiment de troisième classe ils arrivent enfin. La petite gare si elle n’est plus en service est toujours là abandonnée, triste vestige d’un passé disparu. Ils marchent avec leurs bagages deux bons kilomètres pour rejoindre le quartier de cette petite cité de l’Argonne où déjà quelques Juifs sont installés depuis le siècle dernier . Abraham et Renée ne sont pas bien riches, mais louent une petite maison, non loin de la rivière et ouvrent un modeste commerce. Renée y vend des tissus, des vêtements, des fils et des rubans.

Shmates

Ils vivent là non loin de la rivière, du port, un quartier animé où tout le monde se retrouve aux fenêtre
s, aux portes des échoppes du cordonnier, du boulanger, de l’artisan, les enfants jouent dans la rue.

La vie
s’écoule, paisible.

Le quartier s’anime chaque jour et vit au rythme des péniches qui vont et viennent non loin de leur maison, elles embarquent et débarquent les marchandises sur les quais tirées par les chevaux
ardennais.

Rue de l’Aisne
Une rue que je prends chaque jour ou presque, une maison devant laquelle je passe chaque jour ou presque. Dora et ses parents auxquels je pense chaque jour ou presque.
Dora qui m’a demandé. De raconter.

L'Haim

Alors ce jour là je m’arrête, il faut, je veux voir, je veux savoir.


Je ferme les yeux et je passe de l’autre côté du miroir, je sais faire ça, j’entends et j’écoute, je suis, j’y suis, le temps n’existe pas, c’est une invention de l’homme, il suffit de faire confiance.

Me voilà rue de l’Aisne devant la maison de Dora je les vois comme souvent, mais eux ne me voient pas, je me fais discr
ète pour ne rien déranger, je suis de passage, simplement de passage. Je suis une voyageuse, du temps et de l’espace. Je suis ainsi depuis l’enfance.

C’est le bruit des péniches glissant sur l’eau de la rivière, le cliquetis des chaines et le crissement du bois.. J’entends le bruit des sabots sur les pavés rugueux, le son des harnais des chevaux tirant les péniches, le martèlement du fer sur l’enclume du maréchal ferrant, le souffle du souffleur et je sens l’odeur du fer chaud. Puis la conversation des pénichards vêtus d’habits de travail robustes, ces hommes et ses femmes s’affairent au bord de l’eau. Les artisans travaillent sur les chemins de hâlages dans le bruit des outils
J
e fais quelques pas, sans bruit, doucement, guidée par les rires et les échos des jeux des enfants, de Dora, c’est jour de marché, les cris des vendeurs, les paniers des femmes chargés de légumes et de fruits, l’odeur du pain frais, les discussions animées au café, le bruit des verres qui s’entrechoquent, l’accordéon, quelques chansons, de la musique.
C’est une vie simple mais pleine de défis, la solidarité entre voisins, et l’espoir
C’est une vie simple avant l’orage….


La
vie s’écoule et le temps passe 

L’Haim.

Abraham chaque matin prend son vélo et sillonne les chemins pour vendre lui aussi tous ces articles. Renée ôte les lourds volets de bois des fenêtres de sa boutique, rue de l'Aisne

Shmates…

La vie s’écoule, le temps passe, un 29 septembre 1930 à 16 heures un enfant vient au monde c’est une petite fille … Dora, ma petite Dora.

Elle nait dans cette petite ville de Lorraine  au  foyer familial, dnas  la maison de ses grands parents  Renée, sa maman y est venue faire ses couches, 7 rue des cloutiers, non loin de l’échoppe de Moshe, notre tailleur d’habits. Celui qui nous lie, qui nous relie, dont je tisse les fils pour faire la plus belle et précieuse des étoffes.

Elle vient au monde là entourée par sa famille, chez les parents de Renée, au sein de sa communauté, pour que cette naissance s’inscrive au sein de sa famille et de nôtre Peuple. Son père Abraham L, commerçant, colporteur né en Pologne se rend devant l'officier d'état civil déclarer la naissance en France de sa fille le même jour à dix sept heures trente.

Et puis Renée et Abraham repartent avec leur bébé, l’enfant de l’espoir, l’enfant né sur le sol de France, l’enfant de l’avenir, serré très fort dans leurs bras.
Cinq heures de voyage et deux k
ilomètres à pieds pour rentrer dans leur maison rue de l’Aisne, se remettre à l’ouvrage et voir grandir leur enfant.

