Psychanalye Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

vendredi 9 octobre 2015

Blessures, traumatismes et trauma 1

14-18... Quatre chiffres, deux nombres séparés seulement par un tiret.
Une mince filet d'encre... Pour ne pas nommer le temps, les années qui séparent ces deux là...
1914-1918.
Un tiret qui à lui seul exprime quatre années.
Un tiret qui à lui seul symbolise LE conflit qui a ravagé un vingtième siècle naissant.
Naissance et mort, promesse et retour aux ténèbres, Eros et Thanatos ? Encore ? Toujours ?
Un tiret qu'il faut lire, décoder, déchiffrer, raconter. Avec ce qui reste, car ceux qui restent ne sont plus.
Raconter, dire, transmettre...

Ce qui s'est passé... Ceux qui sont passés, là, par là, au détour de ce tiret, tir fatal qui d'un seul trait les désunit des autres, d'un monde.
Un tiret meurtrier qui assassine des milliers d'hommes. Un tiret qui meurtrit à jamais les années qui suivent...
Mort, morts. Combats, tragédie, boucherie, sang, sanglant, carnage...

Il faudrait presque inventer de nouveaux mots pour en dire toute l'horreur... Mais suffiraient-ils ?
Depuis plusieurs mois maintenant, je parcours ce chemin... Involontairement presque au début, pour répondre à une question de mon fils, passionné d'histoire contemporaine, plus savant que moi en la matière.. Puis je me suis laissée emporter dans la tourmente.. Celle de ces hommes des tranchées, du Front, celles de ces Anonymes, de ces presque sans nom, morts au combat, sans combattre, en combattant, en hurlant, en avançant, en reculant, en pleurant, sous la pluie des obus, des grenailles et des mitrailles, s'empêtrant dans les barbelés, ravagés par la peur, la vermine, la faim, la colère, le désespoir..
Mes recherches me mènent sur des chemins que j'avais jusque là évités. Mais il est temps, il est temps d'aller y voir, de s'y confronter, de s'y cogner. C'est le Réel. ll est temps de rendre un visage, un nom et une histoire. L'histoire d'un homme est celle des hommes, de l'humanité, comprendre un homme c'est comprendre le reste, du moins essayer...
Aller au devant de ceux qui ont rencontré l'in nommable et l'impensable, vu le visage de celle qui en général ne rend pas sa proie.. "celle qui n'a besoin d'ouvrir aucune porte" écrivait Cocteau..
Ceux qui en sont revenus, mais pas indemnes. Mais revient-on indemne de l'Enfer ?
Revient-on vraiment de l'Enfer ?
Blessures, blessures de guerre, blessures de l'âme, plaies béantes de ce coeur qui néanmoins continue de battre sous une carcasse félée, fracassée, déchirée, déchiquetée, écartelée.. Morcellée ?

Le trauma de guerre, la névrose de guerre, Freud en a parlé, les a constatées. Les a dénoncées dans le sens où "ces gens ne mentent pas, la souffrance montrée à voir est bien réelle, ne peut se dire". S'il n'y a pas de plaies à suturer, à panser, à recoudre, à soigner, c'est parce qu'on ne les voit pas au premier coup d'oeil, ces plaies là s'entendent, s'écoutent, il faut prêter attention, regarder certes mais aller au delà de ce qui est peut-être montré à voir

C'est une rencontre avec le sous entendu, le non dit parfois, le crié, le hurlé, le beuglé, le pleuré, le révolté. C'est une rencontre choc avec l'horreur, la souffrance niée car elle est le déshonneur. Le mot est dit, ouf ! Enfin
Ce mot qui empêche, musèle la vérité. Aller à la guerre, faire la guerre est nécessaire, il faut se battre et combattre pour des valeurs, un bout de terre, quelques mètres devant la tranchée, tuer des hommes qui sont des maris, des frères, des pères. Tuer, l'autre, le réduire à néant, le déshumaniser, faire de lui non plus un homme mais un ennemi. C'est plus simple à abattre un ennemi.

C'est oublier un instant ce qu'est l'Humanité, en sortir pour accomplir la mission, l'ordre exigé, aboyé, pour servir les intérêts d'une poignée d'individus qui se remplissent les poches à l'arrière.
Car qui est le gagnant, le vainqueur ?
Le premier des traumas n'est-il pas dans ce cas bien précis cet abandon là, ce nécessaire oubli, ce manque essentiel qui paradoxalement permet de rester en vie ? A quel prix ?
Le premier des traumas n'est-il pas cet abandon, ce retrait, cette mise en marge de l'Humanité, pour faire face, s'adapter à une situation qui ne l'est pas dans une Humanité qui se définit comme telle ?

Brigitte Dusch, psychanalyste, historienne.


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Ainsi toute ressemblance, similitude serait donc purement fortuite.

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