Psychanalye Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

vendredi 23 décembre 2011

Requiem pour un Mur

Requiem pour un Mur.

Le Mur est tombé !
Il n'est plus, exit le Mur aujourd'hui.
Pourtant, sont encore là ceux qui sont nés, qui ont grandis, qui ont vécus, aimés, soufferts derrière ce mur, de l'autre côté.
Ceux de derrière le Mur....
Ceux là même qui rêvaient de l'occident, de cet autre monde, sorte d'Eden où tout était permis, où tout existait, où tout était possible la liberté comme le chocolat, la poésie de Baudelaire et les séries américaines. Cet occident avec lequel ils entretenaient un rapport difficile, paradoxal aimé et haï, envié et détesté....
Cet occident maudit !
Cet occident où ils rêvaient d'aller, de rester, de vivre.

Je me souviens de cet autre côté, de ces magasins vides ou presque, pourtant les vendeuses étaient là... Du tram de Weimar, de ces magnifiques promenades dans Thüringer Wald, des vacances au bord du Balaton, de Berlin, für immer ! Mais le Berlin de l'Est... pas l'autre, celui de l'ouest, le Berlin américain.. Check Point !
Le Mur !
Exit le Mur...
Réjouissances et bonheur, le totalitarisme était tombé, il était mort et il fallait l'enterrer.
C'en était enfin fini du Mur de la Honte !
Ce Mur de larmes et de sang, où tant et tant étaient morts pour avoir essayé de le franchir. Epris de liberté, surveillés, menacés ils avaient au péril de leur vie osé... Ils étaient tombés sous les balles implacables des soldats surveillant cette frontière.
Nul ne devait rejoindre l'autre côté. Trahir leur patrie !
Traitres et ingrats !
Il était enfin tombé...
Cris de joie, de liesse, c'est était fini de tout ça !
J'étais en vacances, j'ai entendu, j'ai pleuré... Longuement pleuré, doucement...

Je me souviens de cet Est, celui même que décrit admirablement Makine dans ses romans.
Que reste t-il ? Des films, des images, des vieilles cartes postales, des Trabans, de vieux billets de banques, des clichés surtout !
DDR !
Des émotions, des souvenirs... Peine, douleur, bonheur, joie, souffrance tout cela mélés..
Vestiges de ce passé en ruines, de ce monde qui  n'existe plus,  remplacé par un autre, avant un autre... Peut-être ?
Derrière le Mur, il y avait la Terreur, l'angoisse et la peur, la crainte de l'autre, de son voisin, de la police, de la milice. La peur tout simplement.
Derrière le Mur, le silence était d'or, la parole pouvait tuer !
Ce derrière là, continent inconnu et obscur objet de tous les fantasmes en cet occident . De cet Est là  l'opulence et l'insolence occidentale ne voyait que des bolcheviks et des staliniens, des espions du KGB, où les gens n'avaient rien, avaient faim... Forcément.
Je me souviens des paroles  rapportées par mes enfants. Celles de leurs professeurs à qui ils disaient que leur maman avait passé un certain temps derrière ce Mur : "La pauvre ! Comme elle a du souffrir".. Ce qui les faisait rire !
Insouciance de la jeunesse, des jeunesses...
Certains rapportent avec une certaine honte qu'ils gardent de bons souvenirs de leur enfance pendant la guerre "on passait le temps dans les caves pour éviter les bombardements, et comme je détestais l'école, ça m'arrangeait bien...Je n'oserai jamais dire ça " m'a raconté un jour une personne agée maintenant !
Insouciance de l'enfance, mais n'est ce pas le propre de l'enfance justement ?
Cet Est était vivant ! Bien vivant, vivant dans la crainte d'être dénoncé, dans la peur du lendemain désanchanté, bien qu'il n'ait jamais vraiment chanté, dans l'angoisse de ce demain qui ne pouvait peut-être jamais arriver... Dans la souffrance d'être séparés à tout jamais peut-être de ceux qui étaient restés de l'autre côté avant que ne soit élevés ces sinistres barbelés séparant le monde en deux,  séparant les gentils  des méchants...Pour faire un monde où parfois le soleil était trop brûlant !
Des êtres bien vivants qui chantaient aussi, étaient heureux et attendaient que les lendemains deviennent un peu plus gais et se mettent à chanter. Enfin ! Car forcèment. Demain viendra
Car forcément il faut bien vivre !
Vivre en pensant à maintenant, à demain peut-être, à la liberté... De l'autre côté de ce Mur, où tout pouvait se dire, se faire, s'entendre, s'acheter... Peut-être ?
Vivre et rêver...
Rêver pour vivre...
L'espoir...
Il leur en faut, encore et toujours ! Il leur en faut du courage, de la patience, de la foi à tous ces peuples de l'Est pour continuer malgré tout à croire, à espérer.
 Rien n'a tué l'espoir, le désir et l'envie.
Aujourd'hui encore, plus que jamais peut-être ?
L'envie plus forte que tout de vivre et d'aimer, comme je l'écrivais à un ami, il faut avoir dans les veines de ce sang là, pour comprendre; il faut que dans ces mêmes veines coulent l'espérance et l'amour, l'abnégation et la foi, le fatalisme et le désir de vivre
Si je ferme les yeux, je me revois dans ces magnifiques forêts, ignorant alors que ces arbres abritaient les plus sinistres des camps, car de cela jamais il n'a été question !
Je revois ces banderoles et ces inscriptions qui nous exhortaient à remercier les soviétiques de nous avoir sauvés du diable capitaliste ! Ces mêmes qui  saccageaient, épuisaient, rendaient exsangues les terres fertiles et affamaient ses habitants !
J'entends encore cette propagande, tout le temps, partout, comme pour nous empêcher de penser... Occuper notre esprit, le conditionner... Pas de face à face avec son être seul, et si seul pourtant !
Si je ferme les yeux, je me revois avec mes amis rire et chanter, nous moquer de l'instructeur qui tentait de nous inculquer les idées essentielles qui feraient de nous des "gens de bien", de nous expliquer que plus tard le "monde serait mieux".
Ces vacances "cosmopolites" avec ceux des "pays frères" ...Toutes ces langues de l'Est dont le dénominateur commun était l'allemand, ou le russe, selon les moments !
Je me revois enseigner le français à des jeunes enfants, avides de connaitre tout de ce beau pays, qui avait vaincu le leur...Je revois les fêtes, les défilés, l'hymne national soviétique, les petits amis, "Micha mon frère" qui m'a montré comment faire un lit pour ne pas avoir froid.....