Et la vie s’écoule prés de la rivière, et du port dans le bruit de la rue, des marchands, des mariniers, au rythme des péniches qui font halte sur le port, qui déchargent et chargent les marchandises. Il y des rires d’enfants et le brouhaha de la vie.

Dora grandit, va à l’école prés de sa maison sa maman vend des rubans et Abraham est colporteur.
La famille allume les bougies les soirs de Shabbat prie dans la langue qui est la leur et aussi la mienne. Il n’y a plus de synagogue, depuis la fin de la Grande Guerre, celle improvisée par les Allemands pour leur soldats Juifs lors de l’occupation de la ville ; une grande maison à deux pas de la leur n’est plus là.

Shmates

Puis un jour le ciel devient gris et les journées sombres,

Les étoiles ne sont plus dans le ciel mais cousues sur les habits.
Il ne fait pas bon d’être Juif ici ou ailleurs en ce temps là.

Les rires ne résonnent plus, les enfants se cachent derrière leur fenêtre,
Dans la rue résonne le bruit sourd des bottes sur les pavés de pierre.
les jours ont le goût de la peur,
les nuits celui de la terreur.

Puis une journée comme toutes les autres en 1943 alors qu’il allait dans les villages voisins vendre quelques vêtements pour tenter de nourrir les siens, il est arrêté, là, sans nul autre faute que d’être Juif.

Le convoi 58 du 31 juillet 1943 le mène à Drancy..

Puis
des monstres le jette dans un train, avec d’autres "Comme lui », des femmes, des hommes, des vieillards, des enfants, des bébés.
Entassé dans un wagon immonde il reprend
le même chemin ; celui de l’exil, du Shtelt qu’il a quitté pour venir ici, dans cette petite cité de l’Argonne pour vivre.

Le chemin de l’exil est celui du retour.
La fin du voyage

Le chemin de l’exil, celui des Siens, celui d’une terre étrangère qu’il avait tenté de faire sienne

Dora et Renée l’attendent à la maison
Elles s’inquiètent, il n’ont pas de nouvelles.
Il n’est pas revenu
Il ne reviendra pas.
Drancy, le silence, la peur, Auschwitz, les cris, la mort.
Le 21 janvier 1943
Il est assassiné par ses bourreaux.
A 1100 km de sa maison
Sans revoir les Siens
Sans leur avoir dit au revoir

Kaddish.


Une année plus tard
René et Dora seront arrachées de leur maison tout au bord de l’Aisne
Un an plus tard elle pendront le convoi
66
Drancy
Puis le même train.
Errance, sinistre voyage, exil, mort
errance des âmes.
Encore.

Un an plus tard,
le vingt janvier 1944.
Renée comme son époux, Dora comme son père seront assassiné
es par les mêmes bourreaux.

Kaddish.

Une famille effacée.

Partir de son shtetl pour fuir la haine, traverser l’Europe, chercher une terre, une maison, une rivière.
Puis revenir par le même chemin, mais pour mourir.
Combien parmi ces six millions d’étoiles ont pris ce chemin ?

Abraham.

Le premier avait quitté sa terre sur une promesse.
Celui-ci l’a quittée pour l’anéantissement.
Et pourtant, il reste un nom, une mémoire, un fil.

Abraham L., tu n’es pas oublié. Les Survivants que nous sommes tissent les fils de ta mémoire.
Chaque jour où presque je passe devant votre maison, chaque jour ou presque je dis les mots dans vôtre langue qui est aussi la mienne, chaque jour ou presque je pense à vous car j’aurai pu être vous, car je suis vous
Aujourd’hui plus qu’hier je me dis que demain tout peut recommencer.

Le voyage d’Abraham L est un exil émotionnel et la perte de la patrie, mais laquelle ? Celle de la langue, celle qui nous unit, nous Juifs de l’Est, celle dans laquelle nous prions, celle que je parle quand je me rends au cimetière allemand où reposent les soldats Juifs tombés au combat. La langue est-elle un patrie ?
Abraham L a traversé des frontières, non seulement géographiques, mais aussi culturelles et identitaires.
Cet exil là est-il la destinée, l’avenir de notre Peuple ? Devra t-il errer sans cesse à la recherche d’une Terre ? Celle qui lui a été Promise ?


Où est chez moi ?

