Psychanalye Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

dimanche 21 juin 2009

A rives

Cette fois la demande est claire : "avis technique pour orientation thérapeutique"
Donc c'est avec cette demande là, que je le rencontre, pour la troisième fois....
Il ne m'attend pas, mais il n'attend personne.
Je lui demande comment il va, où il en est, ce qu'il compte faire....
Il va mieux, beaucoup mieux "J'ai repris des forces et je mange bien, c'est bien "
Puis après un silence, il me dit qu'il rencontre le Dr X
"Vous savez qui il est ?"
"Oui"
Et vous étes d'accord"
Oui
Il se lève, difficilement, fragile, décharné, la chemise d'hôpital mal attachée, cela ne semble pas le géner, comme si ce no man's land mettait à l'abri, de tout.
Il me regarde :

"Prenez une chaise, asseyez vous...."
Il se rasseoit, et respire profondément... Je ne dis rien, j'attends, assise prés de lui, en face de lui.
Et commence alors l'histoire, son histoire, longue, sa longue descente aux enfers...
"Le fond du trou, je suis au fond" me dit-il...
Et il raconte, chronologiquement, avec des dates, précises, heures, minutes, secondes presque.
Tout, tout est inscrit, gravé dans sa mémoire, à tout jamais, indélébile
Il dit, et montre un coin de sa tête où c'est dedans, "là"
Et il parle, de sa souffrance aussi, surtout, de cette pente vertigineuse qu'on descend, vite, trop vite, sans pouvoir se raccrocher à quoi que ce soit, à qui que ce soit....

Une espèce de sable mouvant, qu'on ne voit pas tout de suite, qu'on ne sent pas immédiatement, qu'on croit pouvoir maîtriser ense raccrochant à une branche, à quelque chose...
Un sable mouvant, où on s'enlise, lentement...On descend....

Il sait, il le sait, il décrit, l'alcool, les problèmes, la solitude, l'alcool qui aide un peu, qui fait oublier un peu, puis très vite pas assez, l'alcool encore un peu plus pour oublier un peu plus, un peu plus longtemps... Alcool etc....
Alcool descente, pire encore me dit-il, et de décrire son incarcération
Il ne pleure pas, mais on sent ses larmes à l'intérieur, au fond, qui ne peuvent pas couler
Il pleure en silence... Il pleure en dedans, au dedans de l'âme,
Les larmes de l'âme, terribles lames de fond
De fond du trou... L'alcool, encore....Enfer...
Spirale infernale, tourbillon sans fond, qui propulse à la surface juste l'instant nécessaire pour reprendre une bouffée d'air, d'oxygène, qui permet de replonger, plus loin, plus profond, plus longtemps...Encore
Il décrit et j'écoute,
Je suis là, attentive, face à lui, nos regards se croisent, je comprends, il comprend que je comprends, mais les mots doivent être mis, doivent être dit, comme si le langage sans parole que nous avions établi ne suffisaient plus, ne suffisait pas à cet instant là, à cet ici et maintenant là.
Il faut le poids des mots, lourds, massifs, assénés, comme s'il les lui fallait entendre, pour entendre encore, la description sans concession de son enfer à lui, de cet enfer, qu'il avait lui même choisi, en désespoir, par désespoir
Desespoir et souffrance, douleur terrible de la solitude et de l'abandon, du laisser aller et du laisser faire, du laisser....
Laisser dire alors, pour ne plus laisser aller, laisser couler pour contenir, pour retenir, pour tenir...
Espoir...
Il se présente, se dessine doucement, tenu, fil à saisir ou pas, dans cet espace là, dans ce no man's land, qui propose, qui offre, un peu, si on veut, si on peut
Il veut.... Mais pourra t-il ?
Là n'est pas vraiment la question, il lui semble cependant qu'une main se tend, et qu'il était temps.
Je l'écoute longuement égréner les mots qui déposent la souffrance, qui mettent un peu de distance. Ces mots qu'il a ravalés, maintenus, gardés, en lui, au plus profond de son âme...Et puis d'un coup. Il lui en a fallu de temps, pour dire, pour se décider à dire.
Je ne lui ai rien demandé, il ne m'a rien demandé, nous ne nous sommes rien demandé, un peu comme s'il n'y avait rien à attendre de l'autre, sauf que cet autre était là, que cet autre, ce tiers, que je représente était comme en attente, comme un point d'interrogation, une sorte d'alternative, de possibilité, qui pouvait ou non se présenter.
L'espace de parole, de temps, d'écoute mis à disposition, sans attente était là, prêt à fonctionner, prêt à se remplir du vide, de la souffrance, de la douleur, mais aussi, était prêt à renvoyer peut-être une lueur, un possible autre...
Une rencontre sans parole, puis une rencontre où toute la dimension de l'évaluation de l'autre, de l'évaluation de la communication, de la relation à établir ou pas s'est mis en place, tellement évidente, qu'elle sautait aux yeux.... Il lui a fallu à lui, jauger, évaluer, réfléchir peut-être avant de se décider... A dire, à lier, délier, dénouer, raconter.... Donner. Offrir son histoire à cet autre là ! Une rencontre.
Un espace de liberté, de choix, dire ou ne pas dire, avancer ou non, reculer, rester sur place. Le choix, d'être ou pas, de jouer aussi un certain jeu, celui de l'espace de soin, qui devient par l'intermédiaire que je suis, un espace thérapeutique...
Cette liberté là, n'a pas de prix, pas plus que les autres d'ailleurs, mais elle est !
La liberté d'offrir pour le thérapeute, la liberté de prendre, de rentrer, de s'engouffrer dans la faille en quelque sorte, que l'institution parfois à son insu offre
Offre pour recevoir une offrande !
L'offrande de celui qui ne demande rien car il craint tellement de ne plus jamais pouvoir recevoir !

