Psychanalye Aujourd'hui

Le blog de Brigitte Dusch psychanalyste historienne

Accompagner le désir d'être Soi
Le sujet humain est singulier, son histoire est unique, l'analyse lui permet de partir à sa rencontre et de tisser les liens, de prendre rendez-vous avec soi.

"J'accepte la grande aventure d'être moi". Simone de Beauvoir

Mon livre : "j'aime ma vie"

samedi 5 octobre 2013

Histoire...Mémoire.

Historienne, on me demande souvent " sur quelle période ?"... Et je réponds : "Je suis dixseptièmiste"...
Un peu le hasard ? Passionnée d'histoire et de lettres classiques, formée au latin grec dés mon plus jeune âge, je me destinais à l'étude de l'histoire ancienne, pourtant j'avais choisi cette mention singulière en licence "paléographie médiévale et moderne".... Hasard ?
Le sujet d'histoire moderne traité cette année là, le sérieux, la rigueur et le talent de mon professeur m'amenèrent à candidater pour une maitrise d'histoire moderne.. Et je me retrouvais embarquée dans une histoire singulière, d'amour et de passion, celle éprouvée pour ce siècle bouillonnant et  tout aussi singulier qu'est le XVII° siècle. Un coup de foudre !
Je ne le quitte plus depuis... tant d'années.


A mon amie Myriam Karsenty je disais"'j'ai longtemps évité l'histoire contemporaine pour ne pas souffrir ?" sûrement, certainement...
Pourtant cette histoire là, ces moments si précis et cruels de cette période là étaient sous mes yeux, sur les étagères de la bibliothèque familiale, sur la table de chevet de mon père, dans la mémoire des mes grands parents, sur leur chair, dans leur coeur, gravée à tout jamais...
Pourtant ! Même si on n'en parlait pas, les silences valaient plus que les mots, il n'y avait pas le poids de ce silence, mais plutôt celui de ces mots, enfouis, qui ne peuvent être dits, mis à nus, parlés....
Alors ?
J'ai longtemps cherché... Le goût de la psychanalyse aussi sûrement ! Chercher à expliquer à défaut de chercher à comprendre, me disant que l'un éclairerait peut-être l'autre !
Pourtant... J'ai regardé, feuilleté ses livres, en cachette parfois, comme si j'avais petite fille conscience de transgresser, de passer outre ce silence tacite, ce voile d'ombre, cette aura mystérieuse et douloureuse qui entourait les miens, mince cellule familiale ! mince, comme ce qui reste, ceux qui restent..Encore...
On n'en parlait pas, pourtant on parlait de la guerre, de la milice, de la France des collabos, des résistants, des Justes, tout cela me semblaient des mots avec une consonance et un contenu terribles, Des mots scellés, tenus dans une crypte cachée que je ne pouvais pas ouvrir car je n'avais pas la clé, mais qui possédait ce sésame ?
Qui pouvait me dire, me conduire, me mener seulement au seuil de cette porte ?
Et serais-je alors entré ? Aurais-je poussé cette ultime barrière qui m'aurait conduit à ?

Entre deux, deux langues, deux guerres, deux valises, deux cartons, deux ?

Je me suis intéressée à l'histoire de la France, à sa littérature, même si enfant j'ai été imprégnée de littérature russe, contes et légendes de Grimm, berceuses yiddish, mélanges et langues, entre deux...
Un mélange tellement familier que je peux parler, penser, rêver avec toutes ces bribes, ces mots qui s'assemblent et forment un joli patchwork.

Puis peu à peu, j'ai cheminé essayé de lire en entier les livres de mon père, sans y parvenir...Prenant et reposant ces volumes.
Il a fallu recomposer l'histoire, la sienne, mais il n'en parlait pas, bribes volées et morceaux assemblées tels les fragments retrouvés sur ces champs de ruines, pour tenter de comprendre !
Archéologie de la mémoire.
Champ de ruines..Eparpillées, en éclats. Au milieu, je suis là, j'écoute, entends, relie, assemble et tricote, prend du recul sur ce curieux ravaudage et essaie de mettre cette histoire au coeur de l'Histoire.
Depuis quelques temps, j'essaie de retracer le parcours de certains des miens, le dossier est là, numéros de matricules, de convois, dates, archives, copies adressées par les mémoriaux.. Le dossier est là.. .mais je n'y parviens pas. Pas encore. Je crois au temps, au moment. J'attends.

Souvent je pleure en lisant comment Albert est mort, fils d'un tailleur d'habits ; Rien ne le prédisposait à mourir sur les rives rouges de sang de la Baltique... Marches de la mort ! Ton nom sur un mémorial, une stèle, tout ce qui reste, une médaille et quelques images qui restent dans la mémoire de ton fils !
Puis Anatol ? Je ne sais ce que tu es devenu toi qui cumulait tous ces terribles handicaps, toutes ces tares ! juif, hongrois et communiste !Où es-tu ? Es-tu retourné à Pertersburg où tu es né ? J'ai lu et compris que tu avais survécu à Mathausen, aux Kommando et puis à quoi encore ?
Puis ce D, qui git en "terre ennemie" enrolé de force par l'armée soviétique tu es venu finir ta vie là, pourquoi ? Tu étais si jeune ! J'ai vu notre nom, en entier et non le nom de l'exil, là sur cette plaque... j'ai déposé une fleur sur ta tombe l'an passé dans ce cimetière, sous les arbres de l'ancienne DDR, et j'ai prié moi qui n'ai jamais appris à le faire.
Kaddish....
Et les autres ...?
Vous êtes là, êtres de papiers, êtres vivants qui attendent que je fasse vivre votre histoire, que je raconte votre courte vie pour certains, bien trop courte..Vous attendez que je fasse mon devoir, mais je n'y parviens pas, je n'y arrive pas à chaque fois je repose ces documents "historiques". Je n'ose vous demander de m'insuffler la force !
Devoir de mémoire, de votre mémoire, de ma mémoire, de notre mémoire.

La première fois que j'écrivis à un mémorial, je le fis en français, refusant d'user de la langue de leurs bourreaux, en réalité je ne pouvais pas, cela m'étaient impossible...Les mots ne venaient pas, ils s'étaient enfuis, enfouis. Puis peu à peu les échanges se firent plus intimes, et je repris alors la langue... Histoire encore ! Entre deux toujours.!

Brigitte Dusch, historienne, psychanalyste

Je dédie cet article à Myriam Karsenty, et  la remercie pour tout le travail de mémoire qu'elle fait, qu'elle a le courage de faire. Nous te sommes tous redevables Myriam.

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Ainsi toute ressemblance, similitude serait donc purement fortuite.

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