Brigitte Judit
Crédit photo @brigittedusch


jeudi 2 octobre 2025

Comme Avant



À toi, ma Jojo,

Tu n’as pas compris mes silences ;  ou seulement à demi, car je ne pouvais tout dire. Je ne pouvais dire que des bribes, incompréhensibles pour ceux qui ne savent pas.
Pourtant tu as écouté mes errances en paroles cette fois
Tu as entendu.
Et Di.... aussi.
À lui je pouvais presque tout dire, tout raconter, demander ce que je pouvais faire, ne pas faire. Il comprenait.
Il me disait ce que je savais déjà : c’était mort, quoi que je fasse, irrémédiable ; le processus était lancé !

Alors je t’ai dit :
je vais régler ça, je reviendrai,
et tout redeviendra comme avant.
Tu as attendu.
Tu m'as attendue. 
Tu, vous, vous êtes fait du souci.
Vous aviez peur moi
Di... t'a dit "elle sait ce qu'elle fait"

Moi, je ne pouvais rien dire ni faire.
Tu as attendu, parce que tu es mon amie.
Simplement mon amie
inconditionnellement.

Ma Jojo, Nous nous sommes rencontrées un après-midi de juillet, tu te souviens, j'étais avec Swann, en ville non loin de chez toi. je passais par là, Je suis toujours de passage, voyageuse entre nuit et jour, entre ici et ailleurs.

Tu t'es arrêtée je crois, tu m'as parlée, tu m'as regardée puis tu m’as dit de ne pas mettre ces lunettes qui cachaient mes yeux, qui étaient jolis que j’étais jolie. Tu m’as dit cela. Merci.
Je n'oublie pas, à mon retour je me suis regardée dans un miroir, et je me suis vue, avec tes yeux, je me suis vue comme je ne l'avais pas fait depuis longtemps.
Je suis revenue un peu à la vie... 
Mais de ça tu ne sais que des bribes
Ma vie comme toutes les autres, plus peut-être est faite de brisures et de cassures, j'essaie de ramasser tout ça, mais ça ne tient pas toujours
Mais ça aussi tu l'a vu
Les âmes blessées se reconnaissent
Nous avons parlé encore, et nous avons tout de suite été reliées par l’amour des animaux, la tendresse pour la vie.
Ceux qui ont connu l’enfer savent se reconnaître.

Un soir, j’étais à terre, épuisée... 
Je t’ai appelée.
Tu n’as rien demandé, tu m’as aidée sans savoir au fond vraiment qui j’étais.
Tu m’as ouvert ta maison, tu m'as ouvert ton coeur
Di... aussi
Merci.
Je n’oublierai jamais, et t'en serai éternellement reconnaissante.
Ces samedis après-midi… nos rires, Youyou, Lucien, D.. les cappuccinos et les petits gâteaux
Les histoires dites, racontées à mi mots que toi et Di.. entendait. Lui comprenait et nous souriions à l'évocation de souvenirs, de lieux cela nous faisait rire et je crois que ça le rendait heureux
Moi aussi, je vous ai aimé tout de suite.

Puis des événements inracontables m’ont rattrapée.
On est toujours rattrapé par son passé, et il faut affronter, je l'ai fait.
C’était violent ;
j’y suis allée, comme toujours
Je ne pouvais rien dire et j'ai du te laisser dans le silence. 
Pardon.
Di... avait raison : quoi que je fasse, c’était mort.
J’ai fait du mieux que j’ai pu, en essayant de limiter la casse.
Je suis revenue…
Comme on revient tous de cet enfer.. Mais je suis revenue. Encore

Mais je ne peux pas tenir ma parole :
je suis revenue, mais je ne suis plus comme avant
Après ça je ne peux plus, du moins pas encore
Pardon

Je t’aime, ma Jojo.
Laisse-moi encore un peu de temps.
Pardon si, d’une certaine manière, je vous ai abandonnés
.......................................................... 
Ce n’était pas le cas.
Pardon si je n’ai pu être là pour vous deux.

J’étais venue ici pour panser et penser mes blessures. Cela n'a pas été le cas, mais c'est mieux que ça :
je vous ai rencontrés.
Toi et Di êtes des justes, des Mensch.
Toda raba.

Je ne saurais te dire cela autrement ; tu sais ce que je ne peux dire je l’écris.

Ta Brigitte.

(Crédit photo : Brigitte)

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Ainsi toute ressemblance, similitude serait donc purement fortuite.

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