C'était à Prague...Il y avait un violon et tu disais...Les marronniers n'étaient pas toujours en fleurs, mais c'était à Prague....
Ce sont des moments, des instants brefs mais comme le dit Andreï Makine : Eternels. Je sens encore l'odeur de ces fôrets en même temps que cette peur lors de l'arrestation par les milices,  nous n'avions pas de papiers un soir d'été à Leipzig !
Aujourd'hui quand je retourne à l'Est, un seul regard suffit. Nul besoin de paroles. Nos yeux suffisent à dire. Si l'on se croise, nous, ceux qui ont connu ce monde là, celui qui n'existe plus.
Un seul regard pour nous reconnaître, pour savoir que nous savons.

Le regard de ce vieil homme dans le tram de Budapest ! Nous nous sommes dit tant de choses, en un seul regard. Nous avons embrassé toute une époque, tout un savoir....
Une tristesse infinie... Où se mélent mélancolie, nostalgie, mais laquelle ? Celle de ce monde déchu, ou de cette jeunesse qui brûle sa liberté en oubliant l'essentiel ?

Comme si tout tenait dans les yeux...A travers les yeux.... Une histoire sans parole !
Cette histoire est inscrite au plus profond de ceux qui ont grandi derrière ce mur, qui sont nés derrière ce mur, qui sont mort derrière ce mur... Elle est eux... Ils en gardent la trace pour toujours.. Comme l'accent, celui des Ossi et la langue, celle des Zeks !

Si tous ce souvenirs me reviennent aujourd'hui, un peu plus que d'habitude, c'est peut-être parce qu'il y a quelques jours, en France où je vis, un homme me voyant prendre des photos s'est approché et m'a dit "vous prenez des photos, pourquoi faites vous ça ?"
Cela faisait tellement de temps !
Je ne m'attendais plus à ce qu'on me pose ce genre de question... Dans un monde "Libre"
C'est aussi parce que j'ai à tout jamais et pour toujours cet Est là dans le coeur et dans la chair. Il fait partie de moi.
Ich bin Das auch !

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Ainsi toute ressemblance, similitude serait donc purement fortuite.

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