8 commentaires:

galoune16 a dit…

Bonjour,
vos articles sont superbes! Etes vous belges? ;-)
C'est dur de recevoir, demander, accepter lorsqu'on croit ne plus rien valloir...
L'enfant bleu est superbe, c'est cependant le première fois que j'arrive à différer pour savourer et ne "rien perdre"...
J'étais convaincu qu'il serait moins aboutit que le boulevard périphérique, sans votre avis j'aurais sans doute pris moins soin de ma lecture, alors merci pour ça aussi!
Bonne journée à vous.

castor a dit…

Merci, cela me touche infiniment.
Oui, je suis belge, un peu, par mon grand père maternel. Et de coeur beaucoup ayant passé une grande partie de ma vie dans ce coin de l'Ardenne.
Comment avez vous deviné ?
Oui, l'enfant bleu, mérite qu'on s'y attarde, qu'on s'y attache aussi. Sa lecture n'est pas toujours simple, tellement vraie !
J'ai également beaucoup aimé Oedipe sur la route et Antigone. Je les relis souvent.
Belle soirée à vous.

Anonyme a dit…

être comme une attente, un point d'interrogation : je crois que c'est ce qu'il y a de plus difficile. Naturellement, on a tellement envie d'agir, de dire, d'exister, de combler le vide ... C'est votre métier mais je pense que ça ne ferait pas de mal de cultiver cette attitude de bienveillance passive, dans la vie de tous les jours, non ?

galoune16 a dit…

Un avis technique...
On aime pas ces mots qui tourneboulificote...
On a aimé l'enfant bleu, on le relira très vite avant que le démon de l'oubli nous rayonne.
Belge parce qu'il y a de la qualité chez vous, un ton, n'ayont pas peur des mots, à la Beauchau!
Et je trouve que les professionnels de la psychiatrie n'écrivent plus, ne milittent plus, n'explique plus, ou alors je ne sais pas où les lire...
Cela fait du bien de vous lire vous... J'aime. Je volle les pistes et je me remet à panser. Merci.

galoune16 a dit…

Mon mari m'a offert Antigone, tout en me disant qu'avec mes casseroles, ce n'était peut-être pas tout à fait l'heure...
J'avais déjà lu celui d'Anouilh, surement pas le même...
Je vais digérer l'enfant bleu, encore un peu, voire le relire...
Passer à des choses faciles et reposantes et sans doute, attaquer la falaise...
Autiste où pas, Orion à tout de même fait un chemin remarquable, un chemin qu'on ose espérer seulement pour les moins malades... Pour les moins blessés... Ce n'est qu'un roman (?) mais ça laisse à espérer, il redonne force et courage!
Bonne journée à vous.

castor a dit…

C'est tentant ce que vous dites, Carole, essayer de cultiver cette attitude là, dans la vie de tous les jours. Pas facile, cependant, tendre vers sûrement, nous ne sommes pas parfaits, et c'est sur ces imperfections que peut-être il nous faut nous arréter, pour réflechir, changer un peu, être un peu plus en harmonie..

castor a dit…

Ce que vous dites Galoune est vrai, au sujet de la psychiatrie, malheureusement, et je le déplore ! Il y a tant à faire, pour que la psychiatrie, la maladie mentale, les troubles psychiques trouvent leur place au sein de la société, comme n'importe quelle autre souffrance, que la "folie" puisque c'est de ça qu'on parle, ne soit plus stigmatisée...Jamais on ne montre du doigt un malade qui récidive,mais comment considére t-on un patient qui retombe dans son addiction ou sa dépression, sa phobie etc... ?
Oedipe m'a accompagné souvent sur le chemin qui me ramenait de l'hôpital parisien où je travaillais alors à mon domicile...Puis Antigone.
Merci pour ce compliment qui me touche infiniment. J'écris comme je le sens, le ressents, ainsi,je dis.
Bien à vous.

galoune16 a dit…

Ainsi vous sentez et vous dites, cela fait plaisir en tout cas, de pouvoir lire des mots réfléchis, humains sur des sujets essentiels.
Merci.

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Ainsi toute ressemblance, similitude serait donc purement fortuite.

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